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Jean Claude de L’Estrac : «Pravind Jugnauth se rêve en Little Modi»

L’affaire de « sniffing » a-t-elle pris une dimension géopolitique ? 
L’explication la plus plausible de ce qui s’est réellement déroulée à la Baie-du-Jacotet est venue, cette semaine, de Neermal Saddul, professionnel des télécommunications, nouvellement nommé au conseil d’administration de Mauritius Telecom.

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 Intervenant dans l’émission Focus de la MBC-TV, il a confirmé que le « survey » conduit par les Indiens visait à savoir s’il avait eu infection du réseau de télécommunication. Il n’a pas caché qu’il existe des doutes sur Huawei, le fournisseur unique de toute l’infrastructure de Mauritius Telecom. Ce qui reste incertain, c’est de savoir si l’initiative de ce « survey » vient de Maurice ou s’il s’agit d’une requête indienne. Tout semble indiquer que la demande est venue de l’Inde.

L’autre aspect de l’intervention de M. Saddul, c’est qu’il permet de voir maintenant ce que sera la contre-attaque du gouvernement contre l’ancien CEO de Mauritius. Il lui est reproché d’avoir donné des privilèges exclusifs et indus à la société chinoise alors que la règle avait été jusque-là d’opérer avec une diversité de fournisseurs pour des raisons de sécurité justement. L’exercice de Forensic Audit ne vise qu’à déterminer s’il y a eu maldonne de la part de l’ancien CEO.

Quel est l’intérêt de deux pays émergents du BRICS que sont l’Inde et la Chine dans l’océan Indien ?
Les deux pays émergents et rivaux ont d’immenses intérêts commerciaux et économiques dans la région. L’Inde, puissance régionale, a longtemps considéré l’océan Indien, comme l’océan de l’Inde, son backwater. Sous le gouvernement du Premier ministre Modi, l’armée indienne, soutenue par les Américains, a considérablement renforcé son arsenal militaire. Ce qui lui permet de se poser en garant de la sécurité aérienne et maritime, notamment dans le sud-ouest de l’océan Indien et jusqu’au canal du Mozambique. Le renforcement de sa puissance militaire est une réponse à l’arrivée de la marine chinoise dans la région. L’Inde voit avec la plus grande méfiance l’ambitieux projet de Route de la Soie que les Chinois présentent comme un projet de développement commercial et économique, mais que les Indiens perçoivent comme une volonté de les encercler militairement. Ils craignent maintenant que les Chinois cherchent à espionner leurs activités militaires d’Agalega.

De leur côté, les Chinois dont le commerce et les approvisionnements passent par les routes maritimes de l’océan Indien estiment légitime d’assurer la sécurité de leurs activités sur ces routes. La rivalité est exacerbée à un point que beaucoup de géopoliticiens craignent un affrontement tôt ou tard. Le risque est perçu comme très réel par les deux nations au point où ils ont constitué, l’une et l’autre, des réserves de pétrole en cas d’un blocus sur ces voies de navigation.

La nature des relations économiques avec nos partenaires n’est pas toujours tributaire des enjeux géopolitiques."

Maurice peut-il être l’ami de tout le monde, selon la vieille formule consacrée ? Comment y arriver ?
Nous évoluons désormais sur une corde raide. La base militaire indienne – comme les Indiens, eux-mêmes la décrivent – sur le sol mauricien, change la donne. Maurice ne peut plus prétendre à un statut de pays non-aligné. Elle place Maurice, carrément, dans un camp. Pour l’instant Beijing, un adepte de la realpolitik, ne semble pas s’en offusquer outre mesure. En cas de conflit ouvert entre les deux pays, notre position sera extrêmement embarrassante.

Comment interprétez-vous le silence toujours observé par le Premier ministre, Pravind Jugnauth, est resté silencieux après que vous avez dit qu’Agalega abrite une base militaire ?
Le Premier ministre n’est pas resté silencieux, mais il continue à nier l’évidence. J’ai envie de lui retourner une de ses antiennes préférées : « A nou atann inpe ». Nous verrons quelle sera la parade de Pravind Jugnauth quand les Boeings P-81 de l’aviation militaire indienne inaugureront la nouvelle piste, quand les navires de guerre accosteront, quand les militaires s’installeront, quand de nouvelles restrictions de circulation des habitants entreront en vigueur…

En ce moment, voyez-vous un équilibre en matière de relations économiques entre Maurice et des pays comme l’Inde, la France, les États-Unis et l’Angleterre ?
La nature des relations économiques avec nos différents partenaires n’est pas toujours tributaire des enjeux géopolitiques. Elles sont davantage déterminées par notre structure industrielle et commerciale. L’Angleterre, par exemple, reste un important partenaire commercial de Maurice malgré le contentieux sur Diego Garcia. La Chine est une très importante source d’approvisionnement malgré notre grande proximité avec l’Inde. Ainsi de suite.

Y a-t-il des raisons de penser qu’il existe un partenariat secret entre le gouvernement de Pravind Jugnauth et celui de Narendra Modi ?
Il n’y a rien de secret : Pravind Jugnauth se rêve en Little Modi…

 

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