Bien que l’ancien ministre Jean-Claude de l’Estrac dise comprendre les revendications des manifestants contre le coût de la vie, il est d’avis que le recours à la violence n’est pas la solution. Jean-Claude de l’Estrac plaide plutôt pour l’introduction d’un Cost of Living Allowance (COLA).
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En tant qu’ancien ministre et aussi ancien rédacteur en chef ayant témoigné de plusieurs crises sociales au fil des années, quel message pouvez-vous adresser aux autorités, mais aussi aux manifestants qui sont auteurs de débordements depuis mercredi dernier ?
Les autorités sont sourdes, mais je parlerai quand même. En pareilles circonstances, quand les raisons de la colère des Mauriciens sont légitimes, je m’attends à ce que les tenants du pouvoir démontrent d’abord de l’empathie à l’égard de ceux qui n’en peuvent plus. J’ai écouté le propos du Premier ministre qui réagissait à la colère des manifestants, j’ai trouvé qu’il a manqué dramatiquement de considération pour ceux qui manifestent, parce qu’ils peinent à se nourrir.
Certes, le problème de la hausse vertigineuse des prix ne peut être imputé uniquement au gouvernement, mais il paie aujourd’hui les conséquences d’une politique économique et d’une stratégie de communication qui ont prétendu que le gouvernement a les moyens de tout faire. Or, devant l’augmentation des prix de produits d’importation, devant l’augmentation du coût du fret, devant la rareté d’un certain nombre de produits, devant la guerre, il est impuissant ! Ce qui ne veut pas dire qu’il doit rester inerte.
Je ne vois qu’une manière de traiter la question, et on l’a fait dans le passé : il faut réintroduire un Cost of Living Allowance (COLA) pour les plus bas salaires, à financer par le gel de tous les projets de prestige, des investissements publics non prioritaires et par un ensemble de mesures d’austérité qui reconnaisse la gravité de la crise économique et sociale. Si l’on devait considérer que c’est intenable pour des entreprises qui connaissent déjà des difficultés de trésorerie, alors il reste l’option des food vouchers, plus difficile à administrer.
En ce qui concerne les manifestants, après avoir reconnu le bien-fondé des manifestations, on peut déplorer le recours à la violence et plus encore, les manipulations politiciennes.
En ce qui concerne les manifestants, après avoir reconnu le bien-fondé des manifestations, on peut déplorer le recours à la violence et plus encore, les manipulations politiciennes»
Pour les plus jeunes qui n’ont pas vécu la « guerre raciale », ainsi que les émeutes de 99, pouvez-vous faire état des conséquences des actes de violence sur le tissu social, ainsi que sur la situation économique d’un pays ?
Soyons prudents ! Je ne vois pas pourquoi vous évoquez « la guerre raciale ». Mais je vous vois venir. Vous le faites parce que les manifestants sont surtout des résidents des faubourgs : ils ne sont pas une « race » ; ils appartiennent à une classe ! Ils appartiennent, et ce depuis longtemps, aux laissés-pour-compte du pays. Ce sont les Mauriciens les plus méprisés par ministres et fonctionnaires ; leurs enfants sont humiliés par certains enseignants ; leurs vieux sont maltraités dans les hôpitaux publics. Ils sont broyés par le système. Leur colère est grande et cela se comprend. Le Premier ministre doit, urgemment, prendre des mesures spectaculaires pour indiquer qu’il a reçu le message. Faute de quoi, il creusera sa tombe politique.
Que peut faire le gouvernement face aux revendications de la rue, dans le court terme, afin d’apaiser la situation ?
Dans le court terme, je viens de vous le dire, le gouvernement doit trouver le moyen de soutenir financièrement, pour une période donnée, les familles les plus vulnérables. Il faudrait ici, comme ailleurs, une politique de ciblage. Le gouvernement ne peut tout donner à tous. Il a déjà suffisamment endetté le pays en le faisant vivre bien au-dessus de ses moyens. Ça finira mal, très mal pour nous tous. S’il a l’intérêt du pays à cœur, c’est un budget d’austérité qui dit son nom que le ministre des Finances doit présenter en juin. Faut arrêter de faire le matamore !
Face à la colère et aux revendications de la rue, qui sont ceux qui doivent, selon vous, faire le premier pas pour tenter de calmer la situation ?
Le gouvernement, bien sûr. En particulier, le Premier ministre. Il ne peut pas, comme il l’a fait jusqu’ici, résumer les manifestations à une manipulation politique, même s’il est vrai que cette dimension ne peut être occultée. Je vous l’ai dit : un soutien financier ciblé est une mesure susceptible de désamorcer un embrasement toujours possible. Je dis bien « ciblé ».
Le problème de la hausse vertigineuse des prix ne peut être imputé uniquement au gouvernement, mais il paie aujourd’hui les conséquences d’une politique économique et d’une stratégie de communication qui ont prétendu que le gouvernement a les moyens de tout faire»
Le Premier ministre s’est adressé à la nation, vendredi, ce qui semble être un signal de sa part qu’il n’est pas en retrait et qui dit sa préoccupation pour le pays, bien qu’il soit à l’étranger. Mais quelle autre stratégie de communication devrait-elle être mise en place au niveau du gouvernement dans le contexte actuel ?
Son discours est la meilleure preuve d’une certaine déconnexion avec l’ampleur de la crise sociale qui couve. Si on ne peut pas reprocher à Pravind Jugnauth une insensibilité à l’égard des plus vulnérables de la société - il a à son actif des mesures sociales qui ont grandement soulagé divers groupes -, il existe toujours une frange de la population - c’est elle qui est dans la rue - qui ne s’en sort toujours pas. Elle mérite une considération qu’elle n’a pas, une forme de discrimination positive. Mais je sais que c’est un anathème pour ce gouvernement.
La présentation d’un mini-budget, des mesures ciblées telles que des vouchers ou encore des food packs, sont également proposés. Dans quelle mesure est-ce que ces propositions sont pertinentes ?
Je reste sur ma proposition du paiement d’un Cost of Living Allowance ciblé. Le COLA que je propose est relativement simple à appliquer. Elle dit son nom ; elle peut être mise en place rapidement. Elle est proche de l’Additionnal Remuneration Allowance, que le gouvernement a déjà pratiqué. Mais le gouvernement doit, le premier, montrer la voie d’un mode de vie plus austère, plus conforme à la réalité de la situation effrayante dans laquelle nous nous trouvons. Mais je le concède : bon nombre de nos entreprises, notamment dans le secteur d’exportation, qui sont celles qui paient de bas salaires, pourraient être dangereusement impactés par une charge additionnelle. Voilà pourquoi une large consultation nationale est plus que jamais impérieuse. Assez les séances de prestidigitation !
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