Mise à jour December 25, 2025, 4:13 pm

Justice pour tous : Six vœux pour briser le parcours d’obstacles administratifs

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Justice pour tous

Accéder à la justice ne devrait pas être un parcours semé d’obstacles. Pourtant, démarches complexes, délais, coûts et méconnaissance des droits poussent de nombreux citoyens à renoncer. Six juristes partagent leurs vœux pour améliorer cet accès.

Me Khemila Narraidoo : « Numériser les services judiciaires »

Image removed.Pour améliorer l’accès à la justice à Maurice, la priorité de Me Khemila Narraidoo, Partner chez Juristconsult, reste la modernisation et la numérisation des services judiciaires. « L’intégration de la technologie dans notre système judiciaire pourrait grandement faciliter l’accès à la justice pour tous les citoyens. La mise en place de plateformes en ligne pour le dépôt de plaintes, la consultation de dossiers ou encore la participation à des audiences virtuelles réduirait non seulement les déplacements et les coûts, mais aussi la durée des procédures », explique l’avocate.

Selon elle, la numérisation permettrait également une plus grande transparence et une gestion plus efficace des dossiers, garantissant un traitement équitable des affaires. Me Narraidoo insiste aussi sur l’importance de sensibiliser et former les citoyens à l’utilisation de ces outils numériques, pour s’assurer que chacun puisse bénéficier pleinement de ces avancées.

« La modernisation technologique du système judiciaire pourrait transformer l’accès à la justice à Maurice, en le rendant plus accessible, plus transparent et plus efficace pour tous », conclut-elle, en adressant ses vœux de joyeux Noël et de bonne et heureuse année 2026 à l’ensemble des Mauriciens.


Me Irfaan Jadhakhan : « Une justice plus rapide et mieux coordonnée »

Image removed.Me Irfaan Jadhakhan ne mâche pas ses mots. Pour lui, les principales faiblesses du système judiciaire mauricien ne résident pas dans l’absence de lois, mais dans les retards, l’inefficacité de la gestion des dossiers et le manque de coordination entre la police, le parquet et les tribunaux.

« Si Maurice s’attachait sérieusement à l’efficacité et à la responsabilisation, le système s’améliorerait considérablement, sans nécessiter de réforme constitutionnelle radicale », affirme l’avocat.

Un autre point crucial selon Me Jadhakhan est la pratique des accusations provisoires, qu’il considère comme un frein à la rapidité des procédures judiciaires. « À Maurice, pour de nombreuses infractions, il faut des années pour obtenir un jugement. Les accusations provisoires ne devraient pas être systématiques. De nombreuses affaires pourraient être enregistrées et jugées plus rapidement. Cette révision obligerait également les institutions concernées à agir promptement et à traduire les accusés en justice sans délai », explique-t-il.

Selon l’avocat, une gestion plus efficace des dossiers est indispensable. Aujourd’hui, la gestion des affaires par les tribunaux est défaillante : « La plupart des affaires sont reportées faute de personnel et de temps pour les traiter le jour de l’audience. Un nombre raisonnable d’affaires devrait être fixé pour éviter ces reports. Il faudrait recruter davantage de magistrats et de personnel et mettre en place de nouvelles infrastructures », propose-t-il.

Enfin, Me Jadhakhan plaide pour une refonte de la communication entre la police, le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) et les « police prosecutors ». « Les affaires sont fréquemment reportées en raison de l’absence de coordination. À mon avis, comme dans d’autres pays, il faudrait créer une institution dédiée à cette coordination pour garantir la transmission rapide des informations et éviter les retards », conclut-il.


Me Pragatee Kumari Mannick : « Réduire les délais par le biais du numérique » 

Image removed.« L’une des questions les plus fréquentes de nos clients concerne le moment où leur affaire sera entendue, une préoccupation parfaitement compréhensible », souligne Me Pragatee Kumari Mannick (avouée).

Selon elle, lorsqu’un citoyen saisit la justice pour faire valoir ses droits, il est légitime d’attendre une décision rendue dans des délais raisonnables et avec efficacité, conformément aux garanties prévues par la Constitution.

Le problème, note l’avouée, ne réside pas dans le manque de lois, mais dans les lenteurs procédurales et les pratiques dépassées qui rendent la justice souvent lente, coûteuse et difficile d’accès. Elle cite un exemple : « Il n’est pas rare qu’une action simple, telle qu’une plainte with summons, prenne entre deux et quatre ans, voire davantage, avant d’être tranchée ».
Une fois l’affaire engagée, elle entre dans une phase préparatoire appelée pleadings stage ou mise en état, au cours de laquelle les pleadings sont échangés entre les parties.

Cette phase est souvent longue, explique Me Mannick, en raison de demandes répétées de questions et précisions, de late filings et d’objections procédurales. Ces lenteurs augmentent non seulement les coûts pour les parties, mais érodent également la confiance du public dans le système judiciaire.

Pour remédier à ce problème, l’avouée propose l’utilisation systématique et obligatoire de la plateforme de justice électronique, le e-judiciary system. Comme la mise en état repose principalement sur des documents, elle peut facilement être gérée numériquement, ce qui permettrait de réduire considérablement la durée globale des affaires.

Me Pragatee Kumari Mannick insiste également sur la nécessité d’établir des délais clairs et strictement respectés. « Tout manquement devrait être dûment justifié par requête (motions) et, le cas échéant, entraîner l’imposition de frais aux conseils juridiques et aux parties concernées, afin d’éviter que les affaires ne demeurent indéfiniment en suspens », conclut-elle.


Me Alexandre Le Blanc : « Abolir le Protection of Public Officers Act »

Image removed.Me Alexandre Le Blanc est catégorique : son souhait est que Maurice devienne une société plus égalitaire, avec un meilleur accès à la justice. Selon lui, le Protection of Public Officers Act doit être aboli, surtout à une époque où les fautes de certains officiers de l’État, protégés par cette loi, se multiplient.

« En 2026, comme chaque année, les Mauriciens seront confrontés au service public au quotidien : hôpitaux, police, régulateurs, institutions en tous genres. Les fonctionnaires, qui sont eux aussi des citoyens, ont le pouvoir de changer la vie des autres citoyens », souligne l’avocat.

Pour Me Le Blanc, l’accès à la justice implique l’égalité de tous, tant dans la responsabilité que dans la possibilité d’obtenir réparation des préjudices subis. Selon lui, le Protection of Public Officers Act verrouille les portes de la justice, en refusant trop souvent aux citoyens victimes des fautes ou abus de pouvoir des officiers de l’État le droit de se faire entendre.

Il explique que, sous cette loi, la responsabilité d’un citoyen lambda peut être engagée jusqu’à dix ans après les faits. Mais celle d’un officier de l’État ne peut l’être que dans les deux ans suivant la faute. « Cette inégalité devant la responsabilité et la réparation entre les citoyens et les fonctionnaires est une absurdité flagrante en République », conclut Me Alexandre Le Blanc.


Me Hunchun Gunesh : « Une révision de la Legal Aid »

Image removed.Pour améliorer l’accès à la justice à Maurice, l’avoué Hunchun Gunesh pense particulièrement à ceux qui ne peuvent pas se payer les services d’un juriste. Selon lui, les critères de l’aide juridique (Legal Aid) doivent être révisés. 

Actuellement, l’un des critères de l’aide juridique exclut toute personne propriétaire d’un bien immobilier ou autre. Mais beaucoup se retrouvent pénalisés : posséder un terrain ou un autre bien reçu en héritage ne veut pas dire qu’on peut se permettre de retenir les services d’un avocat ou d’un avoué.

Me Hunchun Gunesh estime également que le e-filing devrait être étendu à d’autres instances, comme c’est déjà le cas pour la cour commerciale. Il souhaite aussi que la rotation des juges à la Cour suprême soit mise en place plus fréquemment.


Me Bibi Aaïsha Widad Guness : « Réduire les délais judiciaires »

Image removed.Le vœu prioritaire de Me Bibi Aaïsha Widad Guness serait de réduire significativement les délais dans les instances judiciaires à Maurice. « Justice différée est justice refusée », rappelle l’avocate. Un recours légal obtenu trop tardivement perd sa valeur : les retards excessifs dans le système judiciaire rendent la justice inefficace, causent des préjudices supplémentaires aux parties et peuvent même conduire à l’abandon de l’affaire.

Les délais prolongés entraînent également une dégradation des preuves. Avec le temps, les témoins deviennent parfois injoignables, et les preuves physiques peuvent se détériorer. Ces retards minent la confiance du public dans le système judiciaire.

Pour Me Guness, des initiatives comme la numérisation (e-judiciary) et la simplification des procédures sont essentielles pour accélérer la justice. Mais simplifier la procédure implique aussi de revoir formulaires, protocoles et autres documents officiels, qui devraient être conçus pour aider concrètement les personnes qui doivent les remplir.

« Il faut se rappeler que l’accès à la justice n’est pas un luxe, mais un droit humain fondamental, le socle d’une société juste et équitable », souligne-t-elle. Tout accusé demeure présumé innocent tant qu’il n’est pas juridiquement condamné, et subir des années d’attente, avec ses possibles effets sociaux négatifs, est démocratiquement inacceptable.

« La réduction des délais permet de désengorger les tribunaux, d’optimiser l’utilisation des ressources judiciaires – juges, personnel – et de renforcer l’efficacité de l’ensemble du système », conclut l’avocate.

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