Législatives 2019

Jocelyn Chan Low : «Grâce aux réseaux sociaux, le citoyen peut lutter contre le vote buying»

Le politologue et historien, Jocelyn Chan Low, prévoit une campagne intense pour la dernière quinzaine avant les scrutins. Selon lui, il faut néanmoins veiller au grain à l’utilisation à outrance des « money politics » en cette période électorale. 

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À 19 jours des scrutins, l’Alliance Nationale (PTr-PMSD) n’a pas encore rendu publique sa liste de candidats. Cela vous intrigue ?
Oui et non. Pour l’Alliance Nationale, cela n’est guère surprenant, le Parti travailliste (PTr) ayant toujours finalisé sa liste de candidats à la dernière minute, même quand le parti est en alliance. Par exemple en 1995, c’est très tard dans la nuit à la veille du Nomination Day que le candidat du MMM, Motee Ramdass, fut transféré de la circonscription no 11 (Vieux-Grand-Port/Rose-Belle) à Curepipe/Midlands (no 17) pour affronter Gaëtan Duval du PGD. Et c’est la tradition du Parti d’envoyer un grand nombre de candidats potentiels sur le terrain et au leader de faire le choix qu’à la dernière minute en fonction du retour d’informations du terrain. C’est vrai qu’il faut aussi accommoder les alliés, notamment le PMSD et le groupe de Jean Claude Barbier mais les problèmes qu’il pourrait y avoir ne semblent pas insurmontables.

L’Alliance Morisien (MSM-ML) a attendu vendredi pour présenter ses candidats. Est-ce trop tard vue que c’est le Premier ministre qui a choisi la date des échéances ?
Au niveau de l’Alliance Morisien, le retard – ponctué de couacs et de valses d’hésitations et de récriminations de part et d’autre –  est surprenant. Car, on avait l’impression que le gouvernement voulait prendre les partis d’opposition de court en proclamant la dissolution de l’Assemblée nationale subitement et en organisant des snap elections. Mais pour disposer d’un avantage stratégique, il fallait que la machine électorale du camp gouvernemental soit fin prête avec une liste de candidats chocs pour les diverses circonscription déjà établie, programme électoral bien élaborée, etc.  Il est connu qu’au début de chaque campagne électorale, le gouvernement sortant  se trouve dans une posture défensive sur le terrain. Au niveau local, leurs candidats se font rabrouer, quelques fois violemment, au sujet de l’absence des députés et ministres dans la circonscription, sur le manque d’aménités et d’infrastructures locales, sur les promesses non tenues. Et cette période de récriminations peut durer deux à trois semaines avant que la tendance ne s’inverse. Puisque les élections se jouent sur le terrain, localement et non sur les réseaux sociaux devant un ordinateur comme certains le croient, il fallait que les candidats, surtout les néophytes, soient déjà « lor koltar » pour une campagne de proximité. Au cas contraire, le temps risque de leur faire défaut.

Est-ce normal que le leader d’une alliance et, de surcroît, prétendant au poste de Premier ministre n’ait pas encore annoncé dans quelle circonscription il briguera les suffrages ?
Changer de circonscription n’est pas un problème en soi. Plusieurs leaders politiques l’ont fait dans le passé. Gaëtan Duval, par exemple, l’avait fait tout au long de sa carrière politique. Pravind Jugnauth s’étant fait battre au No. 11 en 2005, émigra au No. 8 à la faveur d’une élection partielle en 2009 où il fut élu en grande partie grâce aux votes des travaillistes. Quant à Paul Bérenger, suite à deux défaites consécutives au No. 18, il migra au No. 19. Au sujet de Navin Ramgoolam, je crois qu’il est en train d’agir délibérément de la sorte en laissant planer le flou sur le sujet. Tromper son adversaire, le laisser dans le doute quant à ses intentions, c’est aussi une ruse de guerre que l’on retrouve dans les grands manuels de stratégie à l’instar des « 36 Stratagèmes ».

Le « Vote buying » étant un délit criminel, j’espère que les institutions concernées veilleront au grain.

Le MMM, considéré comme l’outsider de la course et ayant déjà rendu public sa liste de candidats ainsi que ses 20 mesures phares, pourrait-il profiter de ce statut et de cette situation ?
Évidemment, le MMM a marqué des points à travers le choix des candidats où l’on retrouve un bon nombre de jeunes – universitaires, cadres, professionnels, etc. – et de candidates. La manière dont cette liste, qui a fière allure, a été finalisée à travers des débats au sein des régionales des diverses circonscriptions et ensuite par le vote démocratique de l’assemblée des délégués, où tout militant du parti pouvait s’exprimer librement, comme tous les Mauriciens ont pu le constater à travers les réseaux sociaux  et certains journaux en ligne, a décrédibilisé complètement toutes les critiques des ‘tournes casaques’ qui avaient  déserté  le parti , à l’encontre du MMM et de Paul Bérenger. Et avec la publication des 20 points prioritaires d’un prochain gouvernement MMM (en attendant le manifeste électoral complet) contenant des mesures réalistes et réalisables, très loin de la surenchère démagogique, le MMM  a une nouvelle fois démontré ses capacités et son sérieux.

Pensez-vous que le MMM va se réduire au PMSD de 1976 avec une poignée d’élus ?
Absolument pas. La stratégie de ses opposants, surtout celle de Pravind Jugnauth, est de tenter de marginaliser le MMM pour pouvoir rallier une partie de l’électorat mauve afin de compenser les votes qu’il a perdus face au PTr. Car, le MSM et le PTr pêchent dans le même bassin. Mais cette stratégie qui consiste à attirer des transfuges tout en affirmant que Paul Bérenger ne sera jamais Premier ministre est en train de backfire, car ce message peut être perçu de différentes manières par l’électorat. Tous les observateurs objectifs voient sur le terrain le retour d’un grand nombre de militants  au bercail, surtout suite à la décision du parti d’aller seul aux élections. Une dynamique s’est définitivement installée. Et quand on sait que dans une lutte à trois (voire à 4 dans certaines circonscriptions), il suffit de 35 % des voix pour remporter les élections, le MMM peut très bien créer la surprise.

Comment analysez-vous le discours des leaders politiques durant cette campagne ?
Comme l’on pouvait s’y attendre, Pravind Jugnauth et Navin Ramgoolam, tout en faisant de la surenchère quant aux promesses électorales, s’entredéchirent sur leur ‘moralité’ politique à coups d’allégations de ‘scandales’ et ‘d’affaires’. Quant à Paul Bérenger, il apparaît très serein et profite grandement de la situation, car le MMM joue surtout sur l’intégrité et les mains propres de son leader malgré une si longue carrière.

D’après votre expérience, comment s’annonce la deuxième quinzaine de cette campagne électorale ?
Elle sera très intense. La sérialisation des ‘révélations’ ‘d’affaires’ et de ‘scandales’ met celui qui est visé dans une posture très embarrassante, car ses défenses se retrouvent anéantis par de nouvelles révélations. En France, Mediapart a fait tomber bien d’hommes politiques grâce à  cette technique. L’Alliance Morisien va sans aucun doute riposter. Du beau spectacle en perspective, mais qui risque d’accroître la défiance des électeurs vis-à-vis de ces deux blocs. Ce qu’il faudra surveiller au grain, c’est l’utilisation à outrance des « money politics ».

Peut-on réellement dissocier l’argent de la politique en cette période ?
Le « Vote buying » étant un délit criminel, j’espère que les institutions concernées veilleront au grain. Il faut rappeler que dans certains pays, à l’instar de l’Inde ou des Philippines, la Commission électorale organise des campagnes d’affiches contre ce fléau qui est un véritable danger pour la démocratie. Aujourd’hui, grâce aux réseaux sociaux et les caméras des smartphones, chaque citoyen peut aussi  contribuer dans la lutte contre ce fléau. Et finalement avec les dérapages verbaux de certains, couplés à la montée de la fièvre électorale ainsi que l’installation des « bases », on risque de se retrouver avec des cas d’agression et de violence. Déjà, certains journalistes en ont fait les frais. Aux leaders des divers partis de se montrer responsables et d’apaiser leurs partisans.

Par ailleurs, Pravind Jugnauth se compare quotidiennement à Navin Ramgoolam sur la base du sérieux et de l’intégrité. Est-ce suffisant pour convaincre l’électorat ?
L’ennui dans cette argumentation, c’est que les élections générales semblent avoir été organisées précipitamment, tout au moins avant le verdict dans le dernier cas au judiciaire de Navin Ramgoolam, les précédentes affaires ayant été toutes rayées. En outre, le PTr  est en train de répliquer sur le même terrain à coups de ‘révélations’ etc. En fait, les deux campagnes risquent bien de se nullifier mutuellement.

Les « fake news » envahissent les réseaux sociaux durant cette campagne. Peuvent-elles influencer les votes ?
Difficile à dire car l’île Maurice, de par sa petite taille, a toujours été un pays de rumeurs bien avant l’existence des réseaux sociaux…

 

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