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«Je ne suis plus un criminel»: dépénalisation historique de l'homosexualité en Inde

Sourires et larmes de bonheur marquaient les célébrations ce jeudi 6 septembre par la communauté LGBT en Inde de la dépénalisation de l'homosexualité dans la deuxième nation la plus peuplée au monde, cap historique pour l'égalité des droits.

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Que ce soit à Delhi, Bombay, Bangalore ou Calcutta, une même liesse a répondu au très attendu jugement de la Cour suprême indienne. À travers le géant d'Asie du Sud, les participants à de petits rassemblements de la minorité homosexuelle ont manifesté leur joie en agitant des drapeaux arc-en-ciel et en s'effondrant dans les bras les uns des autres (voir notre diaporama).

"Je suis enfin content de pouvoir dire que je ne suis plus un criminel dans ce pays", a confié à l'AFP Abhishek Desai, un gay indien venu devant la Cour suprême à Delhi, se décrivant comme "très très exalté".

Dans une décision à l'unanimité, cinq juges de la plus haute instance judiciaire du pays ont considéré qu'un vieil article de loi ne pouvait plus interdire les relations sexuelles entre adultes consentants de même sexe, car enfreignant leurs droits fondamentaux garantis par la Constitution.

"Nous devons dire adieu aux perceptions, stéréotypes et préjudices profondément ancrés dans l'esprit de la société", a déclaré le président de la Cour suprême Dipak Misra, dénonçant une disposition "devenue une arme de harcèlement contre la communauté LGBT".

Selon le code pénal indien, datant de l'ère coloniale britannique et fruit de la morale victorienne, l'homosexualité était sur le papier passible de prison à vie. Dans la pratique toutefois, les poursuites judiciaires étaient rarissimes.

En un siècle et demi d'existence, moins de 200 personnes ont été poursuivies au titre de l'article 377 du code pénal, qui prohibe tout "rapport charnel contre l'ordre de la nature", note l'arrêt de la Cour.

Le gouvernement nationaliste hindou de Narendra Modi, conservateur sur les sujets sociétaux, est resté silencieux sur le jugement. Il avait choisi de ne pas se positionner sur la question et de laisser la dépénalisation de l'homosexualité à l'appréciation de la justice.

Si une scène homosexuelle discrète mais vibrante existe dans les grandes villes d'Inde, les rapports sexuels entre hommes ou entre femmes restent toujours très mal vus en Inde. Au jour-le-jour, la vie pour la communauté LGBT risque de peu changer tant l'homosexualité reste un stigmate dans la société indienne, aux valeurs profondément conservatrices.

Les organisations religieuses, toutefois confondues, combattaient farouchement cette dépénalisation. "Le jugement ne changera rien sur le terrain. Vous ne pouvez pas changer l'état d'esprit des gens avec le marteau de la loi", a déclaré à l'AFP Pandit Ajay Gautam du groupe radical Hum Hindu.

L'Histoire doit des excuses

"J'applaudis les braves militants, organisations de la société civile et groupes communautaires qui ont bataillé dur et longtemps pour que cette injustice soit réparée", a déclaré dans un communiqué Michel Sidibé, directeur exécutif de l'ONUSIDA.

Cette décision de la Cour suprême vient conclure un marathon judiciaire aux multiples rebondissements entamé il y a près de vingt ans.

La dépénalisation de l'homosexualité avait été prononcée une première fois en Inde en 2009 par la Haute Cour de Delhi, un jugement salué à travers le monde. Pourtant, en 2013, renversement de situation: la Cour suprême casse cette décision pour des raisons légalistes.

Ce retour en arrière cause un grand émoi parmi les défenseurs de la dépénalisation, qui engagent alors de nouveaux recours judiciaires.

La dépénalisation ordonnée jeudi par cette même Cour suprême était largement escomptée par les observateurs. Sa jurisprudence ces dernières années penchait en effet en sa faveur, avec notamment la reconnaissance d'un troisième genre pour les transgenres et la sanctuarisation du droit à la vie privée.

"C'est la première étape de l'histoire de beaucoup d'autres pays qui ont d'abord dépénalisé les relations homosexuelles, autorisé les unions civiles puis le mariage", estimait lors d'une récente interview à l'AFP Keshav Suri, patron du Lalit Hotel de New Delhi et l'un des principaux plaignants du dossier devant la Cour suprême.

"C'est une longue bataille pour arriver à l'égalité des droits mais je suis sûr que nous y arriverons à la fin", avait-il déclaré.

"Je ne veux pas avoir l'air pessimiste mais je ne pense pas que je verrai le mariage gay (en Inde) de mon vivant", a toutefois confié à l'AFP le chorégraphe Mandeep Raikhy, dont les spectacles traitent de l'homosexualité.

Environ 70 États à travers le monde criminalisent encore les actes homosexuels, selon des chiffres de l'Association internationale des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, trans et intersexes.

Dans son jugement ce jeudi, l'un des magistrats indiens a estimé que "l'Histoire doit des excuses à cette communauté (LGBT) et à leurs familles, pour le retard à corriger l'ignominie et l'ostracisme dont ils ont souffert à travers les siècles".

AFP
 

 

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