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Jasmine Toulouse, déléguée de Maurice à l’UNESCO : « Il faut mieux préparer les Mauriciens aux compétences numériques »

Maurice affiche officiellement un taux d’alphabétisation élevé. Mais si une partie de la population n’arrive pas à remplir un formulaire en ligne ou à comprendre des informations essentielles sur les réseaux sociaux, peut-on encore parler de succès ? 
Je pense qu’il est important de savoir comment ces statistiques sont réellement établies : quelles méthodes sont utilisées, quels groupes de population sont ciblés pour les sondages.

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Bien sûr, les statistiques des examens de Cambridge (SC et HSC) peuvent témoigner de certains résultats et de l’efficacité du système académique mauricien. Mais, en tant que personne ayant travaillé dans le social, la réalité du terrain est tout autre. Je pense que les différents ministères devraient davantage travailler avec les ONG pour obtenir de meilleurs résultats.

La société évolue et nous avançons vers la numérisation. Mais chaque personne a sa propre réalité : certains n’ont pas eu accès à l’éducation académique, d’autres mémorisent mieux, et certains n’ont pas grandi dans un environnement favorable à l’apprentissage dès leur jeune âge.
 
L’Unesco parle d’alphabétisation comme d’un droit fondamental. Mais face aux inégalités numériques, les États, y compris Maurice, ne devraient-ils pas considérer l’accès aux compétences numériques de base comme un droit humain, au même titre que lire et écrire ?
L’Unesco parle d’utiliser les technologies numériques pour élargir l’accès à l’apprentissage. À Maurice, nous avons expérimenté des programmes d’alphabétisation à travers des initiatives d’ONG, qui utilisent des méthodes fonctionnelles. Mais avec l’évolution, il est vrai que la réalité tend à laisser de côté ceux qui ne peuvent pas suivre.

Je pense que nous devons repenser ou, du moins, intégrer davantage l’aspect d’inclusion. J’ai vu des familles quitter un restaurant très réputé à Maurice, car les commandes avaient été entièrement numérisées. Vous ne pouvez pas imaginer la honte de certaines personnes qui ne savent pas commander pour faire plaisir à leurs enfants.

Dans certains cas, le personnel est prêt à aider à utiliser ces machines. Mais une personne qui a honte ne reviendra pas. Avec l’évolution, la société a parfois tendance à oublier ceux qui ne sont pas directement concernés.

Bien sûr, l’évolution est inévitable, mais nous devons avancer progressivement pour ne pas exclure une partie de la population.
 
De nombreux pays utilisent la numérisation comme levier d’efficacité administrative, mais elle devient aussi un facteur d’exclusion pour ceux qui n’ont pas les outils ou les codes. Ne sommes-nous pas en train de créer un « nouvel illettrisme institutionnel », produit par les États eux-mêmes ?
La numérisation est inévitable : c’est ce que nous appelons vivre avec son temps. Cela dit, il serait important d’attacher à chaque évolution un système d’apprentissage, pour que les gens puissent s’adapter à la réalité actuelle.

Cela me fait penser aux enfants qui, à leur rythme, mettent plus de temps à assimiler certaines matières à l’école. Cela leur fait beaucoup de mal quand les enseignants passent à un autre sujet alors qu’une partie de la classe n’a rien compris.

C’est important d’avancer, mais il est tout aussi important de prendre le temps d’expliquer, sinon l’élève se sent perdu et mis de côté. C’est pareil avec la numérisation.

L’illettrisme fonctionnel et numérique ne concerne pas uniquement les « moins instruits ». Même des diplômés se perdent face à la surinformation, aux fake news ou à la lecture critique des contenus numériques. Ne faut-il pas admettre que notre système éducatif, y compris supérieur, ne prépare pas suffisamment à ces compétences ?
Je pense effectivement que notre système pourrait mieux préparer les citoyens mauriciens à ces compétences à travers différentes formes de formation. Peut-être faudrait-il les intégrer directement dans le programme scolaire, avec davantage de modules liés à la numérisation.

 

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