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Kevin Ramkaloan : «Une législation sur le financement des partis politiques est une nécessité incontournable»

Kevin Ramkaloan

Dans cet entretien accordé au Défi Plus, le CEO de Business Mauritius aborde plusieurs sujets d’actualité économique. Quid de la politique, Kevin Ramkaloan met un point d’orgue sur la bonne gouvernance concernant le financement des partis, un facteur dont il évoque également l’importance pour les institutions chargées de mener l’enquête sur la mort de Soopramanien Kistnen.

Maurice Stratégie prévoit un taux de croissance réel de 7 % pour 2024/25. Le second semestre étant déjà entamé, sommes-nous sur la bonne voie pour atteindre ces prévisions ?
Le dernier rapport de Statistics Mauritius projette un taux de croissance pour Maurice se situant à 6,5 %, tandis que le Fonds Monétaire International (FMI) fait une estimation plus conservatrice à 4,9 %. On note aussi que l’économie mauricienne a enregistré une croissance de 6,4 % au premier trimestre 2024, contre 7,3 % pour la même période en 2023. 

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Au niveau sectoriel, nos opérateurs dans le tourisme s’attendent à une bonne croissance cette année, et le secteur manufacturier confirme une performance supérieure à celle de 2023. Le secteur de la construction connait une période de croissance significative avec les projets publics, ce qui avait expliqué le taux de croissance déjà élevé de 37,4 % en 2023. Pour 2024, la projection ambitieuse de 38,7 % dépendra en grande partie de la rapidité de l’exécution des gros chantiers publics. À noter aussi que ce secteur a un quotient d’importation important.

Comment expliquer que de nouveaux secteurs comme la biotechnologie ou le secteur pharmaceutique peinent à prendre leur marque et apporter une véritable contribution au produit intérieur brut (PIB) du pays ? 
L’émergence d’un secteur commence par la création et le renforcement de son écosystème. Prenons comme exemple la biotechnologie, touchant elle-même à plusieurs autres domaines. La Mauritius Institute of Biotechnology (MIBL) en identifie d’ailleurs plusieurs, dont la biotechnologie rouge qui relève du secteur pharmaceutique ; la bleue qui touche aux applications marines ; la verte liée à l’agri-tech; la blanche à l’application industrielle et la grise qui concerne l’environnement et la biodiversité. Poser les fondations demande un travail approfondi. Par exemple, certains opérateurs ont déjà entamé des projets en collaboration avec des centres de recherche locaux. Il s’agit aussi de développer les compétences, les structures et les cadres institutionnels qui permettront au secteur de prendre son essor. 

J’aimerai ici saluer l’effort de feu Dev Manraj qui avait mené la barre du conseil du MIBL. Il insistait justement sur l’importance de poser des bases solides au développement de ce secteur. Cette étape initiale est critique. Elle permet ensuite aux projets de recherche de se matérialiser en activités économiques réelles. Je pense notamment aux recherches actuelles courantes en biotechnologie qui devraient se concrétiser en application dans la gestion des déchets ou encore la sécurité alimentaire. Ce même schéma s’étend à d’autres secteurs émergents, parmi l’industrie pharmaceutique et le secteur médical. Ces derniers comportent un potentiel conséquent pour le pays et méritent qu’on leur donne les meilleurs moyens de s’accroître. 

Moody’s Ratings a confirmé la note de Maurice à Baa3 lors de sa dernière réévaluation. Les perspectives stables ont été maintenues. Qu'en pensez-vous ?
Cette notation, qui reste en investment grade, est importante pour le secteur financier, mais aussi pour d’autres, comme l’immobilier qui attire de l’investissement direct étranger. À savoir que Maurice est l’un des rares pays de la région subsaharienne à avoir obtenu cette note.

Les évaluateurs de Moody’s indiquent dans le rapport que la mise en œuvre des réformes structurelles qui favorisent durablement la croissance potentielle et permettent une réduction plus rapide des ratios de la dette publique aura un impact positif sur la notation de Maurice. Ce n’est pas la première fois qu’une agence ou institution à l’international fasse de telles propositions. Faut-il voir en cela une défaillance dans l’instauration de réformes structurelles ces dernières années ?
Notre position sur la dette publique se reflète dans notre budget memorandum soumis aux Finances cette année, où nous avions noté que, malgré la baisse du taux de la dette publique, celle-ci reste globalement élevée. Pour la communauté des affaires, les dépenses publiques, et surtout les dépenses récurrentes telles que les pensions et les subsides gagneraient à être cadrés, voire ciblées. Par exemple, toucher une pension avant qu’on ait atteint l’âge de la retraite relève d’une anomalie qu’il faut corriger, même si cela doit se faire dans un délai de temps déterminé. Nous savons que la cherté de la vie aujourd’hui est un problème qui impacte tout le monde, mais certains en sont beaucoup plus affectés que d’autres. Il devient alors encore plus important de s’assurer que les allocations soient ciblées plutôt qu'être dispensées de manière universelle, afin d’être plus justes et équitables.

Quant aux projets d’infrastructure, dans la mesure où les coûts sont maitrisés, les avancées telles que les routes, le tracé du métro ou encore les ponts représentent des investissements fructueux. Ils permettent le désenclavement de certaines régions, la réduction du temps sur les routes, voire même des gains dans la productivité. 

Le projet de loi de finances a été voté par le Parlement le 23 juillet dernier. La Confédération des Travailleurs des Secteurs Publique et Privé (CTSP) a sollicité l’aide de l’Organisation Régionale Africaine de la Confédération Syndicale Internationale (CSI-Afrique) à propos de ce qu’elle qualifie d’initiative dangereuse visant à modifier la législation mauricienne du travail et donner lieu à un nouveau secteur économique à Maurice : le commerce de la main-d'œuvre étrangère. Quelle lecture faites-vous de la situation ? Quelle est l’approche préconisée par Business Mauritius dans le recrutement de travailleurs étrangers ? 
Soyons francs sur ce sujet. Maurice a aujourd’hui une population vieillissante. Autre fait : le taux de chômage actuel est l'un des plus bas de notre histoire, même sans inclure la part significative du chômage volontaire. Cela indique que le nombre de personnes disponibles pour remplir les postes vacants reste relativement faible. Bien sûr, avec l’intelligence artificielle, il y a certains postes qui peuvent être automatisés, mais l’apport humain dans le fonctionnement des entreprises et de l’économie reste impératif. Par conséquent, là où ces postes ne peuvent, pour diverses raisons, être remplis par des Mauriciens, les compagnies se tourneront nécessairement vers la main-d’œuvre étrangère. 

Cela doit bien évidemment se faire dans les meilleures conditions : il faut bien structurer le parcours du recrutement, et de l’engagement des travailleurs, et cela à toutes les étapes. Puis, il faut réduire les contraintes dans le processus. En ce sens, nous accueillons favorablement l’enlèvement des quotas, et la révision des critères pour l’obtention des permis de travail, experts ou techniques. On gagnerait aussi à améliorer le Young Professional Occupational Permit mis en place en 2022 afin de garantir en amont la possibilité aux étudiants étrangers éligibles de travailler dans le pays après leurs études. Cela pourrait même s’inscrire dans la stratégie africaine de Maurice, permettant de créer des liens et des échanges avec le continent. 

Au Parlement en juillet dernier, Soodesh Callichurn a fait comprendre que le réajustement de la relativité suite à la révision du salaire minimum national à Rs 16 500 en janvier 2024 est devenu un impératif. Le ministre du Travail a souligné qu’il est « nécessaire d’ajuster la relativité des salaires sur une base professionnelle plutôt que sectorielle ». Est-ce la formule appropriée ? 
Remettons en contexte les différentes mesures déjà prises. D’abord, la révision du salaire minimum prévue pour 2025 a été avancée d'un an. Lorsqu'il a été fixé, il s'élevait à Rs 15 000 selon le rapport du National Wage Consultative Council, un montant largement supérieur à notre proposition de Rs 13 500. À cela s’ajoute un ajustement salarial exceptionnel en 2023, faisant passer le salaire minimum à Rs 16 500, et une allocation additionnelle de Rs 2 000 a été annoncée, portant le revenu minimum garanti national à Rs 20 000.

Certainement, cette série d’augmentations a un impact non négligeable sur les coûts d’opération des entreprises, mais le sujet va beaucoup plus loin. Aujourd’hui, Maurice tend vers une économie à haut revenu et il faut comprendre la dynamique dans une telle économie entre la rémunération et la productivité.

L’enjeu ici est autour du coût de la main-d’œuvre, en particulier la valeur ajoutée par employé. Plus celle-ci est conséquente, plus l’entreprise se porte bien et plus elle sera capable de mieux rémunérer.  Cependant, à Maurice, le coût de la main-d’œuvre est en hausse libre, ce qui représente un frein important quant à notre compétitivité à l’échelle internationale.

Afin de maintenir l’équilibre, il faut adresser la question de la productivité. À travers des institutions telles que la HRDC, la MQA, la MITD et la HEC, notamment, nous capitalisons sur la formation. Business Mauritius lance en ce sens un programme de Empowerment and Skills Development axé sur la formation aux métiers, surtout pour ceux qui ont aujourd’hui plus de mal à intégrer le monde du travail. Ce sujet est considéré comme une priorité nationale pour la collaboration publique-privée.

Quant à l'ajustement des salaires nécessaire avec chaque augmentation du salaire minimum, les entreprises ont déjà entrepris leur processus interne de mise en conformité. D’après notre dernier survey en mai, 46 % d'entre elles l’avaient déjà effectué. Nous estimons que ce chiffre atteint aujourd’hui les 60 %. Si un seuil minimum réglementaire pour la relativité devient nécessaire, nous devrions utiliser un modèle éprouvé, tel que celui qui avait été mis en place en 2022, suite au rehaussement du salaire minimum en 2020.

Le 30 juillet dernier, la ministre du Commerce, Dorine Chukowry indiquait à l’Assemblée nationale que « l’augmentation continue du coût du fret maritime est un problème complexe et mondial qui échappe au contrôle de mon ministère ». La hausse continue des prix des produits importés est inévitable. Est-ce une situation bénéfique aux entreprises ?
D’après le Global Price Index of All Commodities, le prix des commodités a connu une légère augmentation d’environ 1 % entre juin 2023 et juin 2024. À cela, nous devons ajouter la hausse du prix du fret, mais également la dépréciation de la roupie.

Bien que certains facteurs, comme les prix internationaux, échappent à notre contrôle, nous pouvons néanmoins réagir en restant agiles dans le choix des marques et des pays d'origine de nos produits. Nous pouvons aussi acheter local, ce qui demanderait à ce qu’on soutienne et qu’on structure mieux la production locale. Un bel effort est déjà en cours avec le Made in Moris de l’Association of Mauritian Manufacturers (AMM), un de nos membres partenaires. 

Il y a également l’aspect du taux de change. Cela se situe sous la responsabilité de la Banque de Maurice, mais c’est aussi, en grande partie, lié à la valeur de nos exportations, ce qui ramène le débat sur la compétitivité du pays à l'international. 

La Corporate Climate Responsibility Levy, taxe tant redoutée par les opérateurs du secteur financier, sera appliquée au secteur du Global Business. Quel sera l’impact sur le centre financier local ? Quelles auraient pu être d’autres alternatives pour que l’État augmente ses recettes ?
Mauritius Finance, la voix du secteur Global Business, s’est déjà prononcé sur ce sujet. À noter que pour les fonds internationaux, qui représentent le plus gros segment du secteur en termes de valeur ajoutée, les exemptions partielles qui s’appliquent déjà à leur revenu imposable s’appliqueront aussi au Corporate Climate Responsibility Levy, ce qui, nous comprenons, pourrait réduire quelque peu son impact.  Certains opérateurs ont également demandé à ce qu’il y ait des réformes de fonds en vue des développements récents dans le secteur, notamment avec les réglementations de l’OCDE. 

Au niveau de Business Mauritius, nous considérons que la Corporate Climate Responsibility, lié au Corporate Sustainability Fund, représente un véhicule important dans le combat commun contre l’érosion des côtes. Ce qui est, rappelons-le, une des priorités nationales de la collaboration publique-privé. 

Pas moins de 37 kilomètres du littoral de Maurice ont été lourdement affectés par l’érosion des plages ces derniers temps. Le gouvernement ambitionne de restaurer plusieurs kilomètres de rivage et réhabiliter pas moins de 30 sites dégradés à travers l’île au cours des cinq prochaines années. L’extraction de sable devrait, comme annoncé par Renganaden Padayachy dans son discours du budget, également être permise pour le nourrissage des plages. Les environnementalistes et ONG ne l’entendent cependant pas de cette oreille. Comment trouver le juste équilibre entre la restauration des plages et la préservation de l’environnement ?
Comme mentionné plus haut, le combat contre l’érosion de nos côtes est aujourd’hui un problème pressant, qui demande à ce que des actions soient prises pour relever ce défi de taille.  Le comité technique de Business Mauritius a recommandé en ce sens quatre types de solutions : la recharge sédimentaire ou le replenishment, des solutions fondées sur la nature, les infrastructures matérielles ainsi que le retrait stratégique. 

Dans cette démarche, nous estimons que la loi permettant l’extraction du sable fait partie d’une de ces solutions. Il est entendu que toute recharge sédimentaire sera accompagnée d’un cadrage scientifique robuste et pointu et qu’elle sera conforme aux critères de l’Environmental Impact Assessment. 

Le « Constitutional Amendment Bill » et le « Political Financing Bill » ont été rejetés à l’Assemblée nationale en juillet dernier. Quelle est la position de la communauté des affaires eu égard au financement des partis politiques ? 
Pour la communauté des affaires, une législation autour du financement des partis politiques est une nécessité incontournable. Déjà, les entreprises, les organisations à but non lucratif et les services de l’État sont tous sujets à des normes de gouvernance liées au financement des partis politiques. Pour boucler la boucle, il est temps que les partis politiques adoptent également et formellement ces pratiques de bonne gouvernance. 

Plus d'une cinquantaine de voyageurs réunionnais étaient bloqués à l'aéroport de Plaisance en fin de semaine se terminant au 2 août. Ces derniers ont déploré un manque de communication de la part d'Air Mauritius. Avec les appareils hors service, les annulations de vol ou encore la suspension du Chief Operations Officer (COO) Laurent Recoura, la compagnie paille-en-queue nuit-elle au développement du secteur touristique mauricien ?
N’ayant pas d’informations sur les faits eux-mêmes, il est difficile pour nous d’en parler. En revanche, la connectivité aérienne reste, pour sa part, une priorité pour le pays et une ligne aérienne nationale représente un élément stratégique clé pour Maurice. Mais il sera important de pouvoir optimiser notre connectivité aérienne en identifiant les routes les plus rentables, en explorant de nouveaux marchés, notamment en Asie, et en renforçant la position de la compagnie nationale comme hub régional. 

L’affidavit juré par Vishal Shibchurn concernant la mort de Soopramanien Kistnen est au cœur de l’actualité. Plusieurs personnalités publiques y sont mentionnées. Pensez-vous que la non-élucidation de cette affaire a terni l’image du pays et met en cause l’efficacité des institutions de Maurice engagées contre la criminalité ?
Cela va sans dire que la bonne gouvernance des institutions est fondamentale pour tous les Mauriciens, y compris la communauté des affaires, ainsi que tous les partenaires étrangers. Dans cette affaire, on s’en remet à tout l’écosystème judiciaire pour mener à bien l’enquête jusqu’au verdict. Nous espérons que justice sera faite, et cela rapidement.

 

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