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Jocelyn Chan Low : «Le père Grégoire a toujours été un homme religieux controversé» 

Dans cet entretien, Jocelyn Chan Low affirme que l’alliance entre le bloc PTr-MMM-ND et Rezistans ek Alternativ (ReA) vise à restaurer la crédibilité politique du bloc, affaibli par les récents événements et tensions. L’historien et observateur politique souligne que le parti de gauche pourrait renforcer l’alliance en obtenant des sièges significatifs, tout en évoquant les défis liés à cette coopération et l’impact sur les principes de ReA. 

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Les événements survenus mardi à Côte-d’Or, où les manifestants du mouvement « Ran nou later » ont été confrontés aux forces de l’ordre, ont choqué une grande partie de l’opinion publique. Quel impact ont eu ces incidents sur l’état d’esprit des autorités et du gouvernement, d’autant que le Premier ministre ne s’est pas encore exprimé à ce sujet ? 

Les images de ces tristes événements, véhiculées par les médias, sont choquantes, mais il est essentiel de les replacer dans le contexte plus large des débats en cours sur les centres culturels, leur relocalisation de Réduit à Côte d’Or et le rôle de la police dans le maintien de l’ordre par rapport à une manifestation d’opposants à un projet au moment de son inauguration par nul autre qu’un Premier ministre.

Pour ce qui est des centres culturels, j’avais assisté à leur mise sur pied en 2003, ayant été personnellement responsable du Centre culturel mauricien (CCM) à un certain moment. La création des centres culturels était un des grands projets du gouvernement MSM-MMM, contre lequel s’était alors farouchement opposé le PTr qui y voyait une stratégie de diviser principalement la communauté majoritaire. 

Pourtant, après sa victoire en 2005, c’est le CCM qui avait été mis au frigo… Quant aux autres centres culturels, qui sont, en réalité, des « statutory bodies » (organismes parapublics avec un Board of Directors), ils n’avaient pas été fermés, mais ils avaient reçu un « grudging recognition » seulement à la veille des élections de 2010. Et il n’y a pas eu de grands développements infrastructurels dans l’espace qui leur avait été alloué à Réduit sur les terres d’Illovo.

Déjà à l'époque, on avait exprimé des réserves quant à la capacité des centres culturels, dont le CCM, à lever les fonds nécessaires pour la construction de bâtiments dignes de ce nom. En réalité, il incombait au gouvernement de fournir à ces entités parapubliques les infrastructures nécessaires pour mener à bien leurs missions, telles que définies par la législation en vigueur. Cette démarche se concrétise aujourd’hui à Côte d’Or, bien que la décision de les délocaliser de Réduit puisse susciter des débats. 

Les incidents survenus lors de la pose de la première pierre du Centre Culturel Tamoul relèvent avant tout d’un exercice de « policing ». Lorsqu’un petit groupe de manifestants se présente à proximité d’une cérémonie officielle impliquant le Premier ministre, une question se pose : comment doivent réagir les autorités policières pour prévenir tout débordement des deux côtés ? Faut-il les embarquer manu militari s’ils refusent d’obtempérer aux injonctions des policiers présents ? Ou faut-il instaurer un cordon de sécurité pour éviter tout dérapage ? Ce sont des « operational matters » qui dépendent des hauts gradés de la police, surtout de ceux présents sur place.

Comment interprétez-vous le silence du leader du PMSD, Xavier-Luc Duval, sur ce dossier alors qu’en avril dernier, il avait interpellé le ministre Steven Obeegadoo à ce sujet et dénoncé les pratiques du gouvernement ? 

Qui ne sait pas que les discours et les actes des politiciens changent en fonction des conjectures ? Ce n’est pas nouveau dans la vie politique à Maurice que tout change en fonction de l’alliance politique du jour. La question posée à Steven Obeegadoo en avril dernier a offert à ce dernier une occasion en or de mettre les points sur les « i » dans ce dossier et d’annoncer que le gouvernement prendrait en charge la construction des bâtiments destinés aux centres culturels. Le PMSD a délaissé l’alliance de l’opposition parlementaire et s’apprête à rejoindre le camp du gouvernement. Xavier-Luc Duval trouvera sans doute une parade pour expliquer sa nouvelle position. Les politiques le font toujours….

Bien que l’opinion publique considère déjà l’alliance entre le MSM et le PMSD comme acquise, elle n’a pas encore été concrétisée. Selon vous, pourquoi cette alliance tarde-t-elle à se matérialiser ?

L’alliance entre le MSM ainsi que ses alliés et le PMSD est un scénario écrit d’avance. Avant même le retrait du PMSD de la grande alliance de l’opposition parlementaire, il y avait des spéculations sur le sujet. L’histoire de ce parti montre qu’il privilégie le pouvoir. Certes, Xavier-Luc Duval a quitté le gouvernement en 2016 pour défendre un principe démocratique. 

Mais tout leader politique cherche le meilleur moyen de faire élire un maximum de membres de son parti. De ce fait, on voit mal le PMSD rallier l’opposition extra parlementaire. La seule option possible est une alliance avec le MSM et ses alliés. La difficulté réside toutefois dans le fait qu’il a été le leader de l’opposition. Comme l’a appris Paul Bérenger à ses dépens en 2014, un tel « move » politique est extrêmement dangereux. Comment passer de meilleur buteur à gardien de but de l’équipe adverse à la fin du match sans y laisser de plumes ? 

En fait, les conséquences ont été si désastreuses pour le MMM que jusqu’en 2019, et même après, il était pratiquement hors de question qu’il s’allie au PTr de Navin Ramgoolam. On comprend la stratégie du PMSD de réclamer quelques changements importants dans la gestion du pays pour justifier ultérieurement une alliance avec l’alliance au pouvoir. 

Les négociations se poursuivent probablement dans le plus grand secret, car une alliance politique discutée sur la place publique risquerait de connaître le même sort que l’épisode ridicule de « ON/OFF » de 2014 qui a fait tant de mal à l’alliance PTr-MMM. De plus, il est possible que les protagonistes attendent la dissolution de l’Assemblée nationale pour annoncer la nouvelle alliance. Car les récalcitrants, s’il y en a, ne seront automatiquement plus députés et ils n’auront plus de base institutionnelle pour exprimer leur mécontentement. 

Quels compromis majeurs doivent être réalisés pour que l’alliance entre le MSM et le PMSD soit acceptée par leurs bases respectives ? Pensez-vous que ces compromis affaibliront ou renforceront cette alliance ? 

Tout d’abord, il est important d’analyser le contexte de cette alliance. Il est vrai que d’après les sondages, le PMSD ne représente pas plus de 2 % à 3 % des électeurs. Mais il ne faut pas se leurrer. Le poids symbolique du parti de sir Gaëtan Duval, le « roi créole » autoproclamé, dépasse de très loin ces « die-hards ». Il y a des noms et des symboles qui résonnent toujours dans certaines sections de l’électorat. 

Il n’y a qu’à voir la liste des « fils ou filles de » dans la liste des candidats à chaque élection générale… Le PMSD peut ainsi offrir au MSM cette « caution créole » qui lui fait défaut pour affronter les élections plus sereinement, notamment dans certaines circonscriptions urbaines, qu’Alan Ganoo, Ivan Collendavelloo et Steven Obeegadoo, issus de la tradition politique militante, ne peuvent lui offrir. Aristote disait que « la totalité est plus que la somme des parties »… 

L’alliance avec le PMSD fait partie de la stratégie du MSM et de ses alliés de faire peau neuve. Avec ce qui se passe actuellement, on peut se demander si l’accord avec le PMSD ne dépasse pas le cadre de la représentativité inclusive. Comme on l’a dit dans un entretien ici même, le gouvernement se tient sur deux jambes : une très solide qui a trait à un bilan social remarquable – le minimum vital, l’augmentation de la pension de vieillesse, les allocations aux femmes enceintes et aux enfants en bas âge, les logements sociaux, etc. – et une autre quelque peu cabossée avec les allégations de passe-droits, d’entorses à la démocratie et de mauvaise gouvernance. 

Il semblerait que le PM ait décidé d’utiliser la perspective d’une alliance avec le PMSD pour se débarrasser de certains gros boulets que traîne le gouvernement afin d’affronter les élections générales dans les meilleures conditions, tout en renforçant le positionnement du PMSD dans son électorat. Si c’est le cas, c’est une manœuvre politique très brillante.

Cette alliance entre le PMSD et le MSM entraînera également des décisions difficiles pour Pravind Jugnauth vis-à-vis de ceux qui lui sont restés fidèles lors de son dernier mandat. Quel impact auront les sacrifices que Pravind Jugnauth devra faire au sein de ses troupes, notamment en ce qui concerne des figures comme Tania Diolle ? 

Cela a toujours été la coutume pour un Premier ministre sortant de faire peau neuve en se débarrassant de députés et de ministres impopulaires ou peu performants. C’est aussi une manière de contrer les effets de l’usure du pouvoir. Bien sûr, les choses deviennent plus compliquées quand il y a un changement d’alliance. 

Mais au sein du MSM, la situation est particulière. Tout est centralisé autour de Pravind Jugnauth, dont les décisions sont rarement contestées, même par ses alliés. En outre, le choix des candidats, qui interviendra probablement après la dissolution de l’Assemblée nationale, laissera peu de place à la contestation. Les récalcitrants, s’il y en a, ne seront que des citoyens lambda, sans base institutionnelle pour créer des dégâts et sans grande perspective politique alternative.

Du côté de l’opposition parlementaire, l’alliance avec Rezistans ek Alternativ (ReA) se précise. Comment évaluez-vous l’apport de ce parti pour l’alliance PTr-MMM-ND ? Pensez-vous que les autres groupes gravitant autour de ReA suivront le mouvement en soutenant le bloc ? 

Si l’on se fie aux récents sondages, notamment à celui d’Afrobarometer, l’opposition (au même titre que les partis au pouvoir d’ailleurs) souffre d’un déficit de crédibilité significatif et de confiance au sein de l’électorat. Plus de 63 % de la population ne font plus confiance aux partis de l’opposition, un taux qui ne cesse de s’amplifier depuis 2020. Dans ce contexte, le désir d’alliance du bloc PTr-MMM-ND avec ReA est une tentative de retrouver un tant soit peu sa crédibilité perdue. C’est totalement compréhensible. 

En revanche, pour ReA, l’enjeu est plus complexe. Une stratégie d’alliance avec les partis traditionnels ne peut être entretenue que dans le cadre de l’obtention d’une majorité de trois quarts pour apporter des changements systémiques en profondeur, notamment dans la Constitution. Ce que j’avais personnellement souligné au cours d’une intervention dans le cadre des « Konversasion Solider » qui s’étaient tenues au Plaza, il y a quelques années. 

Mais pour que cette alliance soit vraiment efficace, ReA aurait besoin d’un nombre significatif d’élus pour pouvoir influencer les décisions politiques. Après tout, un programme électoral reste un simple bout de papier qui n’a aucun poids institutionnel. La vraie question est donc de savoir si ces conditions sont réunies aujourd’hui. 

Il ne faut pas non plus ignorer le contexte plus large : nous traversons une crise systémique de l’offre politique à Maurice. Les partis traditionnels ne répondent plus aux attentes de la grosse majorité de la population. Cette situation pourrait évoluer après les prochaines élections générales. La situation pourrait bien se décanter après les élections générales. 

Les leaders et leurs partis traditionnels survivront-ils aisément après une défaite électorale ? La situation ne serait-elle pas alors propice à l’émergence d’une véritable alternative politique ? Des figures, comme Roshi Bhadain, se positionnent déjà pour jouer le rôle de locomotive de cette nouvelle force politique. ReA avait aussi de très grandes cartes à jouer pour faire valoir ses idées. Il est donc crucial pour eux de peser les options avec soin. L’avenir politique de Maurice ne s’arrête pas aux prochaines élections générales… 

Cette décision de ReA est également perçue comme une trahison de ses valeurs de gauche révolutionnaire. Comment analysez-vous cette perception ? 

Cette perception découle du fait que ReA a toujours été intransigeant dans son opposition au système politique en place, y compris vis-à-vis des partis traditionnels. D’ailleurs, ReA trouve ses racines dans Lalit, qui avait fait sortir un ouvrage sur le MMM intitulé « Histoire d’une trahison » et qui partageait ses analyses sur le PTr et la bourgeoisie d'État. 

Les problématiques autour du financement de la campagne électorale par de grands intérêts du privé, ainsi que la question du Best Loser System (BLS), renforcent ce sentiment de trahison parmi certains sympathisants de gauche. Certes, un parti peut évoluer. Mais ce n’est pas certain que les sympathisants de gauche suivront. 

Ce scepticisme est d’autant plus marqué que certains acteurs de la classe syndicale de gauche saluent ouvertement les mesures sociales du gouvernement, telles que l’instauration du salaire minimum, les réformes des lois du travail et l’élargissement de l’État-providence.

Le Père Grégoire, figure religieuse souvent entourée de controverses, suscite une nouvelle fois l'attention avec l'annonce de son concert prévu pour le 29 septembre. Pour certains, cette initiative est perçue comme un soutien tacite au gouvernement. Comment interprétez-vous cette initiative dans le contexte politique actuel et pensez-vous qu’elle puisse influencer l’opinion publique en faveur du pouvoir en place ? 

Le père Grégoire a toujours été un homme religieux controversé. On se souvient de son discours au stade de Rose-Hill, lors du lancement de la Fédération Créole Mauricien, de son rôle dans l’unification du PMSD, de ses diverses déclarations à la veille des élections générales à l’instar de « Vote avek leker » ou encore ses références à la « clé ». Aucun homme politique ne songerait à attaquer ouvertement ses prises de position, car dans ce cheminement, il faut voir s’il n’y a que des zigzags ou une constante. Et si oui, laquelle ?  

Les lois de Maurice n’interdisent pas à un homme religieux d’entrer en politique et d’être candidat aux élections, ni même de siéger en tant que député à l’Assemblée nationale. Il y a eu des cas dans un passé pas si lointain. 

Cependant, la hiérarchie catholique l’interdit. D’où la polémique. Mais il reste à définir le terme « politique active ». Est-ce qu’il renferme aussi le slogan « Pa vot blok », comme véhiculé par certains prêtres au cours de la dernière campagne électorale ? Ce sont autant de choses qui mériteraient d’être clarifiées car il semblerait qu’en ce moment, chacun ait son interprétation de ce qui différencie la politique active de la liberté d’expression…

 

 

 

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