
La position de Resistans ek Alternativ sur la question de l’éligibilité de la pension universelle (BRP), qui devrait passer de 60 à 65 ans progressivement, interpelle non seulement les syndicats et internautes, mais également l’observateur Jocelyn Chan Low. Pour lui, ce gouvernement n’avait pas de mandat pour toucher à cette pension ancrée dans les moeurs mauriciennes.
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Le débat actuel sur les salaires et avantages des députés intervient à un moment où l’électorat mauricien est profondément désabusé envers la classe politique
Le ministre des Finances est venu avec la décision de repousser l’âge de pouvoir bénéficier de la pension de retraite (Basic Retirement Pension - BRP) de 60 à 65 ans. Les réactions ne se sont pas fait attendre et la grogne enfle. Pourquoi, selon vous ?
Dans le débat en cours, il faut d’abord clarifier une confusion qui s’est installée et qu’on retrouve surtout sur les réseaux sociaux. Ce n’est pas l’âge légal de la retraite qui passe à 65 ans, mais celui donnant droit à la pension de vieillesse universelle, versée par l’État. Cette pension, non contributive, n’est pas liée à la CSG ni au NPF. L’âge légal de la retraite a déjà été avancé à 65 ans en 2008 avec une période de transition se terminant en 2018.
La BRP pèse-t-elle de manière significative dans les finances publiques ?
Le problème de la pension de vieillesse pèse depuis des décennies sur les finances publiques, en raison du vieillissement de la population. Toutefois, la tentative de réforme par ciblage du gouvernement MSM-MMM, vivement critiquée par le PTr, avait conduit à leur lourde défaite en 2005.
L’État-providence était-il remis en question alors ?
La polémique venait du fait qu’on remettait en question un pilier essentiel de l’État-providence mauricien, considéré comme la clé de voûte du modèle économique, social et politique du pays. Il faut rappeler que la Basic Retirement Pension existe depuis avant l’indépendance, avec l’abolition du test de ressources (« Means Test ») en 1958. Dès lors, cette pension est perçue comme un droit acquis, qu’on ne peut abolir ou modifier brutalement sans consultation publique.
Pour répondre aux nouvelles réalités démographiques, Rama Sithanen, alors ministre des Finances sous le gouvernement de Navin Ramgoolam, avait proposé en 2006 une feuille de route prévoyant de repousser progressivement, d’ici 2018, l’âge de la retraite et celui de l’éligibilité à la BRP à 65 ans.
Si la réforme de l’âge de la retraite a bien été appliquée en 2008, le gouvernement s’est gardé de toucher à la pension de vieillesse, conscient du risque électoral que cela représenterait. Rama Sithanen, devenu extrêmement impopulaire, a d’ailleurs été écarté à la veille des élections générales de 2010.
Est-ce qu’aujourd’hui, c’est le moment opportun ?
La victoire écrasante de 60-0 en novembre 2024 peut convaincre certains que le moment est venu d’imposer des réformes drastiques, jugées nécessaires face à l’état préoccupant des finances publiques et au niveau élevé de la dette. Toutefois, le rejet populaire est massif.
Les opposants reprennent du terrain et des divisions apparaissent désormais au sein même de la majorité, comme en témoignent les prises de position d’Eshan Juman et de Khushal Lobine, leader des Nouveaux Démocrates. Étonnamment, Rezistans ek Alternativ, pourtant représentant de la gauche radicale au gouvernement, reste silencieux sur la réforme de la BRP.
Le gouvernement avait-il le droit moral d’imposer cette mesure sans l’avoir annoncée dans son programme électoral ?
Remporter des élections sur la base d’un programme, pour ensuite faire le contraire une fois au pouvoir, peut être vu comme une fraude politique, une trahison majeure envers l’électorat. Le gouvernement, lui, invoque l’ignorance de la gravité de la situation financière du pays et la nécessité de réformes douloureuses, un scénario qui rappelle étrangement celui du gouvernement 60-0 de 1982.
À l’époque, après la publication du State of the Economy et l’échec de sa mission à l’étranger pour obtenir des financements, Paul Bérenger avait proposé des élections générales immédiates afin de faire valider son programme d’austérité. Mais ce sont les députés - et surtout les ministres nouvellement nommés - qui s’y opposèrent farouchement, parfois en larmes.
La décision concernant la pension est-elle unilatérale et prise sans consultation ?
Ce qui fait principalement défaut à cette réforme d’envergure, c’est sa légitimité populaire. Or, on sait que la meilleure gouvernance publique s’obtient en écoutant ceux qui seront directement impactés. Comment alors obtenir cette légitimité en l’absence d’un mécanisme référendaire dans notre Constitution, sinon par de larges consultations avec les syndicats et autres organisations concernées ?
Ces consultations pourraient aboutir à un plan de réforme plus acceptable, étalé sur dix à 15 ans. Celui-ci tiendrait compte de la pénibilité des métiers, des questions de genre, ainsi que de l’état de santé des bénéficiaires potentiels.
Il vaudrait mieux repousser la réforme jusqu’à ce qu’elle bénéficie d’une véritable légitimité populaire obtenue par des consultations larges et approfondies. De plus, l’opposition officielle a déjà promis de l’abroger si elle revient au pouvoir, ce qui remet en question la pérennité de cette réforme, d’autant plus que le mécontentement public pourrait se traduire par un vote sanction lors des prochaines législatives.
Bien sûr, le gouvernement peut avancer en espérant que les réformes budgétaires et la rigueur permettront rapidement d’améliorer le niveau de vie des Mauriciens, grâce au retour d’une forte croissance économique avant les prochaines élections générales. Toutefois, ce pari reste très risqué.
En effet, de nombreuses mesures annoncées dans le Budget sont floues et semblent être un simple recyclage d’anciennes propositions. Moody’s met également en garde : la réduction des transferts sociaux combinée à l’élargissement de la TVA risque de diminuer le pouvoir d’achat et pourrait freiner la croissance économique.
De plus, le contexte international reste très défavorable et pourrait même se détériorer davantage. Des experts en géopolitique estiment que nous sommes entrés dans l’ère du « capitalisme de la finitude », caractérisée par une prise de conscience croissante des ressources limitées. Cela engendre une concurrence exacerbée, marquée par la prédation, la monopolisation des actifs et une militarisation accrue. Les actions de l’ancien président Donald Trump en sont une illustration claire.
Par ailleurs, le retour du protectionnisme entraînera inévitablement une forme de démondialisation, avec pour conséquence un ralentissement du commerce et de la croissance mondiale. De surcroît, la guerre fait son retour sur la scène internationale.
Singapour, influencée par le confucianisme, valorise l’excellence intellectuelle.
Le recul de l’âge de la retraite à 65 ans date de plus de 20 ans, mais aucun gouvernement n’a osé trancher vraiment. Sera-t-il enfin le cas cette fois ?
Évidemment, pour de nombreux analystes, la réforme de l’âge légal de la retraite implique de repousser l’âge d’éligibilité à la pension de vieillesse. Depuis 2008, cela aurait dû être fait avec une période de transition pour mettre fin à cette anomalie qui pèse lourdement sur les finances de l’État.
Mais plusieurs questions restent en suspens : existe-t-il d’autres alternatives ? Fallait-il forcément lier les deux mesures ? Faut-il prendre en compte que l’espérance de vie à Maurice est bien plus faible qu’en Europe ?
Par ailleurs, il ne faut pas oublier que le taux de l’impôt sur les sociétés, qui frôlait les 35 % en 2000, a été réduit à 15 % en 2008, avec la promesse d’une croissance annuelle d’environ 8 %. Or, ce taux est resté généralement autour de 3 à 4 %. Cela a largement contribué au creusement du déficit public.
Le Budget 2025-2026 prévoit certes une augmentation de la pression fiscale sur les hauts revenus et les grandes entreprises. Cependant, dans le contexte économique actuel, on aurait pu attendre un effort fiscal plus marqué de la part des grandes entreprises et des banques, qui réalisent des milliards de profits. Comme le souligne Nita Deerpalsing, tout est avant tout une question de philosophie politique.
Pour sortir de la crise, faut-il que ce soit les « ti-dimoun » qui supportent le fardeau, ou bien les éternels privilégiés ?
Concernant la suppression des aides sociales et la réduction de la pension universelle, il est important de corriger une idée reçue. Certains, qui comparent l’économie d’un pays à celle d’une entreprise privée, qualifient ces mesures sociales d’« obsolètes » ou même de « prime à l’assistanat ».
Or, à l’inverse, avec la révolution de l’intelligence artificielle et de la robotisation, l’idée d’un nouveau pacte social, basé sur un revenu universel de base distribué à tous, indépendamment de l’âge ou des revenus, gagne du terrain auprès des chercheurs et décideurs. Cette tendance est largement documentée, notamment dans des publications comme Forbes ou sur le blog de la London School of Economics.
Face aux pertes massives d’emplois et à la contraction importante du marché du travail annoncées par des institutions reconnues, dont le World Economic Forum, le revenu universel (ou Basic Income) apparaît pour beaucoup comme la seule solution capable d’éviter l’effondrement du système social.
Les pratiques et la culture politique ont largement contribué à ce fossé entre élus et citoyens.
Les internautes réclament un exemple venant d’en haut, avec une réduction symbolique des salaires et avantages des élus. Est-ce souhaitable et réalisable ?
En période de crise, quand l’État demande des sacrifices à tous, comme l’élargissement de la TVA ou la réduction des aides sociales, il est normal que l’exemple vienne d’en haut. Pour freiner les dépenses publiques, il faut d’abord réduire les privilèges des responsables politiques et des dirigeants parapublics, que ce soit sur les salaires ou les avantages comme les voitures « duty free ».
Sous la colonisation, en temps de crise, un prélèvement exceptionnel était même appliqué aux fonctionnaires. Réduire les salaires et privilèges des élus et conseillers suit le même principe, d’ailleurs déjà appliqué par le passé.
À Singapour, les élus bénéficient de salaires élevés pour lutter contre la corruption et attirer les meilleurs talents en politique. Faut-il suivre ce modèle chez nous, ou continuer à payer une « misère » au risque de perdre nos intellectuels ?
Singapour, influencée par le confucianisme, valorise l’excellence intellectuelle : les mandarins étaient choisis via des examens rigoureux, et aujourd’hui, députés et ministres perçoivent de très hauts salaires pour attirer les meilleurs.
À Maurice, la réalité est différente. Les candidats sont d’abord sélectionnés pour leur loyauté envers le leader du parti, puis selon des critères ethniques, sans lien avec leurs capacités intellectuelles. Pourtant, un intellectuel est censé être libre de penser et d’agir. Or, ici, les partis principaux sont souvent des structures personnelles, dominées par un seul individu qui impose sa vision. Comment attirer et surtout garder un intellectuel dans un tel contexte ?
En matière de corruption, il faut souligner que le salaire et les privilèges du Premier ministre mauricien figurent parmi les plus élevés au monde, dépassant ceux de Modi ou de Xi Jinping. Cela n’a pourtant pas empêché deux Premiers ministres d’être poursuivis pour malversations. Bien sûr, ils restent présumés innocents jusqu’à preuve du contraire.
Depuis l’indépendance, tous les gouvernements ont été confrontés à des scandales liés à des allégations de corruption. Par ailleurs, la politique est un business d’un million de dollars, comme le montrent les campagnes électorales. Pourtant, le financement des partis politiques se fait dans une opacité totale, sans cadre légal.
Enfin, comme le disait José Mujica, ceux qui aiment l’argent doivent être exclus de la politique, car faire de la politique, c’est servir le peuple. Si quelqu’un est motivé par l’argent, il doit faire du business, pas de la politique.
Les syndicats, les politiciens extra-parlementaires et le public sur les réseaux sociaux demandent au gouvernement de revoir sa copie et de ne pas repousser l’âge d’éligibilité à la BRP de 60 à 65 ans. Ont-ils tort ou raison ?
Ils ont parfaitement raison. La réforme, telle qu’elle a été présentée, est trop brutale et drastique. Elle a été conçue sans aucune consultation avec ceux qui seront directement impactés.
Selon les chiffres avancés par Roshi Bhadain, plus de 155 000 Mauriciens seront concernés immédiatement. De plus, la mise en œuvre de cette réforme risque de créer un climat politique et social délétère, alors que le pays a besoin d’unité pour surmonter ses difficultés économiques.
Une pause serait donc bienvenue, afin de trouver des aménagements pour rendre la réforme plus acceptable et de mener des consultations pour lui donner une légitimité populaire.
Passons à un autre sujet qui fâche et fait actuellement le buzz sur les réseaux sociaux : la pension à vie contributive accordée aux ex-parlementaires ayant effectué deux mandats. La méritent-ils ?
La politique est avant tout un service rendu à la nation. À l’origine, en Grande-Bretagne, les membres de la Chambre des communes et de la Chambre des Lords ne percevaient aucun salaire. Ils étaient tous des gentlemen, de grands propriétaires vivant de leurs rentes. Avec la démocratisation, d’autres catégories sociales ont pu accéder à la fonction de député, ce qui a conduit à l’introduction d’allocations et de salaires.
À Maurice, une étude prosopographique approfondie éclairerait le public sur les origines, professions et formations de nos parlementaires. Mais, à première vue, les travailleurs manuels ont disparu de l’Assemblée depuis longtemps. Aux médecins, s’ajoutent désormais des avocats, enseignants, comptables et journalistes, tous des professionnels capables de gagner leur vie de manière indépendante.
L’idée de Khushal Lobine, selon laquelle la pension devrait être versée à 60 ans, me paraît tout à fait justifiée. J’ajouterais que si l’âge d’éligibilité est repoussé à 65 ans, c’est à cet âge qu’ils devraient percevoir cette pension.
Selon le témoignage d’un ex-parlementaire ayant accompli quatre mandats consécutifs, il ne perçoit qu’une pension à vie de Rs 35 000 par mois. Est-ce cher payé ?
Il faut relativiser. Un député sans charge ministérielle peut continuer à exercer sa profession, ce qui lui permet de cumuler deux revenus, ainsi que deux pensions, sans compter la BRP. Quant aux ministres, ils bénéficient de salaires et privilèges importants, mais peuvent également reprendre leur métier qu’une fois hors du pouvoir.
Le débat actuel sur les salaires et avantages des députés intervient à un moment où l’électorat mauricien est profondément désabusé envers la classe politique. Les pratiques et la culture politique ont largement contribué à ce fossé entre élus et citoyens.
Ainsi, le nombre de militants fidèles aux partis traditionnels a fortement diminué au fil des années. Deux mois avant les dernières élections, plus de 63 % des Mauriciens ne savaient pas pour qui voter, selon un sondage Straconsult. La volte-face du gouvernement sur ses promesses électorales, notamment la décision de repousser à 65 ans l’âge d’éligibilité à la BRP, ne fait qu’aggraver ce mécontentement.
Un abus existe depuis longtemps : tout parlementaire doit verser 6 % de ses allocations mensuelles à un plan de pension. Pourtant, ceux qui n’ont effectué qu’un seul mandat n’ont droit à aucune pension, et pire, leurs contributions de 6 % ne leur sont pas remboursées. Que faire ? C’est la règle du jeu. Au pire, puisque la « portable pension » existe, on pourrait leur verser une somme proportionnelle à leurs contributions une fois qu’ils atteindront 60 ou 65 ans.

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