Jayen Chellum, secrétaire général de l’Association des consommateurs de l’île Maurice, est un militant inflexible pour les droits des consommateurs. Des combats, il en a connu. Il a souvent fait entendre sa voix, que ce soit lors des conférences de presse, sur des radios ou lors de marches pacifiques dans la rue. Malgré des défis personnels et professionnels, il a dédié sa carrière à défendre les sans-voix. À 75 ans, il reste prêt à poursuivre la lutte. Voici son parcours.
C’est quelqu’un qu’on ne présente plus. Son nom figure souvent dans la presse qui le sollicite pour son avis éclairé. Des combats, il en a connu. Il a souvent fait entendre sa voix pour défendre les intérêts des sans-voix. Ceux le côtoyant pourront le confirmer : Jayen Chellum n’est pas de ceux qui abdiquent face aux difficultés.
Bien au contraire, le secrétaire général de l’Association des consommateurs de l’île Maurice (Acim) est un homme de conviction aux multiples facettes. Son tempérament, il le doit à ses parents qui l’ont inspiré à militer contre l’injustice. Sa force, il la puise dans le soutien indéfectible que lui apportent son épouse Devina et ses deux enfants.
Un brin philosophique, il fait ressortir que derrière la réussite de chaque homme, il y a une femme forte. « Mon épouse Devina a eu un grand rôle à jouer. Je la remercie pour cela, pour le soutien qu’elle a donné à la famille, même sur le plan économique, et ce jusqu’à présent. Elle a sans doute davantage contribué que moi en raison des choix que j’ai faits dans ma lutte pour défendre les consommateurs », ajoute-t-il.
Il explique alors que sa famille a eu à faire des sacrifices. Détenteur d’un diplôme en chimie décroché dans une université indienne, il aurait pu être enseignant et gagner un bien meilleur salaire que ce qu’il perçoit actuellement. « Dans le combat que j’ai mené et le choix de carrière que j’ai fait en restant au sein de l’Acim, mon salaire n’est pas celui que j’aurais obtenu en étant enseignant ou dans la fonction publique », explique-t-il.
Il remercie d’ailleurs ses enfants aussi pour le soutien qu’ils lui ont apporté dans ses actions. De la gratitude, il en ressent également pour les membres de l’Acim qui lui ont apporté le soutien moral nécessaire. Il ajoute qu’ils forment tous une équipe amenée à prendre des décisions de manière collective « C’est ce qui fait la force de notre organisation », dit-il.
Ainsi, malgré les « réussites » en demi-teinte des actions de l’association qui milite pour la défense des consommateurs depuis bientôt 50 ans, Jayen Chellum n’a jamais baissé les armes. Plutôt que de courber l’échine ou d’abandonner au premier obstacle, il affronte les problèmes à bras-le-corps. « J’ai traversé des hauts et des bas au cours des combats menés par l’Acim pendant plusieurs années. De ce fait, j’ai développé une résilience à l’échec. Nous ne nous tapons pas l’estomac non plus lors des réussites. »
Indifférence du public
S’il y a une chose qui l’a déçu toutefois, c’est la faible participation du public à la manifestation organisée pour protester contre la hausse des contraventions à plusieurs infractions routières. Alors que les Mauriciens ont été très nombreux à s’indigner contre cette mesure, il trouve décevant que le public n’ait pas exprimé son soutien à un tel événement après tous les efforts déployés pour le préparer.
Qu’à cela ne tienne, dit-il, il a la peau dure. « Mo ena enn lapo korias malgre lindiferans piblik », souligne-t-il. Il insiste que ses convictions sont plus fortes que « les coups de fouet de l’indifférence » du public, précisant que ce n’est pas la seule « déconvenue » qu’il a vécue.
En revanche, Jayen Chellum reste convaincu que le public se réveillera. Il croit en une « révolution » des consommateurs par rapport aux problèmes climatiques, comme cela se passe dans certains pays. « Le système de consommation à outrance doit être remis en question. C’est nécessaire si on veut d’un monde où les dangers environnementaux seront réduits et si nous voulons offrir plus de justice aux consommateurs », soutient-il.
Engagement social
Le terme « justice » revient souvent dans la vie de Jayen Chellum, tel un leitmotiv. Avant même qu’il ne rejoigne l’Acim, sa voie pour qu’il s’engage comme défenseur des droits des consommateurs semblait toute tracée. C’est un ancien membre de l’Institut pour le développement et le progrès (IDP) et du Centre de documentation, de recherches et de formation indiaocéaniques (Cedrefi). Il a également enseigné quelques mois dans un collège.
« Mon engagement pour la protection des consommateurs a commencé dans les années 80, avec une bataille contre les produits chimiques utilisés par le ministère de la Santé pour contrôler la malaria », se souvient-il. À l’époque, il n’était affilié à aucune organisation, mais il a pris l’initiative de rencontrer le Medical Officer alors en poste pour exprimer ses préoccupations sur les risques potentiels des pesticides contre les moustiques sur la santé de la population. Il les considérait comme particulièrement dangereux et a voulu alerter sur les dangers qu’'ils représentaient.
Il est allé jusqu’à préparer un dossier destiné à être envoyé à l’Organisation des Nations unies par rapport aux types de pesticides utilisés. Cela a été le point de départ de son engagement au sein de l’organisation non gouvernementale (ONG) dédiée à la défense des consommateurs. Devenant plus actif, il a fini par occuper le poste de secrétaire général de l’Acim. Il a ainsi poursuivi son combat initial en soulevant plusieurs autres problèmes.
Jayen Chellum a également pris position sur la proposition de construire une centrale nucléaire sur l’île Plate pour produire de l’électricité. En tant que citoyen engagé, il a pris l’initiative de contacter le directeur des services météorologiques pour évaluer les risques potentiels d’émanations de gaz radioactifs, que ce soit à cause des courants marins ou des conditions climatiques. La réponse reçue a confirmé qu’en période cyclonique, ainsi qu’en été avec les vents marins du nord, le risque était bien réel.
Divers combats
Lorsqu’il a rejoint l’Acim, il a fait de la lutte contre le projet de centrale nucléaire son cheval de bataille. Avec le soutien de feu Mahen Utchanah, alors ministre de l’Énergie dans le gouvernement de sir Anerood Jugnauth, et en collaboration avec plusieurs syndicats et organisations environnementales, l’Acim a réussi à convaincre le gouvernement d’abandonner le projet. Grâce à ces efforts, le projet a été stoppé en 1994, une victoire que Jayen Chellum considère comme l’une de ses plus grandes réussites.
C’est pour défendre les droits des consommateurs que Jayen Chellum a décidé de rejoindre un mouvement de protection des consommateurs. Selon lui, malgré l’existence d’un ministère dédié et de nombreux contrôles sur les produits, les besoins et les préoccupations des consommateurs étaient largement ignorés. Sans compter le fait que les vagues d’inflation ont exacerbé les difficultés de vie pour de nombreuses personnes, soulignant davantage la nécessité d’une représentation plus forte des consommateurs.
Son engagement s’est également intensifié face aux projets controversés, tels que la centrale nucléaire prévue sur l’île Plate et l’utilisation d’insecticides interdits à Maurice. « Face à ce chaos dans la protection des consommateurs, j’ai ressenti que mon diplôme en chimie me permettait de m’impliquer pleinement dans cette lutte », explique-t-il.
Il a ainsi trouvé dans l’Acim une ONG dédiée à la défense des consommateurs, un moyen de protéger les plus vulnérables et de faire la différence. C’est ce qu’il s’évertue à faire chaque jour, et ce même si cela implique donner encore plus de sa personne.
Grève de la faim
Cet engagement sans bornes a été particulièrement mis à l’épreuve lorsqu’en janvier 2010, le gouvernement d’alors a décidé de supprimer les subventions accordées à l’Acim, contraignant les employés à travailler sans salaire pendant une année. Jayen Chellum a choisi de manifester son indignation de manière radicale : il a entamé une grève de la faim à la place de la Cathédrale St-Louis.
Ce geste symbolique, qui aura duré presque quinze jours, a été soutenu par une vague de solidarité impressionnante : le public, des chanteurs, des politiciens, ainsi que l’ancien président de la République Cassam Uteem et l’évêque de Port-Louis de l’époque, Mgr Maurice Piat, se sont mobilisés pour lui. Grâce à leur attention, et à celle du comité de soutien, il est resté ferme dans son action jusqu’à ce que le gouvernement décide de céder.
Cette grève de la faim a représenté un immense défi personnel pour lui. Il se dit conscient qu’il a mis sa santé et sa vie en danger. Il explique que le corps humain peut supporter l’absence de nourriture pendant les premiers jours, mais que cela devient de plus en plus difficile avec la perte de près d’un kilo par jour.
Cependant, il a puisé sa force dans les précédentes grèves de la faim menées par d’autres militants, ce qui lui a permis de croire en l’impact de son propre combat pour l’Acim. Selon lui, l’engagement sincère pour une cause est le moteur essentiel du succès : « Quand j’ai vu les résultats que d’autres ont obtenus, cela m’a permis de croire que je pouvais aussi réussir. » Cette épreuve a donc été un test de sa résilience et de son engagement.
Et s’il devait entamer une autre grève de la faim, le ferait-il aujourd’hui, du haut de ses 75 ans ? « Je suis prêt à recommencer si nécessaire », répond-il. En revanche, malgré la détermination inébranlable qui a guidé ses actions, il sait pertinemment que chaque combat doit être mené avec prudence. Aujourd’hui, même s’il exprime sa volonté de reprendre une grève de la faim si nécessaire, il précise qu’une telle décision ne sera pas prise à la légère.
Il réfléchira donc soigneusement, en tenant compte de son état de santé et en consultant sa famille avant de s’engager à nouveau dans cette voie. « La dernière grève de la faim a été difficile à vivre pour les membres de ma famille qui venaient me rendre visite tous les jours. Ils étaient inquiets pour moi », confie-t-il avec émotion.
Engagements
Après près de 40 ans au service de l’Acim, Jayen Chellum explique qu’il a passé la majeure partie de sa vie professionnelle au sein de cette ONG militant pour les droits des consommateurs. Cette longue carrière lui a offert de nombreuses satisfactions, tant sur le plan local qu’international.
Sur le plan international, il a joué un rôle crucial en dirigeant une délégation au sein du « Pesticide Action Network », un réseau mondial d’organisations luttant contre les effets néfastes des pesticides. Sous sa direction, cette initiative a cherché à mettre fin aux pratiques des multinationales responsables de la production de pesticides dangereux. Il a également représenté le « Consumers International Pesticide Trust », parvenant à convaincre des entreprises de retirer les produits figurant sur la liste des « Dirty Dozen », qui recense les produits les plus contaminés par les pesticides.
Localement, l’Acim, sous sa direction, a mené des campagnes significatives. Il rappelle que l’organisation a œuvré pour réguler le prix des produits pétroliers, afin de prévenir les hausses injustifiées et d’exiger des baisses lorsque nécessaire.« Je vis ma vie comme une série de défis à relever et de solutions à apporter pour un plus grand nombre de personnes. »
Un homme qui cultive ses connaissances, sa musique et son jardin
Marié à Devina, Jayen Chellum est père de deux enfants et a des passions en dehors de ses engagements au sein de l’Acim. C’est un homme qui aime se cultiver. Amateur de géopolitique internationale, il est également un fervent lecteur de littérature classique. Parmi ses œuvres favorites figurent « Les Misérables » de Victor Hugo, les écrits de Gustave Flaubert, ainsi que des romans comme « Talk Story » et « Docteur Jivago ». Il a aussi une prédilection pour les auteurs russes.
La musique occupe également une place spéciale dans son quotidien. Il apprécie les classiques karnatiques du sud de l’Inde et les musiques de films indiens. Sa passion pour la musique s’étend à l’« Ode à la joie », la 9e Symphonie de Beethoven, ainsi qu’au jazz et au séga.
C’est également un amateur de films-documentaires, surtout ceux qui relatent des faits historiques et les contributions des personnages à la société. Ancien habitué de la piscine Serge Alfred, où il nageait cinq fois par semaine avant sa fermeture pour rénovation, Jayen Chellum continue de se maintenir actif avec la marche, bien qu’il l’ait un peu réduite ces derniers temps.
Il a aune passion pour le jardinage. Récemment, il a récolté des chouchous de son jardin, qu’il a savourés avec plaisir. « C’est un autre plaisir de consommer quelque chose cultivé dans son jardin », dit-il. Il encourage vivement les Mauriciens à cultiver même sur de petits espaces, que ce soit en pots ou en hauteur. Son jardin est également orné de limons, de fruits Cythère, de « bred mouroum » et de bananes.
Et s’il devait un jour quitter l’Acim, que ferait-il ? Il répond qu’il se verrait derrière les fourneaux à mijoter de bons petits plats. « J’aime faire la cuisine et particulièrement préparer des pizzas ou des plats de la cuisine indienne. »
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