
À Maurice, Adel vit caché avec sa fille de 4 ans. En France, un mandat d’arrêt international pèse sur lui pour enlèvement. Son crime, dit-il, est d’avoir voulu protéger son enfant d’un placement injustifié.
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L’écho des cris résonne encore dans la tête d’Adel (prénom d’emprunt). Ce 5 décembre 2023, dans les couloirs aseptisés de Roissy Charles-de-Gaulle, en France, sa fille de 4 ans, Naïla (prénom d’emprunt), hurle son prénom, tandis que des agents en uniforme l’arrachent littéralement de ses bras. « Elle hurlait ‘Papa, ne me laisse pas !’, et ils me l’ont arrachée des bras comme un vulgaire voleur d’enfants… » La voix de ce Mauricien de 33 ans tremble encore quand il raconte cette scène. Son crime ? Avoir voulu protéger son enfant.
Aujourd’hui, père et fille vivent reclus à Maurice, ayant fui la France. Voici leur histoire.
Tout commence en 2020, en France. La pandémie frappe. Une jeune mère française de 29 ans lutte contre le Covid et les difficultés sociales. Adel, tente de maintenir l’équilibre familial autour de leur bébé, Naïla, née en novembre 2020. Quand les services sociaux proposent une aide éducative, le couple accepte.
Mais l’aide promise se serait rapidement transformée en surveillance oppressante, affirme Adel. « On était surveillés comme des délinquants. Pourtant, ma fille allait bien », soutient-il. Les visites se multiplient, les questions s’accumulent, la pression monte.
À bout de nerfs, le père finit par refuser de poursuivre ce dispositif qu’il vit comme une intrusion. La réaction ne se fait pas attendre : « C’est là que les menaces commencent. On me dit que si je n’obéis pas, ma fille sera placée. »
Le 1er juillet 2021, le procureur de la République saisit le juge des enfants. Motif : des inquiétudes rapportées par la CRIP (Cellule de recueil des informations préoccupantes) sur le « climat familial ». Le 22 septembre, une mesure d’investigation (MJIE - mesure judiciaire d’investigation éducative) est ordonnée.
Adel ne comprend plus rien à ce système kafkaïen : sa fille va bien, aucune trace de maltraitance, et pourtant l’étau se resserre. Pris de panique, il prend la décision de regagner l’île Maurice. Entre-temps, le 15 octobre 2021, alors que l’enfant est déjà à Maurice, le procureur ordonne son placement d’urgence à l’Aide sociale à l’enfance...
Pendant 16 mois à Maurice, père et fille goûtent à la sérénité. Adel ne coupe pas les ponts avec la France pour autant. En 2022 et 2023, il revient même avec des visas touristiques pour que Naïla puisse voir sa mère. Tout se passe bien. Aucun incident à signaler.
En 2023, la compagne d’Adel accouche d’un garçon en France. Mais les services sociaux, échaudés par la « fuite » de Naïla, ne prennent aucun risque. L’hôpital alerte un juge. Le nouveau-né est placé dès sa naissance. C’est là que l’administration se souvient de Naïla. Toujours considérée comme « recherchée », la fillette de 4 ans devient soudain une priorité. Quand Adel revient en France, ce 5 décembre 2023, sa fille lui est arrachée et conduite vers un foyer de Bobigny.
Un an de calvaire institutionnel
Adel joue le jeu. Il respecte les visites médiatisées, fournit tous les certificats médicaux demandés. Les conclusions sont unanimes : la petite Naïla est en parfaite santé. « Pas une trace de maltraitance, de négligence, rien ! » confirme son avocat, brandissant les rapports médicaux. Mais la juge des enfants de Bobigny reste inflexible. Sa crainte ? Qu’Adel reparte avec sa fille vers Maurice. Alors l’enfant reste en foyer.
Les visites deviennent un supplice pour la fillette. « Ma fille pleurait à chaque visite. Elle ne voulait pas retourner là-bas », raconte Adel, la gorge serrée. Puis viennent les révélations qui glacent le sang : « Elle m’a dit qu’on lui faisait mal… qu’on lui touchait le bas du ventre. Un jour, j’ai vu l’homme de la famille d’accueil l’embrasser sur la bouche. »
Adel alerte immédiatement l’Aide sociale à l’enfance. Lettres recommandées, coups de téléphone, rendez-vous… Aucune suite. Un jour, Naïla se blesse gravement au pouce. Opération d’urgence. Pour Adel, c’est la goutte d’eau : « Je ne pouvais plus la laisser là-bas. Je devais la sauver. »
C’est ainsi que lors d’une visite classique, il récupère sa fille et disparaît dans les rues de Paris. Commence alors une course contre la montre à travers l’Europe. Destination : la Turquie, par voie terrestre. De là, retour vers Maurice et la liberté. L’évasion réussit. Père et fille retrouvent leur île, leur paix. Mais au prix fort : un mandat d’arrêt international pèse désormais sur Adel. « On me traite comme un criminel. Mais si sauver son propre enfant est un crime, alors que reste-t-il de la justice ? »
Dysfonctionnements et failles du système
Dans leur maison à Maurice, Adel vit avec Naïla tenaillé par la peur. La justice mauricienne, saisie de l’affaire, examine ce dossier où s’entremêlent droit français et souveraineté mauricienne. En France, le silence règne. Pas un média pour s’emparer de cette histoire qui révèle, selon Adel, les dysfonctionnements du système de protection de l’enfance : une ordonnance appliquée après la fuite de l’enfant, un placement maintenu malgré l’absence de maltraitance, des signalements de sévices ignorés… Autant de failles qui interrogent le père.
« C’est un cri d’alarme », lance Adel. « Je ne suis pas un ravisseur. Je suis un papa qui a fait ce que n’importe quel être humain aurait fait : protéger son enfant. »
Me Nando Bodha : « Le bien-être de l’enfant est le plus important »
Représentant la famille aux côtés de Me Kailash Trilochun et de l’avouée Jhenita Beegoo, Me Nando Bodha insiste sur un point central : « La question la plus importante reste le bien-être de l’enfant. »
Il rappelle que cette affaire soulève des enjeux juridiques internationaux, notamment en raison de la Convention de La Haye, dont Maurice et la France sont signataires. Ce traité régit le retour des enfants dans leur pays de résidence habituelle en cas d’enlèvement transfrontalier. Par ailleurs, l’affaire est compliquée par une accusation d’enlèvement portée en France, ce qui pose la question d’une éventuelle extradition. Une convention bilatérale signée en 2022 entre Maurice et la France, ratifiée par cette dernière en février 2024, encadre ces démarches.
Les autorités mauriciennes, en particulier la Child Development Unit (CDU), ont reçu un dossier complet de l’Aide sociale à l’enfance, l’institution française compétente. Me Bodha indique avoir tenu des réunions de travail avec la CDU pour préparer un dossier destiné à être présenté en cour. L’objectif est de défendre la possibilité pour l’enfant, déjà scolarisé à Maurice, de rester dans l’île au sein de sa famille élargie. « Nous faisons tout notre possible pour présenter les meilleurs arguments afin que l’enfant puisse continuer à vivre à Maurice », a-t-il déclaré.
L’affaire ne se limite pas à la question du retour de l’enfant. Me Bodha a également rencontré des représentants de la Brigade pour la protection de la famille pour discuter du délit présumé d’enlèvement. Ce cas, que l’avocat qualifie de « dramatique et exceptionnel », nécessite une analyse approfondie de tous les aspects légaux et humains.

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