Les notaires opèrent généralement dans la discrétion absolue. Et quand l’un d’eux pousse un coup de gueule par le biais d’une lettre envoyée à la Chambre des notaires et à la presse (voir Le Dimanche/L’Hebdo de la semaine dernière), c’est suffisamment retentissant pour un entretien.
Pourquoi tant de colère, Khemawtee Khuboo Lallah ?
C’est parce que je me sens directement concernée par les derniers examens pour les aspirants notaires tenus en octobre. Ma fille était parmi les candidats qui n’ont pas réussi. Je ne comprends pas comment elle a échoué et je ne peux l’accepter. Pas parce qu’elle est ma fille, mais tout simplement parce que je connais ses capacités.
Elle a travaillé à mon étude pendant 20 ans. C’est elle qui prépare tous les actes notariés. Des documents auxquels je n’ai pas eu à apporter de modifications majeures. Je suis bien placée pour connaître son niveau. Si elle a échoué, cela veut dire que tous mes actes ont été mal faits ! Et c’est la deuxième fois qu’elle est recalée à ces examens. Ce qui m’a davantage intriguée, c’est qu’elle a décroché un E pour un papier, alors qu’elle avait eu un A à sa première tentative.
Vous avez adressé une lettre à la Chambre des notaires et à ceux responsables d’organiser les examens pour les aspirants notaires. Les notaires n’ont pas l’habitude des coups d’éclat. Pourquoi le vôtre ?
Croyez-moi, c’était un acte mûrement réfléchi. Je sais pertinemment que le code d’éthique de la profession m’interdit de m’attaquer publiquement à mes confrères, mais il fallait que je m’exprime. Pour ma fille, et aussi au nom de tous les candidats malheureux ! Si la Chambre des notaires veut me sanctionner, qu’elle le fasse. J’assume tout ce que j’ai dit. Ce n’est pas normal que de nombreux candidats ayant réussi leur LLB avec brio échouent aux examens de notariat.
Cela, alors que beaucoup de ceux qui pratiquent comme notaires aujourd’hui n’ont que le CPE (Certificate of Primary Education). Ces candidats ont fait moult sacrifices pour financer leurs études. Certains ont des charges familiales, mais ne parviennent toujours pas à exercer après deux, trois, voire quatre tentatives. Chaque année, ces aspirants notaires doivent puiser Rs 100 000 de leur maigre salaire pour quelques mois de cours et les examens ! À quelle fin ?
Vous écrivez que les candidats « ont été programmés pour échouer ». N’est-ce pas un peu fort ?
Loin de là ! J’assume tout. Je n’ai jamais vu de questionnaires si compliqués. Pourtant, j’ai étudié tous les papiers d’examens depuis qu’ils sont passés à l’écrit. Actuellement, il y a huit papiers touffus, chacun comportant plusieurs questions principales auxquelles se greffent d’autres subsidiaires, les unes plus complexes que les autres. Certaines portent même sur des sujets hors syllabus, comme le droit international s’appliquant aux régimes matrimoniaux. C’est impossible pour les candidats de rédiger, en trois heures, quatre rédactions complexes.
Même les examinateurs n’y arriveraient pas. S’amuse-t-on à tir dilo dan ros ? Je suis obligée de me poser la question. Attention, je ne dis pas qu’il faut baisser le niveau, bien au contraire, mais il faut être réaliste et fair-play.
Le comble, c’est que les candidats n’ont même pas droit à des explications quant aux raisons de leur échec. Ils ignorent les erreurs qu’ils ont commises. Ce n’est pas juste ! C’est cela que je qualifie d’obscurantisme notarial.
Vos confrères n’ont pas dû rire en lisant que vous encouragez le marronnage notarial…
Sans doute ! Ils doivent être nombreux d’ailleurs à m’en vouloir, mais j’y suis habituée. Je leur ai toujours dit ouvertement ce que je pensais. Malheureusement, ma franchise n’a jamais été appréciée. Nous ne sommes que trois ou quatre dans la profession à dire tout haut ce que de nombreux confrères pensent tout bas. Je suis une personne de principes. Je suis peut-être honnie par certains, mais c’est de bonne guerre !
Qu’entendez-vous précisément par marronnage notarial ?
Il y a des pseudo-notaires qui sont à l’œuvre au vu et au su de tout le monde. Ce sont des courtiers, qui font croire qu’ils sont notaires. L’un a même osé venir me voir pour me demander de signer un acte puisque, pour des raisons évidentes, il ne peut le faire. Je l’ai, bien sûr, envoyé balader. Si certains de mes confrères acceptent de s’adonner à ce genre de pratiques, qu’ils le fassent ! Il y a d’autres faux notaires qui envoient leurs employés faire du racolage. Une plainte logée à la police ou à la Chambre des notaires ne mènerait pas à grand-chose.
Un petit mot à vos confrères qui n’ont même pas de certificat de fin d’études secondaires…
Je n’ai sincèrement rien contre eux. J’ai même beaucoup de respect pour la plupart, car ils ont beaucoup appris et font honneur à la profession. Je peux me fier à leurs actes. Ceux des pseudos-notaires comportent beaucoup de failles, notamment l’absence de certaines clauses importantes. Malheureusement, le niveau de certains jeunes notaires laisse aussi à désirer. Je pense que deux années de stage après les études de notariat ne suffisent pas. Je préconise au moins six années de pratique. En tout cas, il faut tout revoir au niveau de la formation des aspirants notaires, y compris les examens.
Y a-t-il eu des réactions depuis l’envoi de votre missive à la Chambre des notaires ?
C’est silence radio ! À part vous (Le Dimanche/L’Hebdo), personne n’a réagi. Ce que je trouve décevant ! Être traitée avec une telle indifférence après 20 ans de carrière, cela me blesse.
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Famille de légistes
Originaire de Curepipe, Khemawtee Devi Khuboo Lallah, 66 ans, est issue d’une famille de légistes. Elle est la nièce de feu Rajsoomer Lallah. Son arrière-grand-père et son grand-père étaient tous deux avoués. Son père Dayanand était notaire. Elle a travaillé comme clerc à l’étude de son père, avant de se joindre à l’étude de son oncle Rajcoomar Lallah, également notaire, après le décès de son père en 1984. Elle a ensuite entamé des études de notariat et pratique depuis 1995. Elle a deux filles: Shakila et Rubina. Khemawtee compte bientôt prendre sa retraite pour s’occuper de ses cinq chiens. <Publicité
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