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Issa Asgarally, pédagogue et docteur en linguistique : «Smartphone, texto ou livre, la lecture survit toujours»

Il défend avec vigueur la lecture sous toutes ses formes.

Le Prix Jean-Fanchette du livre est à sa 14e édition en cette année pandémique. Porté à bout de bras par Issa Asgarally, pédagogue et docteur en linguistique, et soutenu par le Prix Nobel de Littérature Jean-Marie Gustave Le Clezio, le prix, grâce à son cachet de Rs 100 000, a fini par devenir le rendez-vous majeur du livre français dans l’Océan Indien. Est-ce déjà l’heure du bilan ? Issa Asgarally y voit plutôt l’amorce d’autres défis nés de l’après Covid-19.

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Ce matin, enfoncé dans un sofa d’un café à Bagatelle, Issa Asgarally se laisse gagner par une réflexion philosophique. « Il faut se sentir privilégier de pouvoir se mettre debout seul chaque matin, se faire un thé, prendre son petit déjeuner et aller s’acheter le journal. » Plus d’un quart de siècle plus tôt, il défendait avec vigueur la lecture sous toutes ses formes. « Il n’y a aucun mal à lire Mill & Boons, mais à condition de passer à autre chose ». Il n’a pas trop modifié son point de vue, mais il l’a enrichi à l’aide d’un smartphone, un appareil qui, fait-il valoir, fait partie des interfaces à la lecture. « Smartphone, texto ou livre, la lecture survit toujours », lâche-t-il.

A quoi faut-il s’attendre pour cette 14e édition du Prix Jean-Fanchette, qui s’annonce comme un bilan, à l’heure du grand confinement et de la crise sociale et économique. « Nous n’en savons rien, mais une chose est sûre : c’était une bonne idée de ne pas proposer de thématique et d’élargir le concours à tous les genres », se félicite Issa Asgarally.  Avec l’élargissement au théâtre et aux essais, en 2010, le concours s’inscrit résolument dans la contemporanéité et s’enrichit surtout de la dynamique qui nait de la rencontre des langues françaises dans le monde francophone. « Il y a plus de locuteurs de cette langue en dehors de la France, fait observer Issa Asgarally. On peut citer des auteurs libanais, québécois, vietnamiens ou africains. ». Pour lui, cette diversité est aussi porteuse de cette notion d’interculturalité, qui lui est chère. « Car, ce sont les références culturelles plurielles qui viennent dynamiser la langue française plutôt que de l’enfermer dans des codes figés. » 

‘L’intrigue’

Est-ce que dans le landerneau mauricien, ne doit-on pas s’attendre aux mêmes noms connus chaque deux ans. Notre interlocuteur s’empresse d’écarter cette perspective. « C’est JMG Le Clezio qui préside ce jury, les manuscrits lui sont transmis là où il est. Il est complètement étranger à ce milieu. Il s’attarde sur les 1es qualités esthétiques et l’écriture. Il n’y a aucun risque de complaisance ou de copinage, ce serait un outrage au nom de Jean Fanchette. Il y a certes de bons textes qui sont classés comme ‘textes remarqués’ mais il leur manque un détail qui fait qu’ils n’ont pas le niveau. Il y a eu une édition où le prix n’avait pas été décerné parce qu’aucun envoi n’avait le niveau. » 

Lui-même membre du jury, Issa Asgarally ne cache pas que certains critères lui sont chers, dont celui de ‘l’après’, qui ne referme pas le roman, laisse la voie libre à ses personnages, et pouvant donner lieu à des suites, « car les personnages ne meurent pas », dit-il. Puis il y a ‘l’intrigue’, qui se greffe sur une thématique historique servie par les allers et retours mais surtout la projection où l’imaginaire occupe une dimension particulière. « Certes, reconnait-il, mes sensibilités peuvent apparaître comme des critères, mais il y a d’autres membres du jury avec leurs sensibilités, leurs cultures plurielles qui peuvent s’arcbouter sur le théâtre, le cinéma, la peinture, la lecture et l’écriture. En fait, on juge un roman contre d’autres. »

Qui était Jean Fanchette ?

Jean Fanchette est né à la rue Boundary, Rose-Hill, le 6 mai 1932. En 1950, il est lauréat de la Bourse d’Angleterre (côté classique), et un an plus tard, grâce à l’intervention de Georges Duhamel, président de l’Alliance française de paris, il part étudier la médecine à Paris. Parallèlement, il publie des poèmes qui lui vaudront le prix Paul Valéry en 1955 et le prix Fénéon en 1958.

Il fonde au cours de cette période, une revue bilingue Two Cities avec Anaïs Nin qui le décrira comme « un jeune mauricien beau et sombre… en équilibre entre la terre et la poésie ». 

Devenu neuropsychiatre et psychanalyste, Jean Fanchette publie en 1971, aux éditions Buchet-Chastel, un essai, Psychodrame et théâtre moderne, sa thèse de doctorat, et un roman, ‘Alpha du centaure’ qui obtint en 1972 le Prix des Mascareignes. En 1975, l’Académie Française lui attribue le Prix de la langue française. 

Membre de la société psychanalytique de paris, Jean Fanchette préparait un livre sur le fétichisme ainsi qu’un roman, L’effacement. Sa mort, le 29 mars 1992, laisse inachevés ces deux ouvrages. « Les deux courants essentiels de ma vie, écrivait-il peu de temps auparavant, sont la pratique psychanalytique et la création littéraire, éclairés par cet obscur scintillement que dispense la poésie. »

Jean Fanchette était également éditeur et a publié, aux Éditions Two Cities, l’essai collectif, L’humour dans l’œuvre de Freud, et le recueil de poèmes de Fanny Ventadour, The Centre Holds.

Les 3 objectifs du Prix Jean-Fanchette

Le premier objectif du prix, selon Issa Asgarally, c’est d’honorer la mémoire d’un psychanalyste, poète, essayiste, éditeur.

Le deuxième objectif est d’encourager la création littéraire dans les îles de l’Océan Indien (Maurice, Rodrigues, Réunion, Madagascar, les Comores et les Seychelles). « Les faits parlent d’eux-mêmes. De 1992 à 2019, les treize éditions ont accueilli 304 textes. Une quarantaine de textes nous sont parvenus de Rodrigues, de La Réunion, des Seychelles, des Comores et de Madagascar. Par ailleurs, le Prix Jean-Fanchette a révélé des auteurs totalement inconnus et consacré ceux et celles qui l’étaient déjà. 10 manuscrits sont désormais des livres et 6 livres ont été primés de 1992 à 2019. »

« Pour ce qui est du troisième objectif du Prix Jean-Fanchette, donner à lire, je tiens à souligner que la plupart des manuscrits primés ont été publiés. La moitié de la somme allouée au Prix JF (Rs 100 000) est une aide à la publication du manuscrit primé ou à l’achat d’un certain nombre d’exemplaires du livre primé pour les bibliothèques publiques de Beau-Bassin / Rose-Hill. »

Depuis 2010, le Prix est ouvert à la fois aux manuscrits inédits et aux livres publiés depuis la dernière édition, pour pouvoir disposer d’un plus grand choix, puisque le prix n’a pas été attribué à 2 reprises, en 1992, sous la présidence de Michel Deguy, et en 2008, sous celle de JMG Le Clézio.

« Je voudrais faire part ici d’une préoccupation du Jury du Prix Jean-Fanchette concernant les manuscrits sélectionnés, comme dans tout prix littéraire, mais non primés. Il y a toujours cinq ou six textes qui se dégagent du lot mais qui ne sont pas finalement choisis par le Jury. En 13 éditions, cela fait environ 70 textes. C’est dommage, car ces textes, pourraient être publiés - et devraient l’être - s’ils sont revus, réécrits parfois sous la direction d’un éditeur professionnel. Nous invitons donc d’une part, les éditeurs et les fonds d’aide à la publication, à soutenir la publication de ces textes, d’autre part les auteurs à œuvrer pour que leurs textes ne tombent pas dans l’oubli », fait ressortir Issa Asgarally.

 

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