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Jean-Marie Richard : «Israël veut redessiner ‘son’ Proche-Orient par la force»

Jean-Marie Richard, observateur de la politique internationale, décrypte les dessous d’une escalade militaire explosive entre Israël et l’Iran. Entre frappes aériennes, ambitions nucléaires, alliances troubles et silence des pays arabes se dessine un théâtre stratégique d’une rare intensité. En filigrane : le spectre d’un nouvel ordre moyen-oriental sous tension où chaque acteur avance désormais ses pions à découvert. 

Le 13 juin, Israël déclenche une attaque surprise d’ampleur contre plusieurs sites nucléaires et cibles militaires iraniennes. Auriez-vous imaginé une riposte iranienne aussi massive, coordonnée et technologiquement sophistiquée ? 
Ce n’était pas une attaque surprise. C’est une agression et je pèse mes mots. Une agression mûrement réfléchie, très bien préparée, avec des infiltrations sur le terrain et des échanges de renseignements. Le déploiement de 200 bombardiers ont permis des frappes massives et précises. L’objectif est clair : limiter, si ce n’est détruire, les capacités nucléaires de l’Iran. 

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Depuis la révolution menée par Khomeini en 1979-80, l’Iran est un cauchemar pour les États-Unis, Israël et leurs soutiens. Le régime des Mollahs est celui à abattre dans la région. N’oublions pas que l’Iran contrôle le détroit d’Ormuz, où transitent 30 % à 35 % du pétrole mondial. 

Il y a eu cette tentative, lors de la guerre Iran-Irak, d’utiliser le régime de Saddam Hussein pour déstabiliser la République islamique. Un conflit de neuf ans et des millions de morts. On sait ce qu’il en est advenu, avec la déchéance de Saddam qui fut longtemps l’objet des faveurs de l’Occident, lequel lui fournissait armes, équipement, formation et technologie. 

N’oublions pas non plus que l’Iran du Shah Reza Pahlavi était considéré comme le gendarme du Golfe, avec une marine très sophistiquée, grâce au soutien des États-Unis et des puissances occidentales. Il en reste encore de beaux vestiges – ce qui me fait dire que les dégâts occasionnés par leurs drones et missiles ne m’ont pas étonné. En revanche, la domination israélienne reste aérienne et technologique. Et cela fait très mal. 

Benjamin Netanyahu a-t-il péché par excès de confiance en considérant l’Iran comme un acteur asymétrique qui réagirait comme le Hamas ou le Hezbollah ? 
Cela fait quarante ans que Benjamin Netanyahu rêve d’attaquer l’Iran. Cette opération a été minutieusement préparée, comme Israël et Tsahal savent le faire. Il est un dirigeant aux abois qui doit à tout prix sauver sa peau face à la justice de son pays. 

Son seul salut, c’est la guerre et les conflits. Son gouvernement ne tient que grâce à la guerre et à ses arrangements avec l’extrême droite, qui le tient en laisse depuis des années. Lui-même extrémiste, il a dû composer avec plus radical que lui. Ces groupes qui terrorisent les paysans dans les territoires occupés, jusqu’à s’imposer sur l’esplanade de la mosquée Al-Aqsa, interdite d’accès lors du récent Eid. 

Vingt ans après l’invasion de l’Irak fondée sur de fausses allégations d’armes de destruction massive, on observe une retenue américaine inhabituelle dans le conflit Israël–Iran. Est-ce par prudence face au soutien de la Chine et de la Russie à l’Iran ?
Trump donne l’impression d’être à la remorque de son « blue-eyed boy » Netanyahu, qui est aux commandes en Israël et qui, pour une rare fois, n’a pas cru utile de demander à son mentor et protecteur de se lancer à l’attaque. Cette valse-hésitation du président américain équivaut, en réalité, à une carte blanche donnée à l’État hébreu pour redéfinir le Moyen-Orient en ouvrant un quatrième front – après Gaza, le Liban, sans oublier la Syrie où Israël demeure très actif, et maintenant l’Iran. 

Le pilote est bien Netanyahu. Mais la question qui demeure est de savoir s’il existe encore une tour de contrôle, alors que tous les protagonistes ne sont pas encore entrés en scène – du moins à découvert. Pour l’instant. Il y a aussi l’Inde de Modi, qui observe de moins en moins à distance.

Le rejet des accusations de Donald Trump par l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) a-t-il contribué à calmer les ardeurs militaires américaines ?
N’oublions pas que Trump a tenté d’entrer en contact avec les Iraniens concernant leur projet nucléaire. Il avait même écrit à l’Ayatollah Khamenei, le guide suprême, mais ce dernier a opposé une fin de non-recevoir assez rapidement. 

En même temps, Israël se montrait irréductible, prêt à monter en puissance et à passer à l’attaque. Cela obligeait Trump à tenter de retrouver une accroche dans la réalisation, par son poulain « émancipé », d’un de ses objectifs avérés : le démantèlement de la capacité nucléaire iranienne. 

Les médias occidentaux semblent plus prudents qu’en 2003. À quoi l’attribuez-vous ? 
Certains ont quand même senti – ne serait-ce que pour Gaza – que le vent tournait. Faute de pouvoir faire tourner le vent, ils ont recentré leur regard sur l’Iran, pour suivre Israël dans ce quatrième front ouvert. Tant que le feu se porte sur l’Iran, Gaza sort du point focal. 

Mais le massacre y continue. Il ne faut pas baisser la garde. Tout cela fait partie d’un plan d’ensemble, avec Israël aux commandes, Trump qui tente de s’y raccrocher et les pays arabes qui voient leur allié objectif – Israël – faire le « sale boulot » pour eux.

Les grandes puissances arabes – Arabie saoudite, Émirats arabes unis, Égypte – ont observé une forme de silence stratégique depuis le début de cette guerre. Avez-vous une explication ?
Personnellement, je suis d’avis que certains dirigeants arabes doivent se frotter les mains. Ils voient leur « ennemi » et « agent déstabilisateur » être aux prises avec Israël, qui est en train de faire le « sale boulot » pour eux – et cela sur le dos, comme nous l’avons constaté depuis le 7 octobre 2023, de Gaza, du Sud-Liban, avec la cohorte de drames que nous ne pouvons ici et ailleurs que déplorer. 

À cet égard, il convient de saluer la réitération de la position de notre diplomatie à la tribune des Nations unies, où cette semaine notre représentant, l’ambassadeur Milan Meetarbhan, a lancé un appel pour l’arrêt de la guerre contre Gaza, la libération des otages et la fin de ce conflit qui a causé 57 000 victimes, des centaines de milliers de disparus et de blessés et le déplacement forcé de deux millions de personnes. Maurice a également demandé la mise sur pied d’une enquête indépendante sur la situation à Gaza, le libre accès à l’aide humanitaire et la création d’un État palestinien.

La démonstration de force iranienne et les limites israéliennes peuvent-elles changer la perception du conflit israélo-palestinien ?
Ne nous faisons pas d’illusions : Israël dispose d’une avance technologique et de la détermination de son gouvernement – énergie du désespoir – en dépit d’une opinion publique qui voit tous les jours des missiles percer leur dôme de protection et subir des bombardements inimaginables il y a peu. 

Mais cela fait désormais partie de la réalité des Israéliens, comme – de manière plus fulgurante – des civils iraniens. Ces derniers, selon les médias « objectifs » occidentaux, seraient fatigués du régime des Mollahs. Je demande à voir, surtout dans la configuration actuelle. Israël veut redessiner « son » Proche-Orient par la force, faisant voler en éclats les principes mêmes du droit international. Oui, nous sommes définitivement dans une phase de transformation. 

Si les États-Unis utilisent Diego Garcia pour attaquer l’Iran, Maurice pourrait-il être perçu comme indirectement impliqué ? 
Techniquement, c’est du domaine du possible – et même du probable – si la situation dégénère. N’oublions pas que jusqu’au 7 octobre, Israël a toujours favorisé le principe des guerres rapides et courtes. Nous savons ce qu’il en est concernant Gaza. Lors de la guerre contre l’Irak, Diego Garcia a été mobilisée, à ce que je sache. 

Alors, qu’est-ce qui empêcherait le Pentagone de recommander à Trump le même scénario ? Contre l’Iran, je ne vois pas cette guerre – où Israël est l’agresseur – se dérouler sans que ce dernier réclame et justifie encore une fois son « droit à se défendre ». Personnellement, tant que les missiles, drones et autres projectiles ne portent pas notre quadricolore, votre hypothèse me paraît improbable. Heureusement pour nous.

Quels sont, selon vous, les scénarios les plus plausibles dans les semaines à venir ? 
Le régime des Mollahs a été touché, amoindri. Sa défense est aérienne affaiblie, son commandement militaire décapité et ses sites militaires réduits. Mais pour renverser le régime, il en faudra encore plus – notamment des troupes au sol. Ce qui n’est pas encore à l’ordre du jour pour Israël, et encore moins pour les États-Unis. 

Enfin, cette guerre signe-t-elle l’acte de naissance d’un nouvel ordre moyen-oriental ? 
Certainement. De ce chaos émergera un ordre nouveau. Mais à ce jour, il est impossible de dire où, quand et au profit de qui. Je note que l’électorat de Trump s’en tient à sa promesse électorale de ne pas s’engager dans un conflit international. 

Je pense néanmoins que son électorat ne le suit pas du tout sur ce point. Cela dit, il existe des maillons faibles dans la région, notamment les monarchies pétrolières, littéralement tétanisées par ce qui se passe actuellement et qui craignent, comme jamais, un embrasement dont elles seraient, à l’instar de l’Arabie saoudite, aux premières loges.

  • Nou Lacaz

 

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