
Jean Claude de l’Estrac, ancien directeur général de La Sentinelle Ltée, ex-rédacteur en chef de l’express et ancien ministre, livre son analyse du premier Budget présenté par l’Alliance du Changement à travers Navin Ramgoolam, Premier ministre et ministre des finances. Il considère le discours comme porteur d’un message de responsabilité et de rupture avec les pratiques budgétaires des dernières années, tout en exprimant des réserves sur la capacité de la fonction publique à mener à bien les réformes annoncées. Selon lui, certaines mesures impopulaires, comme le relèvement de l’âge de la retraite, étaient inévitables dans le contexte économique actuel. Il insiste également sur l’importance d’attirer les investissements étrangers pour relancer la croissance.
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Vos impressions sur ce premier Budget de l’alliance du gouvernement ?
Cette question ouverte m’offre un large éventail d’angles de réponse. Je vais choisir celui d’un citoyen engagé qui a une longue expérience des affaires publiques. À ce titre, je pense pouvoir affirmer que ce discours budgétaire est celui d’un homme d’État qui place l’intérêt national au premier rang de ses préoccupations. Vous savez ce que l’on dit : un politicien pense aux prochaines élections, un homme d’État pense aux prochaines générations. Cela dit, je parle du « discours ». Mais j’ai des interrogations sur la capacité de notre fonction publique dans l’état où elle se trouve à pouvoir conduire les réformes ambitieuses annoncées.
Ce ne sont pas des ‘assises’ en nos quatre murs qui feront venir les investisseurs.
Ce Budget suscite beaucoup de réactions négatives au niveau du public. Est-ce justifié ?
Prévisible mais nullement justifié quand bien même compréhensible. Toutes ces dernières années, les Mauriciens ont été gavés d’un argent public que nous n’avions pas mais distribué au prix notamment d’un endettement qui a atteint ses limites et du sacrifice des prochaines générations. Ils ont été amenés à concevoir le Budget comme le temps de la distribution des cadeaux. Il fallait qu’un leader et son équipe les rappellent à la réalité économique. Les ménages savent bien que l’on ne peut éternellement vivre au-dessus de ses moyens.
Sur le plan politique, comment qualifieriez-vous ce Budget ?
Intelligent ! Mais les ministres vont vivre une période politiquement difficile. Dans les mois qui viennent et avant que les résultats escomptés ne se vérifient, il leur faudra un grand savoir-faire communicationnel pour minimiser l’impact négatif des mesures qui fâchent. La mesure la plus impopulaire est sans doute l’extension de l’âge de la retraite. Mais paradoxalement, c’est celle la plus facile à expliquer : le prolongement de la durée de vie, le vieillissement de la population et le renversement de la pyramide des âges.
On voit que c’est un Budget en deux temps. D’un côté, le gouvernement fait entrer davantage d’argent en augmentant les taxes. De l’autre, il dépensera moins en termes de prestations sociales et facilités à disposition des citoyens. Mais est-ce trop, trop vite ?
Je ne le crois pas. Comme disent les Anglais, il faut « cut your coat according to your cloth ». On pourrait même arguer que certains échelonnements proposés pourraient ne pas se matérialiser. Je ne vois pas comment un gouvernement qui ne prend pas, dans la première année de son mandat, toutes les décisions impopulaires, le ferait quand il devra se préparer aux prochaines échéances.
Les Mauriciens ont été gavés d’un argent qu’on n’avait pas
Qu’en est-il des autres mesures ? Y a-t-il suffisamment pour relancer l’économie et créer de nouveaux secteurs d’activité ?
Relancer l’économie, c’est renouer avec la croissance. Une croissance sensiblement plus forte que celle prévue dans le court terme. La croissance dépend de l’investissement en particulier du privé, local et étranger. Les investisseurs étrangers, il faut aller les chercher là où ils se trouvent. C’est ce que Maurice avait su faire avec succès pendant des années. Ce ne sont pas des « assises » en nos quatre murs qui feront venir les investisseurs. Il faut aller les trouver et les convaincre. Je me souviens d’un temps où le ministre de l’Industrie que j’étais faisait littéralement du porte-à-porte auprès d’investisseurs étrangers potentiels.
Ce Budget marque-t-il cette rupture promise durant la campagne électorale ?
Oui, assez largement. Un ton nouveau. Un vocabulaire plus actuel. Mais c’est dans l’exécution que se fera la vraie rupture. Nous avons connu, année après année, les discours suivis de peu d’effets. L’enjeu maintenant est le mode de suivi politique des réformes annoncées et la capacité gestionnaire et créatrice d’une fonction publique devenue l’ombre de ce qu’elle a été.
Peut-on parler d’un tournant néolibéral avec les mesures annoncées, notamment les coupes dans les subventions et la responsabilisation accrue des citoyens ?
Je n’ai pas trouvé une once d’idéologie dans le discours budgétaire sinon la tradition sociale-démocrate de taxer les plus riches en épargnant autant que faire se peut les plus vulnérables. Je ne suis pas certain, cependant, que les plus vulnérables soient vraiment soutenus. Pourtant, je continue à penser que dans un si petit pays comme le nôtre, il est vraiment aisé de mieux cibler ceux qui ont besoin d’aide. Nos pauvres, on connaît leurs noms et prénoms…
Les mesures fiscales introduites pénalisent-elles la classe moyenne et les petits entrepreneurs, selon vous ?
Les petites entreprises déjà en difficulté risquent de subir de plein fouet la nouvelle mesure annoncée. Il y a comme une contradiction : d’un côté, on souhaite leur contribution en matière de substitution à l’importation et de l’autre, on les prend dans le filet d’une taxe nouvelle.
Le gouvernement parie sur un retour de la croissance à travers des investissements publics ciblés. Est-ce réaliste dans le contexte actuel ?
Ce n’est pas suffisant. Il faudrait inciter un bien plus grand nombre d’investisseurs étrangers notamment. Ces investisseurs potentiels existent ; ils sont courtisés de partout. Maurice n’est pas dénué de cartes. Mais ce n’est pas ici que cela se joue. La partie se joue ailleurs. Mais avec des acteurs compétents et séduisants. On me raconte des road shows catastrophiques à partir des prises de parole de nos diplomates…

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