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Kevin Brigemohane : avocat le jour, chasseur de fantômes la nuit

Kevin Brigemohane.

À Quatre-Bornes, un jeune avocat conjugue rigueur judiciaire et passion pour l’inexploré. Entre les salles d’audience et les maisons abandonnées, Kevin Brigemohane navigue entre rationalité et mystère, offrant au public un regard lucide sur les lieux réputés « hantés » de l’île.

Il est 9 heures à Quatre-Bornes. Dans son cabinet feutré, les piles de dossiers s’entassent sur le bureau de Me Kevin Brigemohane. Costume sombre, chemise blanche, cravate ajustée : tout dans son allure reflète le sérieux du métier d’avocat qu’il exerce avec passion et discipline. Mais derrière cette image rigoureuse, se cache une facette plus mystérieuse de ce jeune Mauricien.

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Car lorsque tombe la nuit, Kevin délaisse parfois son Code civil pour une autre forme d’exploration : il parcourt avec un groupe d’amis des lieux que l’on dit « hantés ». Ces endroits forêts sombres, vieilles demeures abandonnées, lieux de culte au milieu des champs de canne, cimetières – font l’objet de rumeurs persistantes à Maurice. Beaucoup en parlent à voix basse, certains y projettent leurs peurs, d’autres les évitent avec soin. Kevin, lui, choisit de s’y rendre, caméra à la main, pour enquêter sur l’existence de ces légendes urbaines ; sont-elles réelles ou fictives ? 

« J’ai toujours été fasciné par les histoires de fantômes et j’ai toujours ressenti un profond besoin de vérité. Mon objectif, c’est de montrer aux gens que derrière une légende se cachent parfois des explications très simples », confie-t-il avec un sourire.

Pour comprendre ce mélange d’audace et de curiosité, il faut remonter le fil de son histoire. Kevin Brigemohane a grandi dans une famille où l’éducation et le respect des valeurs tenaient une place essentielle. Très tôt, il développe une passion pour les films d’horreur et les documentaires sur les activités paranormales. « J’étais ce gamin qui préférait regarder « The Exorcist » ou « Halloween » pendant que mes camarades regardaient des dessins animés », se remémore-t-il en riant.

 Après son HSC, il s’envole pour Londres, où il entreprend des études de droit. Il décroche son LLB et fait ses premières armes dans un environnement cosmopolite, exigeant et compétitif. « Londres m’a appris la rigueur, mais aussi à ne pas avoir peur de l’inconnu. Quand on vit dans une grande ville, on doit développer à la fois son sens critique et son indépendance. » Il y travaille aussi comme manager dans un casino. Un univers particulier, fait de lumières, de stratégies et parfois de tensions, qui lui permet de mieux comprendre les comportements humains.

Kevin décide de quitter Londres pour venir s’installer définitivement à Maurice en 2017. Il commence à pratiquer comme avocat en 2018 se spécialisant surtout sur l’aspect criminel. Ce ne fut qu’après le confinement de 2020 qu’un tournant s’est opéré. « Le confinement a été une période de réflexion. J’ai compris que je voulais utiliser mon temps libre différemment, explorer ma passion pour l’inexpliqué, et surtout partager cela avec les autres », dit le jeune homme. 

Les premières explorations nocturnes

C’est ainsi qu’il forme un petit groupe d’amis – quatre au total – partageant sa curiosité et son goût de l’aventure. Ensemble, ils commencent à arpenter des lieux réputés hantés de l’île. Parmi eux : la rue Béchard, tristement célèbre pour ses rumeurs de présences invisibles ; ou encore le château Koenig à Rivière-Noire, une bâtisse ancienne entourée d’histoires de spectres.

Chaque expédition est retransmise en direct sur les réseaux sociaux. Les ‘lives’ de Kevin attirent des milliers d’internautes, intrigués ou amusés. « Les gens sont curieux. Certains veulent avoir peur, d’autres espèrent que je vais prouver que ce ne sont que des rumeurs. Moi, je ne fais que montrer la réalité : souvent, il n’y a rien. Mais parfois, il y a des sensations étranges », ajoute Kevin. 

Il raconte par exemple cette nuit, près d’un cimetière, où son équipe et lui ont entendu distinctement des pas et des cris lointains. « C’était troublant. On a cherché une explication rationnelle, mais on n’a rien trouvé. Ce genre d’expérience me rappelle que l’inexpliqué existe encore », poursuit l’intervenant.

 Kevin insiste : il ne se considère ni comme un ‘ghost hunter’, ni comme un gourou du paranormal. « Je suis avant tout un avocat. Ma démarche est d’analyser, d’observer et de présenter des faits. Je ne cherche pas à convaincre, mais à montrer. »

Sa méthode est simple : il visite les lieux, filme en continu, décrit ce qu’il ressent et ce qu’il voit. « Je ne fais pas de montage, pas de mise en scène. Je veux que les gens jugent par eux-mêmes. »

Loin de vouloir cultiver la peur, Kevin cherche plutôt à la déconstruire : « Trop souvent, des personnes malintentionnées profitent des superstitions pour manipuler les autres, leur faire peur, voire leur soutirer de l’argent. Ça, je le dénonce fermement. Je n’aime pas qu’on nuise aux autres. C’est pour cela que je fais ces explorations : pour redonner un peu de vérité dans un océan de rumeurs. »

Un engagement éthique et social

L’avocat-explorateur se montre intransigeant lorsqu’il s’agit de dénoncer les abus. Dans sa pratique professionnelle, il défend des causes variées, mais garde toujours un cap : protéger les droits et la dignité des individus. Dans ses « aventures nocturnes », la même logique s’applique.

« Certaines personnes inventent des histoires pour effrayer leurs voisins, ou font croire qu’un terrain est hanté pour dissuader une famille de l’acheter. Ces comportements sont malsains et injustes. Mon rôle, c’est de démystifier ces mensonges. »

Cette position attire à la fois du respect et des critiques. Sur les réseaux, certains admirent son courage, d’autres l’accusent de banaliser des croyances profondément ancrées dans la culture mauricienne. Kevin assume : « Je respecte toutes les croyances. Mais je pense qu’il est important de distinguer la foi de la manipulation. On peut croire au surnaturel, mais il ne faut pas que cela devienne un instrument de peur.  »

Au-delà de ses activités professionnelles et exploratoires, Kevin est un homme profondément attaché à sa ville, Quatre-Bornes. C’est là qu’il vit, qu’il a grandi et qu’il puise son énergie. « Quatre-Bornes, c’est mon point d’ancrage. Ici, les gens me connaissent, ils savent que je ne fais pas ça pour la gloire, mais par passion. »

Son entourage, au début sceptique, le soutient désormais. Ses parents, inquiets de le voir passer des nuits dans des lieux abandonnés, ont fini par comprendre. Ses amis l’encouragent, et son public grandit.

Cette double vie intrigue. Comment un avocat, habitué à manier le droit et la logique, peut-il trouver un tel équilibre dans l’exploration de l’inexpliqué ? Kevin répond sans détour : « La loi et le paranormal ont un point commun : tous deux posent des questions sur la vérité. Dans un procès, on cherche à savoir ce qui s’est vraiment passé. Dans une maison hantée, on cherche à savoir ce qu’il y a vraiment. Dans les deux cas, on part d’histoires, de témoignages, et on essaie de comprendre ce qui est réel. »

Cette comparaison, il l’assume avec une pointe d’humour. « Mes collègues avocats me taquinent parfois : ‘Alors, tu as plaidé avec les fantômes hier soir ?’ Mais au fond, ils respectent ma démarche. »

Et demain ? Kevin Brigemohane ne compte pas abandonner ni le droit, ni ses explorations. Il rêve même d’élargir son projet. « J’aimerais réaliser une série documentaire plus professionnelle, explorer davantage de lieux et inviter des historiens, des psychologues, des architectes. Parce que chaque lieu « hanté » a une histoire. Derrière une maison abandonnée, il y a toujours un passé, des vies, des mémoires. »

 Cette approche culturelle et historique pourrait transformer son projet en véritable outil pédagogique. « Ce n’est pas seulement une question de fantômes. C’est une question de mémoire collective. Comprendre pourquoi un lieu effraie, c’est aussi comprendre notre rapport à la peur, à la mort, au sacré », dit-il.

À travers son parcours, Kevin Brigemohane incarne une figure singulière : celle d’un homme capable de concilier rationalité et passion, rigueur et audace. Avocat respecté le jour, explorateur de l’inexpliqué la nuit, il brouille les frontières entre le réel et l’imaginaire, entre le tribunal et le terrain abandonné.

Son message, au fond, reste simple : « Ne craignez pas l’inconnu, cherchez à le comprendre. »

Et si, parfois, des pas résonnent dans l’obscurité ou que des cris se perdent dans la nuit, Kevin ne s’en effraie pas. Au contraire, il continue à avancer, caméra au poing, le regard fixé sur la vérité, qu’elle soit rationnelle… ou pas.

 

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