Même s’il ne prévoit rien de nouveau, Jean-Claude de L’Estrac, ancien ministre, ancien diplomate et auteur d’un ouvrage sur l’archipel des Chagos, explique que si la Cour internationale de justice tranche en faveur de Maurice, l’état mauricien pourra s’appuyer sur cette nouvelle reconnaissance pour faire pression sur les Grande-Bretagne. Selon lui, Maurice pourra donc inciter les Britanniques à négocier.
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Lundi, Maurice défendra le cas des Chagos à la Cour internationale de justice. Est-ce un nouveau tournant dans ce combat ?
Oui et non ! Même si un avis de cette Cour, qui est l’organe juridictionnel de l’Organisation des Nations unies, est non contraignant, il possède une haute autorité morale. C’est pourquoi la Grande-Bretagne a tout fait pour l’éviter. Toutefois, dans le concret, hélas, je ne prévois rien de nouveau.
Quelles sont ses implications diplomatiques ?
La Grande-Bretagne est naturellement très embarrassée par ce procès qui démontrera, à la face du monde, combien les puissants de ce monde peuvent être cyniques et méprisants à l’égard des faibles. Ce procès racontera le dépeuplement brutal d’un territoire colonial et la tentative d’effacer de la carte du monde un petit peuple, simple et besogneux dont elle avait l’obligation de protéger.
Mais au-delà d’une éventuelle condamnation morale, je crains que les choses en restent là. La Grande-Bretagne va sans doute répéter l’antienne d’une rétrocession de l’archipel quand Diego Garcia ne sera plus utile à la défense des intérêts militaires de l’Occident. C’est-à-dire jamais.
La Grande-Bretagne a violé la Charte des Nations unies sur le droit des peuples à l’indépendance»
Aucune chance d’une reconnaissance de notre souveraineté donc ?
Sans aucun doute la Grande-Bretagne a violé la Charte des Nations unies sur le droit des peuples à l’indépendance. Elle n’a pas respecté une résolution de l’Assemblée générale qui interdit à la puissance administrante d’un territoire de le démembrer avant son accession à l’indépendance. Elle a été condamnée par l’Assemblée générale, cela date de 1965 ! Elle en fait fi depuis plus de cinquante ans.
En cas de réussite, est-ce que la souveraineté de Maurice sur les Chagos est garantie ?
Mais non, puisque l’avis de la Cour internationale de justice est seulement consultatif et non contraignant. Il y a des dizaines d’avis de la CIJ qui sont restés lettre morte.
Au fait, qu’est-ce qui va changer pour l’état mauricien ?
Si l’avis est favorable, ce sera une victoire diplomatique indéniable qui renforcera la revendication mauricienne. L’état mauricien pourra sans doute s’appuyer sur cette nouvelle reconnaissance pour mettre une pression additionnelle sur la Grande-Bretagne et l’inciter à des négociations. Maintenant que le gouvernement mauricien a déclaré qu’il ne met pas en cause la base anglo-américaine, américaine en fait, qui se trouve sur Diego Garcia, je pense que notre objectif devrait être le retour des autres îles de l’archipel, aujourd’hui abandonnées, et d’aucun intérêt militaire pour les occupants de Diego Garcia. Il me semble que c’est une éventualité réaliste. Les Chagossiens eux-mêmes, dans une plainte logée devant une Cour britannique, avaient envisagé cette formule.
Qu’est-ce qui va changer dans nos relations bilatérales ?
Manifestement, elles seront très refroidies. La diplomatie devra prendre le relais de la justice.
Au-delà d’une éventuelle condamnation morale, je crains que les choses en restent là.»
Devons-nous craindre des représailles surtout comme l’a dit le Premier ministre à BBC News, « nous avons eu des menaces verbales » ? Et sous quelles formes ?
Ces « menaces », dont on ne connaît pas la portée réelle, ont été exprimées dans le but de dissuader le pays de porter l’affaire devant la CIJ. Maintenant que c’est fait, je ne vois pas la Grande-Bretagne nous déclarer une guerre de cent ans. Les états n’ont pas d’ennemis permanents.
Est-ce que les Britanniques auraient pu éviter d’être traînés devant la Cour de La Haye ?
La position des Britanniques, sous tous les gouvernements, n’a pas changé depuis l’excision. Elle estime que l’excision s’est faite «constitutionnellement» en vertu du droit interne anglais, qu’elle a même obtenu l’accord des autorités de Maurice à l’époque, qu’elle s’est engagée de retourner l’archipel à Maurice quand Diego Garcia ne sera plus utile à la défense de l’Occident. J’imagine que c’est la position qu’elle va défendre devant la CIJ. Est-ce que ces considérations pèseront davantage que les dispositions de la Charte des Nations unies sur la décolonisation et les résolutions de l’Assemblée générale, c’est toute la question.
Pourquoi cette position figée ?
Parce que les Britanniques ont pris des engagements avec les Américains, qu’ils ont été rétribués pour la basse besogne de vider l’île de sa population, et qu’en définitive ce sont les Américains qui décident. Or, la doctrine militaire américaine dont le père est Stud Barber, est fondée sur l’acquisition des îles faiblement peuplées, ou pas peuplées, pour installer des bases et éviter des problèmes politiques. En fonction de ce Strategic Island Concept, les Américains ont acheté un grand nombre d’îles dans les années soixante. Barber considérait Diego Garcia comme un site « proche de la perfection » en raison de sa faible population, « non-blanche », c’est écrit, et facile à évacuer.
Pourquoi tant de peine si Maurice est d’accord que l’Amérique garde Diego ?
Une question du respect de la souveraineté même s’il faut reconnaître que ce combat est né dans les années 70 avec l’avènement du MMM et de la lutte des Chagossiens eux-mêmes pour le droit d’un retour dans leur pays natal. Les Chagossiennes ont été aux premiers rangs du combat. Elles ont été soutenues par les frères Michel, Sylvio et Elie, de l’Organisation fraternelle, par le MMM. J’ai été moi-même le porte-parole d’un Front de Solidarité avec les Ilois qui a négocié avec sir Seewoosagur Ramgoolam, Premier ministre, et qui finira par obtenir des Britanniques une deuxième compensation financière au profit des Chagossiens.
Mais Maurice n’a pas toujours soutenu cette cause. Ce n’est pas être antipatriotique que de rappeler que l’état mauricien avait longtemps admis que Diego Garcia avait été excisée avec son accord. C’est même la raison pour laquelle une motion d’Anerood Jugnauth, alors leader de l’Opposition, en 1981, demandant que l’archipel des Chagos soit inclus dans la définition du territoire de Maurice, sera rejetée par la majorité de l’époque. Ce n’est qu’en 1982 que cela se fera à l’arrivée du gouvernement MMM-PSM.
En soutenant les Chagossiens, pour des raisons morales et humanitaires, l’état mauricien doit sans cesse faire la distinction entre les deux combats.»
Il y a la question de souveraineté, mais quid du droit de retour des Chagossiens ?
Ce sont deux questions distinctes. Il y a une grande confusion dans l’esprit des Mauriciens. Le combat des Chagossiens pour un droit de retour dans l’archipel n’a strictement rien à voir avec la revendication mauricienne de souveraineté sur les îles. On pourrait même arguer que les deux revendications se neutralisent.
Les Chagossiens ont logé plusieurs affaires devant les tribunaux britanniques en arguant qu’ils sont des sujets britanniques qui ont été lésés par une administration britannique. Ils ont contesté, à titre de sujets britanniques, l’ordre du British Indian Ocean Territory, qui ordonne leur expulsion. Ils avaient engagé une procédure pour demander le réexamen, de l’Immigration Ordinance, ce qui avait même été accepté par un juge. Un des arguments avait été que le gouvernement britannique n’a pas le pouvoir d’expulser des citoyens britanniques du territoire national. Il avait été argué, dans un procès logé par Olivier Bancoult, qu’il est un citoyen habitant le BIOT, qu’il a le droit fondamental d’y résider, que ce droit avait été violé par l’Immigration Ordinance.
En soutenant, les Chagossiens, pour des raisons morales et humanitaires, l’état mauricien doit sans cesse faire la distinction entre les deux combats.
Est-ce que la base militaire américaine sur Diego Garcia se justifie toujours ?
Les Américains vont continuer à justifier la nécessité de la base, hier c’était dans le cadre de la guerre froide, la compétition avec l’Union soviétique, aujourd’hui c’est la lutte contre le terrorisme. Les Américains ont investi plus de $ 3milliards dans les installations qui font de Diego Garcia, l’une des plus importantes du point de vue de leur stratégie militaire. La présence renforcée de la marine chinoise dans l’océan Indien est un nouveau prétexte. Pour contrecarrer les Chinois, on discute même à Washington de la possibilité de donner accès aux navires de guerre de l’Inde à Diego Garcia. Une récente analyse dans le très influent The National Interest, revue de politique étrangère, publiée à Washington, explique comment Diego Garcia peut jouer un rôle pivot dans les relations de l’Amérique avec l’Inde.
Cette affaire est infiniment plus complexe que l’on s’imagine à Maurice.
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