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Inondations récurrentes - Des sinistrés : «Où trouver une nouvelle maison?»

La maison des Ramsahye s’est effondrée dimanche lors des inondations.
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Wendy Andoo, la voisine des Ramsahye, ne sait pas si sa maison est habitable.

L’incertitude règne parmi des familles de Tranquebar, de Canal Dayot et de Sable-Noir. Leurs maisons ont été envahies par les eaux ou ont subi des fissures. Cependant, pour l’instant, elles n’envisagent pas d’être relogées ailleurs.

«Avec mes parents âgés, il me semble risqué de rester ici. Mais si nous devons partir, où irons-nous ? C’est ici que nous vivons depuis des années… » Wendy Andoo, qui habite avec ses parents âgés, ne cache pas son inquiétude. Dimanche 21 avril, la maison de ses voisins, les Ramsahye, s’est effondrée. Par la suite, des fissures sont apparues dans les murs de la sienne. Et juste avant, raconte-t-elle, le mur de la clôture de sa demeure s’est également effondré. 

Pour les Andoo, qui résident à proximité du Ruisseau du Pouce depuis au moins 40 ans, il est fort probable que les fondations de leur maison aient été fragilisées. Lors de notre rencontre, Wendy Andoo attendait l’avis des experts pour savoir si la maison familiale était toujours habitable. « Quand nous sommes venus habiter le quartier, il n’y avait pas de problème d’inondations », fait-elle remarquer.

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Veena Goomany confie que sa maison est tout ce qu’elle possède.

Wendy Andoo espère que les autorités concernées prendront les mesures nécessaires pour garantir que la région reste habitable et que les résidents ne soient pas en danger en cas de nouvelles averses. Elle explique qu’elle a frappé à plusieurs portes pour obtenir des réponses à ses questions. « C’est aux autorités de trouver une solution pour toutes les familles qui habitent ici, car nous ne pouvons être tenus pour responsables de cette situation », insiste-t-elle.

Et puis, fait-elle comprendre, « si nous devons partir, où irons-nous ? C’est ici que nous habitons depuis des dizaines d’années », ajoutant que plusieurs de ses proches sont à l’étranger et n’ont pas d’endroit où trouver refuge en cas de catastrophes naturelles. 

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Les effets personnels de Marie Anne Banajee ont été abîmés par les eaux.

Habitant Tranquebar depuis 25 ans, Veena Goomany ne cache pas son découragement. Cette employée d’une compagnie d’autobus a vécu un véritable traumatisme lors des inondations du 21 avril dernier. Elle a de nouveau perdu de nombreux effets personnels. Sans l’aide de ses proches, elle n’aurait pas pu remonter la pente, dit-elle. « J’ai absolument tout perdu : le réfrigérateur, le lit, l’armoire, la machine à laver », explique-t-elle. 

Lors des inondations, l’eau boueuse a traversé de part en part. Ce sont toutes ses années de dur labeur qui sont parties dans les eaux, se lamente-t-elle. Elle avoue qu’elle ne sait pas si elle aurait la force d’affronter une telle situation à nouveau. 

Cependant, Veena Goomany ne se voit pas aller vivre ailleurs pour le moment. Sa maison est tout ce qu’elle possède. « Où trouver une maison pour tout recommencer après avoir tout perdu ? Ce n’est pas facile à 57 ans… » 

Le même désarroi se lit sur le visage de Marie Anne Babajee. D’autant que lorsqu’elle est allée faire des démarches au poste de police pour recevoir une aide, les officiers lui ont demandé d’apporter des papiers d’identité. Or l’eau a tout abîmé. À l’issue des inondations du dimanche 21 avril, son lit, son matelas ainsi que d’autres effets personnels et produits alimentaires ont été abîmés et ont dû être jetés. « Je ne suis pas allée demander la charité, mais de l’aide », souligne-t-elle, indignée par la façon de faire des policiers. 

Comme d’autres habitants, il lui est impossible d’envisager d’aller vivre ailleurs. Surtout devant les maigres ressources dont ils disposent. Et puis, ils n’ont tout simplement pas d’autre endroit où trouver refuge.

Elle a perdu sa maison dans les inondations du 30 mars 2013

Dany Marie :« Le traumatisme est encore présent »

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Depuis qu’elle a perdu sa maison, Dany Marie attend toujours de recevoir un logement des autorités.

Dany Marie a habité Canal Dayot pendant une dizaine d’années. C’est un quartier particulier de la région de Port-Louis, tout à fait différent de ce qu’on peut trouver dans les villes, dit-elle. La singularité de la localité réside dans le lien particulier qui unit les voisins. C’est aussi un endroit où il y a une rivière et des arbres. Elle avait un terrain où elle cultivait la terre. « J’arrivais à vivre et à survivre grâce aux produits de la terre. À cette époque, je n’avais pas besoin d’acheter des légumes et nous étions autosuffisants car le surplus de production était conservé et partagé avec les voisins qui m’aidaient à entretenir le jardin potager », ajoute-t-elle. 

Mais le 30 mars 2013, sa vie bascule. « Après les inondations, la peur nous a envahis, nous avons tout perdu. » Absente de la maison au moment des faits, elle a tenté, dans la précipitation, de rentrer car ses deux enfants âgés de 20 et 17 ans, ainsi que son petit-enfant d’environ deux ans, étaient à la maison. Ils ont pu être secourus par un voisin avant que l’eau qui avait envahi leur demeure n’atteigne presque le plafond. 

« Si notre voisin ne les avait pas fait grimper sur le toit de la maison, j’aurais aussi perdu mes enfants… » Ils ont passé deux heures sous la pluie, entourés d’eau, tétanisés par la peur. Dany Marie explique qu’avec l’électricité qui n’avait pas été coupée, ils ont subi des chocs électriques, tandis que l’enfant en bas âge a dû être ranimé à deux reprises. « Heureusement que mes enfants ont appris dans le scoutisme et ont su l’encadrer », dit-elle.

Ignorante du drame qui se jouait chez elle, elle ne découvre la situation qu’en atteignant sa demeure après une heure d’angoisse. Entendre la voix de l’un de ses enfants lui apporte un soulagement immédiat. C’est grâce à l’intervention de ses amis syndicalistes des secteurs portuaire, des transports et de l’industrie sucrière, avec qui elle était en conférence de presse plus tôt, que sa famille et d’autres sinistrés ont pu être secourus et évacués des toits où ils avaient trouvé refuge. « Sans leur aide, nous serions restés piégés dans cette épreuve. Le traumatisme est toujours vif aujourd’hui », confie Dany Marie

Après les inondations, sa maison est inhabitable, des craquelures étant apparues dans les murs et au plafond. « Après un tel traumatisme, nous n’avions plus envie de rester là. » La maison est malgré tout nettoyée, dans l’espoir de sauver quelques souvenirs. « Nous avons tout perdu : les photos des enfants, leurs vêtements quand ils étaient petits, et tout ce qui nous liait les uns aux autres. Il ne restait plus rien… » révèle Dany Marie.
Pendant une semaine, la famille tente de récupérer ce qu’elle peut. Dany Marie profite de l’occasion pour remercier tous les Mauriciens des quatre coins de l’île qui sont venus aider les habitants après le drame, ainsi que pour toutes les aides matérielles qu’ils ont obtenues en termes de meubles, ustensiles de cuisine et produits alimentaires.

Grâce à son ami Stefan Gua, Dany Marie et sa petite famille s’installent dans la maison qu’il a mise à leur disposition. « Nous avons écrit à la NHDC pour avoir une maison, nous attendons toujours jusqu’à présent en raison de diverses contraintes », déplore-t-elle. Parmi les raisons évoquées, l’indisponibilité des maisons. Selon Dany Marie, on leur aurait aussi proposé une maison qui se trouve dans une zone sujette aux inondations. 

Elle s’élève contre le fait que des facilités n’ont pas été proposées aux sinistrés. « On nous a demandé de faire un dépôt pour avoir une maison. Où trouver cela après avoir tout perdu dans les inondations ? » s’insurge-t-elle. Dany Marie est d’avis que les victimes d’une catastrophe naturelle n’auraient pas dû subir autant de contraintes administratives pour obtenir une maison de la NHDC.

Délocalisation

Délocalisée de force, elle ne cache pas sa révolte par rapport à la manière de faire des autorités. Elle se demande pourquoi l’étude sur les zones inondables n’a pas été rendue publique afin que la population soit informée des régions concernées et évite d’y construire. Selon elle, cette absence de transparence signifie que ceux qui pensent avoir trouvé un foyer sûr peuvent se retrouver sans abri du jour au lendemain, ayant bâti dans une zone inondable. Pour d’autres, le risque est d’être submergés par l’eau lors de fortes pluies.

Ayant vécu elle-même l’épreuve de devoir recommencer sa vie à zéro après les inondations de 2013, Dany Marie affirme que ce n’est guère facile. « Quand nous avons dû quitter Canal Dayot sans y être préparés, nous avons dû réapprendre à vivre, à connaître les voisins, à nous adapter à l’environnement. Cela a été un traumatisme pour mes enfants en particulier. » Avec le « voucher » que les sinistrés ont reçu à l’époque pour se relever, cela leur a pris une décennie pour souffler un peu.

Dany Marie est cependant toujours en attente de recevoir sa propre maison, au lieu de continuer à résider dans celle que Stefan Gua a bien voulu leur prêter en signe de solidarité. Elle estime qu’il est du devoir des autorités de s’occuper du relogement des victimes d’inondations, en leur offrant des facilités pour des logements permanents. « Ce n’était pas facile de tout perdre lors de ces inondations. Nous avons vécu un véritable choc en perdant tout ce que nous avions dans notre maison. »

Victime d’inondations récurrentes à Sable-Noir

Linley Moothien : « Nous ne pouvons plus continuer ainsi »

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Pour Linley Moothien, la délocalisation n’est pas une solution.

Il est blasé. Ayant subi la fureur des eaux à maintes reprises, c’est devenu une « normalité » pour Linley Moothien. Tant et si bien qu’il ne songe plus à procéder à des travaux d’amélioration de sa maison située à Sable-Noir, convaincu que le problème réapparaîtra à chaque forte averse. Cependant, pour lui, la délocalisation n’est pas une solution.

Résidant dans la localité depuis son enfance, il explique que l’eau s’est toujours infiltrée dans la maison de ses parents à chaque pluie et cyclone. Cependant, ce n’est que le 30 mars 2013 que Canal Dayot et Sable-Noir ont émergé de l’anonymat à la suite de l’une des plus importantes inondations que le pays ait connues. « Cela a été une véritable catastrophe pour tous les habitants », dit-il.

À partir de là, il a entrepris des actions sociales pour attirer l’attention des autorités afin qu’elles prennent les mesures nécessaires. Cependant, avec le temps, la région est tombée dans l’oubli, chaque nouvelle actualité éclipsant la précédente, selon lui. « De notre côté, nous avons dû tenir bon car nous savions qu’aux prochaines inondations, cela pourrait être pire, alors que nous avions déjà tout perdu en 2013 », explique-t-il.

Linley Moothien soutient qu’il a subi de lourdes pertes, car son entreprise de location de chapiteaux s’est effondrée, l’atelier ayant été entièrement endommagé lors de ces événements. Avec les promesses de dédommagements qui n’ont pas abouti, il a dû fermer boutique. Les aides que l’État avait reçues en faveur des sinistrés ont été converties en bons d’achat de meubles et n’ont pas profité à tous, selon lui. « Il a fallu près de cinq ans pour réaliser des travaux d’aménagement et d’agrandissement du système de canalisation des eaux pluviales à Canal Dayot et Sable-Noir, et j’ai dû organiser des manifestations pacifiques pour faire avancer les choses. » Cependant, cela n’a pas empêché les inondations de janvier et d’avril 2024. 

Il confie qu’il ne procède plus au grand nettoyage de sa maison pour enlever la boue car il est fatigué et n’a plus le courage de le faire. Quant à son entreprise, il l’a placée en mode « stand-by ». « Nous ne pouvons plus continuer ainsi. »

Bien que des mesures prises ailleurs pour atténuer les inondations, comme à Fond-du-Sac et à Cottage, semblent avoir fonctionné, il fait remarquer que celles entreprises à Canal Dayot se sont appuyées sur des données approximatives concernant la pluviométrie. Il est également d’avis que les travaux ont été réalisés sous pression, sans véritable planification. Les effets du changement climatique, avec un volume de pluie plus important en peu de temps, ont exacerbé le problème. Les travaux entrepris n’ont pas pris en compte ces changements, observe Linley Moothien.

Il montre également du doigt de nombreux travaux en amont qui font que les routes se transforment en rivières, avec des barrières en béton construites de chaque côté de la route, inondant certaines régions. « Il y a une désorganisation totale en ce qui concerne la canalisation des eaux pluviales », déplore-t-il. 

Cependant, aller ailleurs n’est pas à l’ordre du jour. Pour lui, la délocalisation des habitants est « irréalisable » : cela impliquerait le déplacement d’un quart de la population vers d’autres régions en raison des risques d’inondations présents dans plusieurs localités. Il faut ajouter à cela le manque de lieux disponibles. « Un quart de la population est devenue sinistrée en raison de la mauvaise coordination et de la planification des projets de développement et de construction », estime-t-il. 

Avec l’approche des élections générales, Linley Moothien plaide en faveur de la candidature d’habitants de chaque circonscription, plutôt que ceux qui habitent en dehors de la localité et qui ne sont pas conscients des réalités du terrain. Les élus devraient également être plus à l’écoute des experts, mais aussi des habitants des régions où ils se présentent, car ces derniers connaissent mieux les problèmes de leur localité. Il déplore que tout soit trop politisé. « Les politiciens devraient cesser de faire de la politique à l’ancienne et être plus à l’écoute des habitants d’un quartier », dit-il. Au cas contraire, les choses n’évolueront pas. 

Habitant Canal Dayot

Tony Nanette : « C’est un éternel recommencement pour nous »

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Pour Tony Nanette, le quartier de Canal Dayot, où il réside depuis 18 ans, est « irrécupérable ».

Le soir des inondations du 21 avril 2024, Tony Nanette a passé la nuit chez un ami. Mais il n’a pas trouvé le sommeil, tourmenté par les pensées de ce qu’il pouvait se passer chez lui, à Canal Dayot. Surtout après les récentes inondations de janvier 2024, survenues lors du passage du cyclone Belal, ayant provoqué des dégâts à sa demeure et la perte de nombreux effets personnels.

« Je n’ai même pas eu le temps de repeindre la maison que nous avons dû vivre une autre inondation. Nous ne pouvons pas à chaque fois remplacer ce que nous avons perdu après avoir subi une inondation », déplore-t-il.

Tony Nanette habite le quartier depuis 18 ans. À l’époque, dit-il, l’eau de pluie ne montait qu’à la cheville. Cependant, tout a changé lors des inondations de mars 2013. Sa maison s’est retrouvée sous l’eau. Depuis, c’est l’inquiétude à chaque averse. 

Il affirme que les habitants sont sur le qui-vive, ne fermant l’œil de la nuit pour surveiller le niveau d’eau, non seulement du canal mais aussi de la rue. « Nou kestion se si delo pou monte ou pa pou monte. » 

Une famille sinistrée, fait-il comprendre, se retrouve souvent dans une situation financière difficile. Car, précise Tony Nanette, c’est au prix de nombreux sacrifices qu’elle pourra remplacer ce qu’elle a perdu et espérer vivre convenablement à nouveau. « C’est un éternel recommencement pour nous, car nous ne savons pas ce que nous réserve l’avenir. Avec la cherté de la vie, jusqu’à quand pourrons-nous endurer cela et joindre les deux bouts après de tels drames ? » lance-t-il. Si certains pourront éventuellement se relever, tel n’est pas le cas pour tout le monde, fait remarquer Tony Nanette.

Pour lui, le quartier est « irrécupérable ». Pense-t-il que les autorités doivent les reloger ? « Nous sommes propriétaires de nos maisons et d’un terrain acquis à la sueur de notre front. Certains ont consenti à de nombreux sacrifices pour des travaux de rénovation. Nous ne nous voyons pas être logés dans une petite maison parce que la région n’est pas habitable », explique-t-il. Si les habitants doivent être installés ailleurs, Tony Nanette suggère que cette mesure soit accompagnée d’une compensation en fonction de la valeur de leurs propriétés respectives. « Cela doit être un lieu où nous pourrons vivre en toute sérénité », insiste-t-il.

Entre-temps, à Canal Dayot, il estime que des mesures peuvent être prises pour soulager les habitants, en dépit de « la mauvaise planification initiale ». Il évoque notamment le dragage régulier du canal et la démolition de l’îlot qui se trouve à la sortie de Canal Dayot. Le pont Rousselle devrait également être modifié, comme initialement décidé, propose-t-il.

La région se trouve dans une cuvette, coincée entre l’eau venant des régions en hauteur et la mer de l’autre côté, souligne Tony Nanette. Il cite les travaux du côté de l’autoroute, avec des barrières de béton de chaque côté de la route qui ont transformé Camp-Chapelon en rivière. En dépit des fréquentes inondations, cela n’a pas servi de leçon aux autorités pour trouver une alternative afin de sécuriser les automobilistes et les usagers de la route, fait-il remarquer. 

Tony Nanette ajoute que c’est de l’eau argileuse qui a atteint les habitants lors des dernières inondations. Il attribue cette situation aux travaux entrepris pour la construction du SAJ Bridge. Selon lui, un plus grand volume d’eau est rejeté vers la rivière St Louis. Le barrage et une déviation, qui ont été installés pour les travaux au fond du ravin, leur ont accordé quelques années de répit, explique-t-il. Mais avec l’enlèvement de cette déviation, l’eau se dirige de nouveau vers Canal Dayot. 

Dans la foulée, il se demande pourquoi, alors que Canal Dayot connaît des montées des eaux extraordinaires, l’eau n’est jamais arrivée au niveau de la route du pont de Grande-Rivière Nord-Ouest. « C’est bien de faire des travaux pour la modernisation du pays, mais il faut aussi songer à ses conséquences en prenant en considération divers aspects et ainsi éviter de mettre la vie des autres en danger », martèle-t-il. 

Face à l’inefficacité des mesures prises par les autorités, Tony Nanette estime que les élus de la circonscription devraient être à l’écoute des doléances des habitants qui les ont plébiscités. « Le traumatisme est partout, et tout le monde a peur pour sa vie », dit-il.

 

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