Interview

Ivan Collendavelloo, n°2 du gouvernement : «Le débat sur la passation de pouvoir est fantaisiste»

Le Premier ministre adjoint et leader du Muvman Liberater invite Roshi Bhadain et les députés du PMSD à démissionner car leurs mandants les ont élus pour être au gouvernement.

Publicité

Il y a deux ans, un fou furieux défie un leader historique dans son fief et se fait élire en pole position envers et contre tous. Il est aujourd’hui n° 2 du gouvernement. Mme Kwok vous aurait-elle prédit un tel parcours ? 
Il n’était pas un fou furieux mais quelqu’un de déterminé qui agissait sur la base de principes bien établis. J’étais, à l’époque, convaincu, à tort ou à raison, que l’alliance entre le Parti travailliste (PTr) et le Mouvement militant mauricien (MMM) constituait un danger pour le pays. Envers et contre tous, j’ai travaillé pour que l’Alliance Lepep se concrétise. J’ai fait campagne pour que les Mauriciens comprennent que j’avais foi dans ce que prêchais. Je n’avais d’autre solution que d’être candidat à Stanley/Rose-Hill. Je suis heureux que l’électorat continue à me faire confiance. Il se sent moins abandonné.

Qu’en est-il de sir Anerood Jugnauth ? Ses astrologues lui auraient-ils conseillé de laisser son siège de Premier ministre à son fils le 23 janvier au lieu du 12 mars ?
La décision d’Anerood Jugnauth est personnelle. Je n’ai pas été partie prenante de cette décision. Je n’ai pas été consulté non plus. Heureusement d’ailleurs, car je ne comprends pas les arguments fantaisistes de l’opposition. C’est vrai que la Constitution n’a pas prévu la démission d’un Premier ministre. Elle ne l’a pas prohibé non plus. On n’est pas amarré à un poste de chef de gouvernement. Le siège étant déclaré vacant, la présidente de la République doit décider qui contrôle la majorité à l’Assemblée nationale. Dans le cas qui nous concerne, il n’y a pas photo.

N’y aurait-il eu une entorse aux procédures ? Au lieu de la présidence, c’est l’ex-Premier ministre qui a annoncé samedi soir qui allait lui succéder.
En pareille situation, la présidence fait usage de sa discrétion. L’ex-Premier ministre a annoncé qu’il passait le flambeau à Pravind Jugnauth. Si la présidence n’était pas d’accord, elle l’aurait passé à quelqu’un d’autre, par exemple à Ivan Collendavelloo. Il est évident, et personne ne le conteste, que c’est le leader du Mouvement socialiste militant qui contrôle la majorité au Parlement. Il aura le soutien de la majorité si jamais un vote de confiance est présenté.

Remontons le temps. Si vous étiez leader-adjoint du MMM, comment auriez-vous réagi face à cette passation de pouvoir ?
évidemment, j’aurais agi dans le cadre strict de la discipline du parti. J’aurais discuté de la question au niveau du parti en prenant en considération que j’appartiens à l’opposition. Si le désaccord était fondamental entre mon parti et moi, j’aurais démissionné.

Navin Ramgoolam considère que cet exercice est digne d’une « République bananière ». Ce qui est constitutionnel est-il moral ?
Le débat est clair. La Constitution est la loi souveraine du pays. Il n’y a pas de Constitution alternative. Ni Ramgoolam, ni Bérenger, ni Jugnauth ne peuvent prescrire des règles constitutionnelles. Notre pays ne peut être dirigé par des préceptes de moralité découverts hétéroclitement. Notre pays ne peut être gouverné que par sa Constitution, sinon c’est le chaos.

Les Mauriciens savaient au moins à quoi s’attendre dans le cadre de l’accord électoral entre Navin Ramgoolam et Paul Bérenger. En revanche, le projet de l’Alliance Lepep n’était pas si explicite …
Je prends à témoin la déclaration de Xavier-Luc Duval qui affirmait qu’il était entendu à l’époque des élections que ce serait Pravind Jugnauth qui, éventuellement, aurait été Premier ministre.

«Nous sommes le pont qui aidera la jeunesse à traverser vers l’autre berge de la rivière, cette reconversion de Maurice en un pays de jeunes et de bonheur…»

À la faveur du plébiscite de l’électorat ?
Je dis bien ce que je dis. Pour moi, c’était également entendu. Cela n’était absolument pas une surprise d’apprendre qu’Anerood Jugnauth allait step down et que Pravind Jugnauth allait prendre sa place. Ce débat est futile. Il n’y a aucun système au monde qui interdit à un Premier ministre de se désister et d’être remplacé par qui que ce soit, fut-il son fils ou pas. C’est un débat fantaisiste qu’on essaie de monter en épingle et qui n’a aucun fondement constitutionnel.

L’Alliance Lepep avait promis lors de la dernière campagne électorale un deuxième miracle économique signé sir Anerood Jugnauth et Vishnu Lutchmeenaraidoo… N’y a-t-il pas erreur sur la marchandise ?
L’Alliance Lepep est venue avec un programme et ce programme va au-delà des hommes qui vont le mettre en œuvre. Je dois bien faire ressortir que les hommes sont en place dans le cadre constitutionnel. Personne n’est figé dans le futur. La situation a évolué. Aujourd’hui, le ministère des Finances se trouve entre les mains de Pravind Jugnauth qui est aussi Premier ministre. Il y a eu des changements de cet ordre tout au long de l’histoire de Maurice. Nous ne venons pas inventer de nouveaux principes pour diriger Maurice, contrairement aux balivernes entendues autour de la IIe République en 2014. C’est pour cela que j’accuse le PTr et le MMM de jouer avec notre Constitution. D’essayer de changer notre système. Ils veulent à tout prix changer le système dans lequel nous avons grandi et dans lequel nous avons toujours cru.

Vous disiez que Xavier-Luc Duval et vous-même étiez au courant que sir Anerood Jugnauth allait céder son fauteuil à Pravind Jugnauth. Est-ce que cela a été « voiced out » à l’électorat à un moment donné durant la campagne ? 
Je me souviens personnellement d’une occasion où Pravind Jugnauth avait pris la parole à un meeting à Rose-Hill et où je l’ai présenté comme étant le successeur de sir Anerood Jugnauth. Je ne suis pas entré dans les détails, c’est vrai. C’est la seule occasion que je peux citer.

Il était évident que la succession allait se traduire lors des prochaines élections, non ?
Je ne suis pas entré dans les détails parce que, pour moi, c’était entendu. Il n’y a avait rien d’écrit, ni de signé, je vous le concède. Mais cela ne veut pas dire qu’il y avait une prohibition au stepping down de sir Anerood. Je dois le répéter : rien n’interdisait à sir Anerood de se désister en faveur de celui qui contrôlait la majorité à l’Assemblée nationale.

Qu’est-ce qui va changer entre un Premier ministre octogénaire et un chef du gouvernement quinquagénaire ?
Il y a d’abord le symbole. Maurice entre de plain-pied dans le 21e siècle. Deuxièmement, il y a un message. Les dirigeants de l’ancienne génération dont je fais partie doivent laisser la place à la jeunesse. Sir Anerood vient, dans les faits, concrétiser l’espérance d’une nation. C’est le plus grand message derrière l’arrivée de Pravind Jugnauth au pouvoir. Je ne comprends pas que des vieillards comme Navin Ramgoolam veuillent prendre la place de la jeunesse.

Quand est-ce que vous allez passer la main à Ravi Rutnah par exemple ?
Le plus vite possible…

En cours de mandat ?
Je ne sais pas… En cours de mandat, c’est difficile de prévoir. Je ne vais rien dire qui puisse tenir lieu d’engagement. J’ai le sentiment d’avoir accompli une mission…

Vous aussi ?
J’ai atteint un certain âge et je vais y réfléchir en temps et lieu. C’est une réflexion salutaire. Tous ceux de ma génération doivent en faire de même. Je l’ai dit lors de la première conférence de presse du Muvman Liberater : nous sommes en transition. Nous sommes le pont qui aidera la jeunesse à traverser vers l’autre berge de la rivière où se produira ce deuxième miracle économique et social, cette reconversion de Maurice en un pays de jeunes et de bonheur… Les autres, le PTr et le MMM, veulent absolument brûler le pont et empêcher la jeunesse de créer cette nouvelle île Maurice.

Donc, au pays de Candide, si sir Anerood Jugnauth n’a plus les capacités d’assumer ses responsabilités en tant que Premier ministre, peut-il légitimement s’occuper d’un maroquin aussi sensible que celui de l’Intérieur ?
Personne ne dit que sir Anerood n’a pas les capacités pour servir comme Premier ministre.

Il dit lui-même que c’est trop de responsabilités.
Cela ne veut pas dire qu’il est incapable d’assumer ses fonctions. Ce n’est pas ce qu’il a dit... C’est détourner ses propos. L’incapacité d’accomplir ses fonctions est un terme constitutionnel. Il y a sa signification juridique. Trop de responsabilités, c’est autre chose. C’est pour cette raison, dit-il, qu’il se décharge des responsabilités les plus importantes et en garde quelques-unes, sous réserve de l’acceptation du Premier ministre Pravind Jugnauth.

Tout le monde est conscient du poids de son âge. De ses difficultés à se mouvoir. Est-ce qu’il n’aurait pas mieux valu qu’il démissionne de son poste de député ?
C’est une décision personnelle. Moi, je ne vois pas pour quelle raison il devrait démissionner lorsqu’il peut parfaitement assumer son rôle de député. Il marche un peu plus lentement que certains. Je marche plus lentement que lui. Cela ne signifie pas que je suis incapable d’assumer mes fonctions.

Sir Anerood, ministre mentor. Que va-t-il enseigner exactement aux jeunes membres de l’Alliance Lepep, mis à part des propos qui choquent ?
Je concède que c’est inédit. Sir Seewoosagur Ramgoolam ne l’avait pas fait car il avait perdu son poste de Premier ministre aux élections de 1982. Il avait officié comme sage de la nation, dans les coulisses, en 1983. Il avait aidé le gouverneur général d’alors dans la crise à l’intérieur du MMM. Comment sir Anerood va assumer son rôle et comment le Conseil des ministres va agir et réagir, cela dépendra de l’évolution de la situation.

Est-ce que vous vous attendiez à la démission du Parti mauricien social-démocrate (PMSD) de la majorité ?
J’ai déjà exprimé mes profonds regrets quant au départ du PMSD. Je m’entendais très bien avec Xavier-Luc Duval même si parfois, il y avait quelques notes discordantes. Je pensais que cette alliance à trois fonctionnait très bien. J’ai des informations sur ce qui a mené à son départ, je ne souhaite pas en parler publiquement.

Un chantage de Navin Ramgoolam ?
Loin de là.

Le PMSD allègue que Rs 40 millions ont été proposées à Dan Baboo pour qu’il retourne au sein de la majorité…
C’est très simple : la loi prévoit la dénonciation de ce qui s’apparente à un acte de corruption extrêmement grave. L’identité du dénonciateur peut être protégée. Dan Baboo peut contacter le directeur général de la commission anticorruption pour l’ouverture d’une enquête. S’il ne le fait pas, c’est qu’il ne dit pas la vérité.

Le PMSD et le MMM ont évoqué l’idée d’une démission du Parlement. Est-ce que ce sera un avantage ou un danger pour la majorité ?
Il y a eu des déclarations contradictoires. Le désir d’une démission, celui d’une réflexion sur la question et le refus d’une telle éventualité. S’agissant du PMSD, ses députés ont été élus pour être au gouvernement. Par principe, dans le cas d’un désaccord aussi sérieux, l’on retourne le pouvoir au peuple.

Vous invitez donc les députés du PMSD à démissionner ?
Je ne peux pas me substituer à la conscience d’autrui. C’est une question que le PMSD doit régler avec lui-même.

Et la décision de Roshi Bhadain de ne pas prêter serment sous le gouvernement de Pravind Jugnauth ?
Je n’ai ni regret ni contentement. Son absence me laisse complètement indifférent. Son tapage encore plus. Je préfère ne pas en parler. Il a craché sur ce qu’il a adoré. Il a été élu sur la foi d’une servilité envers son leader. Il a donné un coup de poignard à  ce même leader qu’il a vénéré. Il veut créer un nouveau parti dans ce contexte. Il n’a qu’une chose à faire : rendre son mandat au peuple et rendre son siège au MSM.

Il soutient que des pressions auraient été exercées sur sir Anerood – qui s’est déjà exprimé à ce sujet – afin que ce dernier cède son fauteuil. Qu’en est-il exactement ?
J’ai tellement entendu de balivernes de Roshi Bhadain pendant les deux ans que j’ai siégé au Conseil des ministres avec lui que j’ajoute cela à l’escarcelle de tout ce qu’il débite. Il évoque l’existence d’une mafia qu’il n’ose pas dénoncer jusqu’à l’heure. S’il ne le fait pas, c’est que la mafia n’existe que dans son imagination. J’ai travaillé avec sir Anerood et il n’a pas l’air de quelqu’un qui a agi sous pression. Si Roshi Bhadain pensait que c’était le cas, il aurait dû en faire état lors de la dernière réunion du bureau politique du MSM. Cela m’étonne qu’au lieu de protéger un sir Anerood sous pression, il a donné dans la tonalité en venant pleurer de joie à l’arrivée de Pravind Jugnauth comme Premier ministre. Roshi Bhadain est quelque peu contradictoire.

Qui de Roshi Bhadain ou de Vishnu Lutchmeenaraidoo a précipité la chute du groupe British American Investment (BAI) ? Chacun se renvoie la balle.
Il n’y a pas eu précipitation. Depuis 2013, le groupe BAI menaçait l’économie mauricienne. L’on en parlait au MMM. L’affaire s’est compliquée au MMM lorsque nous avons appris qu’une entité du BAI lui avait offert Rs 10 millions. C’était une parenthèse. Le groupe BAI opérait une chaîne de Ponzi et Roshi Bhadain a été celui qui nous l’a démontré. Il est spécialiste de ce genre de choses et non pas Vishnu Lutchmeenaraidoo. Celui-ci, en tant que ministres des Finances, a agi de concert avec Roshi Bhadain et d’autres ministres ainsi que l’ex-Premier ministre pour dénoncer le groupe BAI. Le seul débat, c’est la posture adoptée par Roshi Bhadain pour gérer l’affaire BAI.

Le projet avorté d’Heritage City aurait-il motivé le départ de l’ex-ministre des Services financiers ? Ou le fait que la majorité ait traîné les pieds avec la loi sur l’enrichissement illicite ?
Nous n’avons pas traîné les pieds sur cette loi qui, soit dit en passant, est très bonne. Malgré des appréhensions exprimées par Xavier-Luc Duval et moi-même, elle a été présentée à l’Assemblée nationale. Le projet Heritage City a mis sur la place publique les désaccords privés entre Roshi Bhadain et moi-même. J’ai agi de bonne foi dans ce que je considérais être l’intérêt de mon pays et de mes concitoyens.

Quel est le souci avec Heritage City ? Le risque d’affaissement de Bagatelle Dam ou le volet financier ?
J’ignore d’où vient cette thèse d’un possible affaissement de Bagatelle Dam…

Roshi Bhadain n’a-t-il pas accusé Gérard Sanspeur, conseiller spécial du nouveau Premier ministre, d’avoir « disséminé des rapports bidonnés » ? 
Il l’accuse. Mais je n’ai jamais entendu Gérard Sanspeur évoquer ce risque. Bagatelle Dam ne représente aucun danger pour Heritage City. Ce projet est plutôt une histoire de gros sous qui ne tenait pas la route. Nous l’avons tous démontré lorsque nous avons rencontré l’ex-Premier ministre. Celui-ci était chaudement en faveur de ce projet et il l’est toujours. Tel que préparé que Roshi Bhadain, le projet Heritage City ne tenait que dans ses rêves.

Êtes-vous satisfait du nombre de ministères confiés au Muvman Liberater ?
évidemment, tout parti souhaiterait avoir le plus grand nombre de ministres possible. Tout est une question de stabilité du gouvernement, d’homogénéité et de loyauté. Je suis très heureux qu’Eddy Boissézon soit ministre.

Qu’en pense Sangeet Fowdar ? Est-il toujours au Muvman Liberater ?
Oui, bien sûr. Il était présent à toutes les réunions qu’on a convoquées récemment. Je ne comprends pas pourquoi l’on est focalisé sur Sangeet Fowdar. Il a déjà dit qu’il n’allait pas passer dans l’opposition. Je dois dire qu’à part le fait d’être membre du parti, il est un ami personnel avec lequel j’entretiens de bonnes relations même lorsqu’on a eu des divergences politiques. Ses déclarations sont, certes, parfois l’expression d’une certaine exaspération.

«Je ne crois pas que Bashir Jahangeer soit sérieux lorsqu’il pense pouvoir être ministre de l’énergie. Même si tout est possible en politique.»

Au MSM, Bashir Jahangeer est mécontent de n’avoir pu ravir votre maroquin. Que pourriez-vous lui dire pour le consoler si vous le croisez maintenant ?
Je ne crois pas que Bashir Jahangeer soit sérieux lorsqu’il pense pouvoir être ministre de l’énergie. Même si tout est possible en politique.

Ne faut-il pas laisser la main aux jeunes ?
Quels jeunes ?

Pravind Jugnauth Premier ministre, comment l’Alliance Lepep espère-t-elle évoluer jusqu’à la fin de son mandat ?
J’ai remarqué que nul n’a remis en cause le bilan présenté par sir Anerood samedi, ni les compétences de Pravind Jugnauth. L’opposition se focalise sur un point : il faut des élections générales avant qu’il ne soit Premier ministre. Tout ce débat révèle une chose : le manque de respect envers notre Constitution. Personne, sauf Paul Bérenger, n’accorde d’importance à la loi suprême du pays. Paul Bérenger est en porte-à-faux, c’est pour cela que ses déclarations deviennent contradictoires, jusqu’à réclamer un référendum et non pas des élections générales.

Ne réclame-t-il pas des élections chaque année ?
Ses demandes sont basées sur des différences politiques. Quant aux autres, c’est des différences constitutionnelles.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !