
Face à la débâcle électorale, Joe Lesjongard, seul rescapé du MSM, s’exprime. Le leader de l’opposition revient sur les raisons de cette défaite, les défaillances du nouveau gouvernement et l’avenir du MSM. Il l’assure : le leadership de Pravind Jugnauth n’est aucunement contesté.
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Vous êtes le seul rescapé du gouvernement sortant. Merci au Best Loser System ?
Le Best Loser System fait partie de notre système électoral. Certains Best Losers ont été ministres également. À la suite du résultat de 60 sièges en faveur de l’Alliance du Changement, il était évident que les sièges de Best Losers reviendraient à l’opposition.
Si ce n’était pas moi, cela aurait été un autre candidat de l’Alliance Lepep. Il ne faut pas oublier que deux candidats de l’Alliance Libération de Rodrigues sont aussi des Best Losers et ont choisi de rejoindre les rangs de la majorité.
Le Best Loser System a sa raison d’être, non seulement pour s’assurer que le peuple arc-en-ciel de l’île Maurice est représenté à l’Assemblée nationale, mais aussi pour rééquilibrer en cas d’un 60-0. Bien entendu, quelques améliorations restent à envisager. En effet, 27 % de la population a voté pour l’Alliance Lepep et n’est représentée que par deux élus.
Le vote-sanction provoqué par certains événements que nous connaissons tous a aidé l’Alliance du Changement. On doit en tirer les leçons et avancer»
Le plébiscite de la population pour un 60-0, était-ce une adhésion à l’Alliance du Changement ou un vote-sanction contre le Mouvement socialiste militant (MSM) ?
Il y a eu une adhésion à l’Alliance du Changement à la suite de toutes sortes de promesses que les dirigeants et candidats ont faites pendant la pré-campagne et la campagne. Ils ont gagné sur la base de ces promesses, qu’aujourd’hui ils ne respectent pas. Ce qui les a aussi aidés, c’est le vote-sanction provoqué par certains événements que nous connaissons tous. On doit en tirer les leçons et avancer.
À quoi attribuez-vous cette débâcle ? Est-ce aux divers scandales qui ont parsemé le mandat de l’ancien gouvernement ?
Oui et non. Tous les gouvernements ont connu des secousses. Mais le précédent gouvernement avait un bilan solide, sans oublier qu’il a eu à gérer la Covid. Nous sommes sortis de cette crise en ayant préservé les emplois et assuré les salaires, en augmentant le salaire minimum que nous avions nous-mêmes introduit, ainsi que diverses allocations sociales qui permettaient aux Mauriciens de vivre décemment. Comme je l’ai dit juste avant, la campagne de fausses promesses de l’Alliance du Changement et certains événements, tels que les Moustass Leaks, n’ont pas joué en faveur de l’Alliance Lepep.
Venons-en à la réforme de la Basic Retirement Pension : les contestations sont venues très vite de la rue. Comment expliquer un tel revirement de situation après neuf mois au pouvoir du présent gouvernement ?
Avant même ces neuf mois, c’est la grande désillusion pour la population. L’Alliance du Changement a trahi le peuple. Le 14e mois, comme promis, n’a pas été payé à tous les travailleurs, l’essence n’a baissé que de cinq roupies et le transport n’a pas été rendu gratuit pour tous. Et après les élections municipales, voici que l’éligibilité à la pension de vieillesse a été reportée, pour ceux âgés de 60 ans, à 65 ans.
La pension universelle est sacrée. L’Alliance du Changement n’avait pas annoncé dans son manifeste électoral que la pension serait coupée pour ceux de 60 à 65 ans. Aucune étude sociale n’a été faite avant de prendre cette décision. Ils se basent sur certains pays, mais sur plusieurs points, nous sommes différents de ces pays. Cette décision a été prise sans aucune étude, sans prendre en considération les besoins des citoyens mauriciens, et cela démontre clairement que les décideurs du jour sont déconnectés de la réalité.
Les décideurs du jour sont déconnectés de la réalité»
Le MSM représente-t-il toujours une alternance ou les blessures sont-elles si profondes que ce parti va tarder à panser ses plaies politiques ?
Un 60-0 n’est pas la fin d’un parti politique. Le Parti Travailliste s’est relevé après 82 et le MSM s’est relevé après 95. Je pense qu’il faut reconstruire, ce que nous sommes en train de faire, et avancer. Rester figé dans la défaite n’est pas la solution.
La population a sanctionné le MSM aux dernières élections et il faut l’accepter. Mais la situation sur le terrain a beaucoup évolué depuis. Depuis sa création en 1983, l’agenda du MSM a toujours été social, et le pays a toujours connu du progrès durant ses mandats. Le MSM demeure la seule alternance crédible face à l’Alliance du Changement.
Le conflit entre le numéro un et l’ex-numéro trois de la Banque de Maurice va-t-il ternir l’image financière de notre pays ?
Zot kouma de zanfan ki pe lager enn zouzou. On doit se demander comment les décisions concernant la roupie et le taux repo ont été prises avec un tel conflit au sommet de la Banque centrale. Cela ébranle une institution qui est l’une des plus importantes, sinon la plus importante, de notre économie et de notre système bancaire.
D’un côté, il y a le grand déballage de Gérard Sanspeur et une déposition contre le gouverneur de la BoM. De l’autre, il y a le Deputy Prime Minister qui a publiquement demandé au gouverneur de la BoM de partir. Sans parler des interventions catastrophiques de la BoM sur le marché des changes.
À la place d’un investisseur, iriez-vous placer votre argent à Maurice ? Le choix des nominations est une fois de plus remis en cause depuis la prise de pouvoir de ce gouvernement.
Le MSM demeure la seule alternance crédible face à l’Alliance du Changement»
Il y a eu des nominations, comme celles du gendre du Premier ministre adjoint et de la fille du député Ehsan Juman. Ils se sont finalement désistés après de sévères critiques. Qu’en pensez-vous ?
Le peuple a fait entendre sa voix sur les réseaux sociaux. C’est une bonne chose qu’ils n’aient pas accepté ces postes. Mais fallait-il les nommer ? Quand le Conseil des ministres examine ces nominations, nos dirigeants ne réalisent-ils pas ce qu’ils sont en train de faire ? Le Premier ministre avait promis une politique de « rupture » avec le passé. En fait, il y a eu une rupture entre le gouvernement et son peuple.
Vous aviez été très critique, avec Adrien Duval et Franco Quirin, sur la présence de notre délégation au Parlement panafricain récemment. Vous déploriez le manque de respect envers également l’Union Africaine, qui nous a soutenus dans notre combat pour notre souveraineté sur les Chagos. Pouvez-vous expliquer ce qui a déraillé ?
L’opposition n’a pas été consultée pour la préparation de la liste des parlementaires qui devaient nous représenter au Parlement panafricain. Uniquement des membres du gouvernement y ont été envoyés et, vu que les règles n’ont pas été respectées, ils n’ont pu prêter serment et ont dû rebrousser chemin.
Pour moi, cela a démontré l’amateurisme de ce gouvernement. Et l’image de Maurice sur le continent africain a été entachée par cette maladresse, surtout dans un contexte où nous avions obtenu le soutien des pays africains dans le combat pour la souveraineté sur l’archipel des Chagos.
Nando Bodha, du Rassemblement Mauricien, a lancé un appel pour un rassemblement de toute l’opposition. Le MSM serait-il partant, alors que les autres ont ignoré cet appel ?
Il faut connaître les intentions de chacun et savoir sous quelle forme un rassemblement de l’opposition pourrait se concrétiser. Moi, je n’ai aucun problème à travailler avec ceux qui veulent œuvrer dans l’intérêt du pays.
Jusqu’où ira Bérenger ? Et jusqu’à quand Navin Ramgoolam va-t-il le tolérer ?»
Craignez-vous un coup d’État au sein de l’apparatchik du MSM, dont certains caciques estiment avoir payé un lourd tribut aux dernières législatives à cause du leader Pravind Jugnauth et de « lakwizinn » ?
Absolument pas ! Le leadership de Pravind Jugnauth n’est pas contesté et je ne pense pas que cela sera le cas.
Selon votre lecture, y aurait-il une guerre larvée entre le Premier ministre et le Deputy Prime Minister et, si oui, qui en sortirait gagnant finalement ?
Un Premier ministre gagne toujours face à un ministre. C’est lui qui détient le droit de révoquer ou de nommer un ministre.
C’est clair que depuis le début, il y a un malaise entre les deux. Les commentaires du Deputy Prime Minister déstabilisent le gouvernement et remettent en cause certaines décisions, dont certaines prises au Conseil des ministres. Le Deputy Prime Minister fait de l’opposition au sein du gouvernement. Un pays a besoin de stabilité. Un Deputy Prime Minister qui anime des conférences de presse toutes les semaines pour critiquer les décisions du Premier ministre n’aide en rien à la progression du pays.
Ils ont dit que la caisse est vide. Bientôt un an s’est écoulé et ils n’ont rien fait pour notre économie, à part se chamailler. Je l’ai dit auparavant : Navin Ramgoolam et Paul Bérenger sont deux personnalités complètement opposées et n’ont jamais réussi à travailler ensemble. Jusqu’où ira Bérenger ? Et jusqu’à quand Navin Ramgoolam va-t-il le tolérer ?
Au niveau du ministère de la Santé, la guerre est ouverte entre le ministre Anil Bachoo et le personnel hospitalier, et elle ne serait pas prête de finir. A-t-il joué avec le feu ?
Le ministre effectue des descentes « surprise » dans les hôpitaux de façon régulière et affirme vouloir améliorer le service, ce qui, je pense, est une bonne chose. Par contre, sa publication sur Facebook concernant les médecins a été très maladroite.
Certains médecins font des « shifts » pouvant aller jusqu’à 36 heures d’affilée, voire plus, pour maintenir notre service de santé. D’un seul coup, le ministre a démoralisé l’ensemble du personnel hospitalier.
Un 60-0 n’est pas la fin d’un parti politique (…) Le MSM est en train de se reconstruire. Rester figé dans la défaite n’est pas la solution»
Après Pravind Jugnauth et ses valises remplies d’argent et de bijoux, et son arrestation, voilà que son épouse doit défiler dans les locaux de la Financial Crimes Commission (FCC). Au MSM, on parle de vendetta politique. N’est-ce pas un raccourci trop facile ?
Les membres du MSM sont systématiquement visés pour quelque raison que ce soit. Il y a des enquêtes et on respecte les institutions. Toutefois, on est en droit de se poser des questions. La FCC est en connaissance du cas des nominations des membres du Board de la National Empowerment Foundation depuis plusieurs mois. Avez-vous entendu des développements sur ce dossier ?
La FCC fournit des informations très ciblées à certains membres de la presse et oriente l’opinion publique dans une direction précise. Faisons un petit exercice très simple : à la prochaine secousse au sein du gouvernement et une salve de critiques du public sur une décision impopulaire, et vous verrez qu’il y aura un développement « de taille » à la FCC. C’est devenu une habitude.
Justement, au niveau de la FCC, des arrestations après enquête sont effectuées quasiment tous les jours. Est-ce que cette institution est en train de démanteler une mafia qui a pris ses assises durant des années sous le règne du MSM ?
La mafia a existé sous tous les gouvernements. Laissons ces enquêtes se poursuivre, qu’elles soient bouclées, portées en cour et aboutissent à des condamnations, alors on pourra faire ce genre d’analyse. À Maurice, il existe la présomption d’innocence.
Ces enquêtes ne vont-elles pas s’enliser dans des tiroirs, comme cela avait été le cas avec la défunte Independent Commission against Corruption ?
C’est une question que, je pense, il convient de poser à la FCC.
Paul Bérenger craint des délestages en fin d’année. Est-ce une éventualité ?
Ils sont en poste depuis décembre de l’année dernière. Le Deputy Prime Minister et son ministre de l’Énergie parlent beaucoup de délestage. Disons que cela se produise, quel est leur plan ? Est-ce que le pays va rouler au charbon ?
Maintenant, le Premier ministre est allé au Japon et je comprends que le projet de turbine à gaz est revenu sur le devant de la scène. Et en même temps, le Central Electricity Board (CEB) a lancé un appel d’offres pour une turbine fonctionnant au jet fuel. Mais aucun projet d’énergie renouvelable n’a été lancé à ce jour.
Le ministère de l’Énergie envisagerait de louer des barges pour suppléer notre production d’énergie. Si tel est le cas, quel impact sur notre environnement ?
J’avais posé une Private Notice Question à ce sujet. Il y a des risques et aucune étude d’impact environnemental n’a été réalisée. Même le Deputy Prime Minister a des appréhensions sur ce sujet et avait également souligné les cas de corruption liés aux projets de barges dans le monde. Le ministre de tutelle avait affirmé avoir accompli une mission de deux jours en Turquie, coûtant près de Rs 700 000 à l’État. Je laisse donc le ministre et le CEB assumer leurs responsabilités.
Bientôt un an au poste de leader de l’opposition. Comment décririez-vous cette expérience ?
C’est la première fois que j’occupe ces fonctions en 25 ans. C’est une position-clé à l’Assemblée nationale et pour le pays tout entier. Ce poste m’a permis de prendre de la hauteur. Je suis aujourd’hui le porte-parole de tous ceux qui ne sont pas d’accord avec ce gouvernement, et je peux vous dire qu’ils sont nombreux. Et il y a du travail ! Les PNQ ne manquent pas en ce moment et j’ai hâte d’être à la prochaine session parlementaire.
Serait-ce votre dernier mandat ou comptez-vous rempiler pour une der des der ?
Je ferai tout selon la volonté de Dieu.

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