Dans cet entretien, le président de Business Mauritius, Jean-Pierre Dalais, revient sur les mesures du Budget 2023-24 qui influencent la croissance du pays. Il aborde aussi la dette publique et le manque de main-d’œuvre.
Après deux années marquées par les répercussions de la pandémie sur l’économie locale, une progression économique de 8,7 % en 2022, est-ce qu’un taux de croissance de 8 % cette année est atteignable ?
Les dernières années ont été marquées par une grande incertitude économique. Actuellement, il y a un certain optimisme concernant une reprise économique. De nombreux secteurs affichent des signes encourageants, dont le tourisme. 1,4 million de visiteurs sont attendus cette année. Il y a aussi un regain de dynamisme dans le secteur de l’exportation qui a enregistré des recettes historiques de Rs 100 milliards en 2022. Si nous souhaitons, par contre, soutenir cette croissance, il nous faudra mettre l’accent sur les activités entrepreneuriales domestiques. Il faut surtout mettre l’accent sur leur adaptabilité à l’exportation.
Plusieurs mesures annoncées dans le Budget 2023-24 pourraient dynamiser davantage l’économie. Business Mauritius a identifié trois domaines prioritaires qui ont été pris en compte dans le Budget. Il y a la réforme fiscale, qui a le potentiel de rendre Maurice plus attractif pour les investisseurs. Ensuite, il y a les mesures pour pallier le manque de main-d’œuvre et pour la rétention des talents. Finalement, les mesures liées à l’énergie qui pourraient stimuler plusieurs secteurs, dont l’agriculture et la TIC-BPO. Toutefois, la projection de croissance de 8 % reste ambitieuse.
Les mesures du Budget 2023-24 auront-elles une influence dans cette quête de croissance ?
Plusieurs mesures du Budget 2023-2024 sont susceptibles d’influencer la croissance. En premier : 50 % de réduction pendant deux ans sur les tarifs d’électricité des entreprises qui visent une utilisation de 100 % d’énergies renouvelables. C’est en faveur du développement durable et inclusif.
Le National Biomass Framework devrait permettre à Maurice de prendre les devants dans la production d’énergies renouvelables. Il redynamisera le secteur agricole. Le Framework doit revoir les prix pour les biomasses non cannières qui restent trop bas pour générer des projets conséquents.
La simplification du processus d’obtention de permis, la numérisation du système du National Electronic Licensing System, le silent consent sont nécessaires. La suppression du ratio entre les travailleurs locaux et étrangers est aussi bien accueillie. Il y a un besoin urgent de main-d’œuvre dans plusieurs secteurs, dont le tourisme et la construction.
Les initiatives pour promouvoir la participation des femmes sur le marché du travail, la formation et les mesures incitatrices pour les jeunes sont louables.
En ce qui concerne la réforme fiscale, l’abolition de la Solidarity Levy et le nouveau système de taxation progressive sur les impôts personnels sont de bonnes mesures. Selon le ministre des Finances, cette dernière pourrait créer une croissance additionnelle de 0,6 % dans le PIB.
Le ministre des Finances prévoit que la dette publique descende à 79 % du PIB en 2023. Quel regard jette Business Mauritius sur le niveau de l’endettement du pays et les répercussions sur le climat des affaires à Maurice ?
Depuis la crise sanitaire, un des objectifs prioritaires pour Maurice est de ramener la dette publique au-dessous de 60 % du PIB. C’était un objectif prépandémique. La dette publique est passée de 85 % à 79 % du PIB cette année. Il faut qu’elle descende jusqu’à 71 % pour atteindre la barre des 60 %. Pour atteindre cet objectif, il est essentiel de prendre des mesures pour accroître la croissance économique. Il faut aussi réduire les dépenses publiques. La dette publique est étroitement liée à notre capacité à générer de la richesse et à la force de notre roupie et au taux d’inflation. Une dette publique équilibrée est essentielle pour la stabilité économique du pays. Les ratios macroéconomiques, dont la dette publique, le taux d’inflation et le déficit budgétaire, doivent être stabilisés. Ce qui renforcera notre résilience face à d’éventuelles difficultés économiques à venir.
Les investissements totaux en 2022 se chiffrent à Rs 113 milliards. Le Budget 2023-24 renferme-t-il suffisamment de mesures pour booster l’investissement dans le privé ?
Plusieurs aspects du Budget créent un environnement attractif pour les investissements. Il y a la réforme fiscale, les mesures concernant la main-d’œuvre et celles en faveur du développement durable et de la transition énergétique. Le Budget soutient les secteurs émergents comme l’industrie de la santé et de la pharmaceutique. Nous pouvons aller plus loin pour booster l’investissement. Un nombre croissant d’entreprises mauriciennes sont implantées dans des pays africains. La mobilité régionale des talents et des étudiants enregistre une croissance intéressante.
Mais, le potentiel de la stratégie de Maurice en Afrique reste encore à exploiter. L’amélioration de notre connectivité maritime et aérienne encouragera et facilitera les échanges avec la région. Elle permettra aussi d’améliorer l’accès à des marchés comme la Chine et l’Inde qui doivent être approfondis. Le Budget n’a malheureusement pas abordé les facilités portuaires. Et, le manque d’efficience dans ce secteur pénalise la compétitivité du pays.
Le secteur de l’immobilier à Maurice a un potentiel important. Une stratégie nationale doit être élaborée pour en tirer profit. Il faut positionner Maurice sur le marché international. La clé réside dans la mise en œuvre de la Project Implementation Monitoring Agency. Il faut s’assurer que les mesures et les projets soient réalisés rapidement.
L’exécution des mesures est la clé pour avoir l’effet escompté. Est-ce qu’une collaboration gouvernement/communauté des affaires pour une stratégie est envisageable ? Business Mauritius s’est-elle montrée entreprenante en ce sens ?
La mise en place des mesures et une vision du développement du pays partagée par les autorités et la communauté des affaires sont primordiales. Cette vision doit être traduite par un plan stratégique et nous accueillons Maurice Stratégie. La communauté des affaires participera pleinement à une collaboration public-privé. Cette dernière est nécessaire.
La réforme fiscale et l’abolition de la Solidarity Levy étaient-elles un mal nécessaire ? Quels sont les impacts qui découleront de cette réforme ?
La Solidarity Levy était une mesure ponctuelle des autorités pour alléger le fardeau de la crise sanitaire. Cette mesure temporaire était nécessaire. Mais elle réduisait l’attractivité du pays par rapport à d’autres centres d’investissement comme Singapour et Dubaï.
La question des ressources humaines préoccupe la communauté des affaires. L’ouverture du pays aux talents étrangers bénéficie d’une place considérable dans les mesures budgétaires. Comment trouver le juste équilibre entre attirer les professionnels étrangers et réduire le taux de chômage sur le plan local qui est estimé à 7,7 % en 2022 ?
Lors des consultations prébudgétaires, la communauté des affaires a mis l’accent sur le manque de compétences et de main-d’œuvre. Ce qui est un frein au développement. Plusieurs activités économiques sont touchées. Le secteur manufacturier, le tourisme et la construction. La « guerre des talents » est un phénomène très présent au niveau mondial. Des entreprises étrangères, du Moyen-Orient, d’Europe et du Canada, par exemple, puisent dans les compétences mauriciennes. Une ouverture de l’économie vers des talents étrangers sert, d’une part, à équilibrer le marché des talents. Elle permet un transfert d’expertise et de compétence. Elle positionne aussi le pays comme destination de travail attrayante.
Maurice possède un vivier de talents : des jeunes et des femmes qui doivent être formés. Nous estimons qu’il faut s’attaquer au problème d’employabilité de façon holistique. STAZ, le programme de stages proposé aux jeunes par Business Mauritius, présente un modèle qui fonctionne. C’est un moyen de connecter les jeunes aux employeurs.
Les femmes représentent un potentiel énorme. Nous travaillons à ce titre avec l’Agence française de développement sur une étude.
L’introduction de la Contribution sociale généralisée, en 2020-21, avait créé des remous au sein de Business Mauritius. L’association a d’ailleurs contesté la constitutionnalité de ce système. Où en est l’affaire devant la justice et quelle sera la marche à suivre de Business Mauritius ?
Étant donné que cette affaire est devant la justice, il est prématuré de déterminer la marche à suivre avant un jugement.
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