Interview

Khalil Elahee, professeur à l’Université de Maurice : «Le pays manque de ressources humaines dans le secteur de l’énergie»

Khalil Elahee

Khalil Elahee se saisit  du projet Metro Express pour justifier la transition énergétique à Maurice. Dans l’interview qui suit, l'universitaire expose l’idée de bouger vers le mixte énergétique.

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L’économie bleue ne semble pas avoir pris son envol. À quoi peut-on attribuer cette situation ?
Je pense que le pays manque de ressources humaines dans ce créneau. Je prends comme exemple le projet Deep Ocean Water Airconditioning (DOWA), la climatisation à partir des eaux froides de l’océan, qui a fait l’objet du soutien de deux gouvernements sans qu’il y ait eu de réalisation. C’est un projet complexe que nous avons du mal à gérer. Nous ne savons même pas  comment le vendre aux grands immeubles de la capitale qui souhaitent réduire leur facture de climatisation.

Est-ce la faute à l’Université d’avoir échoué à former les professionnels indispensables aux secteurs émergents ?
Certains politiciens et chefs d’entreprises assignent à l’Université l’unique rôle de former des jeunes pour subvenir aux besoins d’une industrie ou d’un secteur de services dans le but d’augmenter leur profitabilité. Cette logique nous enferme dans une vision étroite et a court terme  où on ne formerait que pour les besoins du marché.  Résultat : certains secteurs, comme celui de la recherche qui, de par sa nature se penche sur le long terme, sont relativement négligés. Les arts et d’autres formes de créativité sont jugées inutiles économiquement. Lorsqu’on doit répondre aux questions complexes, comme celles relatives aux technologies nouvelles pour le projet DOWA ou les problèmes à la route de Verdun, on se tourne vers l’expertise étrangère, parce que dans le passé, il n’y pas eu de transfert d’expertise.  Au fil des décennies, des consultants ont soumis des rapports, encaissant des centaines de millions, augmentant la dette de l’État et dans certains cas, on ne sait pas ce qui est advenu de leurs recommandations. Nous n’avons pas privilégié la formation pointue des locaux dans des secteurs d’intérêt national.

La mise en œuvre du Metro Express approche. Qu’en sera-t-il de sa consommation énergétique ?
Je dirais d’abord que je suis favorable à un mode de transport alternatif car à ce jour, la consommation d’essence à Maurice représente 18 % de notre consommation nationale d’énergie, dépassant celle du secteur résidentiel ou du secteur manufacturier ou encore du secteur commercial et des services. Le chiffre de 18 % est supérieur à la consommation totale de n’importe lequel de ces secteurs et ceci se reflète sur notre facture d’importation et est tributaire du coût du baril. Pour cette raison, il faut aller vers un mode de transport propre et économique. Selon la projection du CEB, le Metro Express aura besoin de 11 mégawatts pour l’ensemble du réseau. Mais le CEB fait valoir qu’il y a donc urgence d’aller vers des turbines à gaz à Fort George et dans l’immédiat le projet est bloqué. Je pense que le CEB saura jouer avec les réserves qu’elle a  déjà. Sinon avec la maîtrise de la demande et des économies d’énergie, nous pourrons relever le défi.

Il y a une nouvelle génération qui prend conscience d'un nouveau modèle de développement.

Est-ce à dire que le démarrage du métro semble compromis ?
Non, il faudra rechercher d’autres solutions comme l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Il faut se fier à un mixte énergétique et aussi à la possibilité d’avoir un système plus décentralisé, qui répond mieux à la réalité moderne et ainsi promouvoir la gestion de la demande et qu’on appelle les systèmes smart. Avec le changement climatique et la baisse du prix des technologies liées aux énergies renouvelables, on devrait trouver ce mixte énergétique qui nous permettrait d’intégrer davantage d’énergies renouvelables produites par les petites et moyennes installations décentralisées d’une plus grande efficacité en utilisant des technologies dites smart.

N’est-ce pas là un choix de rupture ?
Oui, il permet de produire et d’acheter librement l’énergie et de devenir des petits ou moyens producteurs. Ce modèle existe déjà au niveau technique, il ne manque que le cadre juridique et les investissements. C’est aussi la démocratisation de ce secteur, on peut y arriver car notre force tient au fait d’être une île. On bouge plus vite et on met le cadre plus facilement. C’est économiquement faisable.

Est-ce que la configuration des immeubles le permet-elle ?
Depuis le cyclone Carol, on est dans la continuité avec le béton. Or, surtout aujourd’hui avec la chaleur et l’humidité, la climatisation à base d’énergies fossiles devient problématique. Le changement climatique aggrave le problème, comme un cercle vicieux. Puis, la raison fondamentale est que les contrats avec les IPP arrivent à terme et on ne peut pas les renouveler de la même façon que par le passé.  Sinon, cela reviendrait à promouvoir le charbon, ce qui est inacceptable de nos jours. Ensuite, on laisserait la production entre les mains de quelques personnes, contrairement au principe d’équité et de bonne gouvernance en matière énergétique. La façon dont on construit les routes, les gares, les maisons, le métro, les morcellements, nous oblige à entrer dans un nouveau paradigme.

Est-ce que les Mauriciens sont prêts à relever ce défi ?
Cette question a plusieurs aspects. Il y a une nouvelle génération qui prend conscience d’un nouveau modèle de développement et qui tourne le dos au charbon. Elle souhaite voir surtout des technologies qui permettraient de produire de l’énergie à partir du soleil, comme on a réussi à produire de l’eau chaude  à partir du soleil. Elle aimerait aussi utiliser  des technologies efficaces et intelligentes au niveau de la consommation énergétique, ainsi que la transformation de ces grandes quantités de déchets. Elle veut aussi voyager autrement, ne plus passer des heures dans les embouteillages et respirer des fumées noires et puantes. Et puis, elle veut vivre dans des espaces écologiques où l’air est respirable. Je pense que certains politiciens aussi souhaitent promouvoir une dimension intégrée du développement et ne plus se limiter à l’aspect économique.

Les collectivités locales peuvent-elles promouvoir des projets à base d’énergie ?
Aux États-Unis, en dépit de la politique négative de Donald Trump par rapport à l’environnement, à New York et en Californie, les compagnies et les collectivités, elles, bougent dans le sens du progrès par rapport à l’environnement et le social. Mais, à Maurice, cela n’est pas aussi évident au niveau des collectivités rurales lesquelles ne sont pas autonomes. Mais j’ai espoir que les choses peuvent changer. Par exemple, la réforme électorale ne peut pas être qu’une question relative au Best Loser System, mais elle devrait aussi permettre aux citoyens de décider de la manière dont ils souhaitent voir gérer leurs villes. Et pouvoir y participer. À ce sujet, Rodrigues, grâce à l’autonomie et avec le soutien du CEB, a réussi à implanter des éoliennes. Avant Maurice, on y a aboli l’utilisation du plastique. Ce manque d’autonomie à Maurice explique pourquoi jusqu’ici on n’a pas réussi à mettre en place le tri sélectif des déchets, ce qui nous aurait permis de gérer ceux-ci mais aussi de produire des énergies propres à partir de ces mêmes déchets.

Êtes-vous convaincu que les personnes qui utilisent leurs voitures pour se rendre à leur travail grimperont dans le métro, compte tenu aussi du fait que le nombre de voitures est en hausse ?
C’est une question qui mérite d’être posée. À Delhi, une étude a montré que le modal shift de la voiture vers le métro n’a pas été suffisant, et  le potentiel de réduction de CO2 n’est pas atteint. À Maurice, la réponse à cette attente est de nature philosophique : quelle est notre vision de notre court passage sur  Terre ? Si c’est pour parader, se faire plaisir d’abord, en regardant ses propres intérêts, sa petite famille, c’est alors une vision matérialiste, je crois qu’il y a lieu de désespérer, on ne changera pas les choses. Par contre, s’il y a des gens prêts à épouser le partage et le respect, si on songe aux générations futures et à la nature, il y a là l’élément qui permet à beaucoup de faire un effort pour  que notre engagement ne soit pas un vain mot.

 

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