Le gouvernement a investi près de Rs 850 millions dans des drains à Port-Louis et ses faubourgs. Pourtant, après quelques heures de pluie, ce sont bien ces régions qui ont été les plus affectées. Les pompiers ont dû intervenir à plus de 60 reprises. Terre-Rouge, Vallée-des-Prêtres, Bell-Village, Route Militaire, Canal-Dayot, Ste-Croix… Autant de régions qui ont été frappées de plein fouet par la montée des eaux.
Après trois heures d’averses, un scénario familier s’est développé à Port-Louis, dimanche : l’autoroute, à hauteur de Cassis, inondée, fermée même sur la Place d’Armes, les maisons dans les faubourgs inondées… Bref, la capitale était paralysée. La Special Mobile Force (SMF), les pompiers et même les garde-côtes ont dû se mettre à l’ouvrage pour venir en aide à la population en détresse. Le gouvernement a pourtant investi des milliards dans les drains pour éviter qu’une telle situation ne se répète. En vain, semble-t-il.
De 2015 à janvier 2019, l’actuel gouvernement a investi pas moins de Rs 842,6 millions dans les drains pour les circonscriptions numéros un à quatre, circonscriptions qui englobent Port-Louis et ses environs. La circonscription numéro un a bénéficié de Rs 285 millions; la circonscription numéro deux, Rs 302,3 millions ; la circonscription numéro trois, Rs 65,3 millions et celle du numéro quatre, Rs 190,1 millions. Malgré tous ces drains, pourquoi Port-Louis a été submergée ?
Au niveau du National Disaster Risk Reduction and Management Centre, on n’a pas encore de réponses claires à cette question. « À chaque fois qu’il y a un problème, nous avons un post-crisis meeting, explique Pravind Rughoo, responsable de communication de cette instance. Cela prendra quelques jours pour que tous les acteurs concernés fassent une évaluation de la situation sur le terrain avant de mettre en commun leurs conclusions», explique-t-il.
Toutefois, une autre source qui a participé à la réunion du National Disaster Risk Reduction and Management Centre, dimanche, fait comprendre qu’on aurait tort de penser que ces inondations ont des causes similaires à celles de 2013. « Ce n’est pas le même problème, assure cette source. Allez faire une recherche pour savoir d’où provient l’eau qui s’est déversée sur l’autoroute près du collège Royal… » Elle refusera d’en dire plus.
L’urbaniste Vasantt Jogoo explique que malgré tout l’investissement dans les drains, il ne faut pas s’étonner que le problème persiste. « 25% du territoire mauricien sont en zone bâtie, contre 7% en France et 9,3% en Grande-Bretagne, explique-t-il. Le territoire urbanisé par tête d’habitant à Maurice est presque le même qu’en Grande-Bretagne. » Contrairement à la Grande-Bretagne, cependant, l’Île Maurice n’a pas les moyens de gérer ce genre de catastrophe.
De son côté, l’architecte Sandeep Sewpal s’interroge surtout sur les implications de faire déboucher des drains dans la mer. « Il se passe quoi quand le niveau de la mer monte ? L’eau reste stagnante », déclare-t-il. Il faut rappeler qu’en 2013, le ministère des Infrastructures publiques avait tenu la marée montante pour responsable des inondations de la Place d’Armes. Les nouveaux drains devaient éviter qu’un tel scénario ne se reproduise. Toutefois, ces drains ne peuvent contenir que 100 M3 d’eau et en cas de flash flood, il faut compter des millions de mètres cubes. L’architecte suggère une solution évidente :
« Il faut construire des ’retention ponds’, Ce sont des petits lacs artificiels qu’on peut ensuite utiliser dans l’agriculture ou les refouler à petites doses dans les rivières. »
Les interventions concentrées dans la région de Port-Louis
Les éléments de la Special Mobile Force, des sapeurs-pompiers et de la National Coast Guard ont eu fort à faire le 17 février. De la mi-journée à 20 heures, plus de 60 interventions ont été effectuées.
La Special Mobile Force est intervenue à Terre-Rouge, Vallée-des-Prêtres, Bell-Village, route Militaire, Canal-Dayot, Sainte-Croix et Cottage.
Des Local government first responders sont restés en stationnement à Anse-Jonchée et Bambous-Virieux.
Les sapeurs-pompiers ont mobilisé dix-sept équipes et ont effectué 53 sorties à : Terre-Rouge, Pamplemousses, Piton, Sainte-Croix, Tranquebar, Pointe-aux-Sables, La Tour-Koenig, Albion, Plaine-Verte, Lallmatie, route Militaire, Beau-Bassin, Grande-Rivière Nord-Ouest (Montée S), entre autres.
Des personnes ont dû être évacuées de leurs maisons à Roche-Bois et Richelieu. Ces deux régions ont ouvert leurs centres de refuge et les réfugiés ont afflué à partir de midi. À dimanche soir, le National Disaster Risk Reduction and Management Committee n’avait pas encore chiffré le nombre de réfugiés.
La National Coast Guard a procédé à l’évacuation de dix personnes à Roche-Bois, alors que les sapeurs-pompiers ont évacué six personnes à Terre-Rouge, dont un bébé et une femme. La Special Mobile Force a évacué un homme de 70 ans et un enfant de 10 ans à Sainte-Croix.
Plusieurs routes ont été fermées à la circulation rouvertes vers 17 heures. Les routes fermées sont : Riche-Terre en direction du centre commercial, Terre-Rouge près du poste de police, Piton, Lallmatie, l’autoroute à hauteur de Bell Village.
Panne de lignes à l’Information Room de la police : le 148 à la rescousse
Les lignes d’urgences de la police, notamment le 999 et le 112, sont tombées en panne en raison du mauvais temps. Sollicité pour une réaction, le responsable des communications de la police, l’inspecteur Shiva Coothen, a confirmé que les lignes téléphoniques à l’Information Room étaient effectivement hors service. Des dispositions ont été prises pour que les réparations soient effectuées dans les plus brefs délais, a-t-il assuré. Il a ajouté que Mauritius Telecom était en train d’effectuer des réparations. Entre-temps, la police a mis la ligne 148 au service du public, a-t-il expliqué.
Les Mauriciens disent leur ras-le-bol
Le déluge et la montée des eaux ont fait beaucoup de mécontents. Certains ont dit leur « ras-le-bol » d’être laissés pour compte par les autorités. D’autres ont porté secours à ceux qui étaient en difficulté pour éviter qu’un drame ne se produise. Voici quelques témoignages recueillis par les journalistes du Défi Media Group…
Des véhicules emportés par les eaux
Pravesh Panchoo, un habitant de la rue Renaissance, Plaine-Verte, relate qu’à peine trois à quatre minutes, il y a eu une accumulation d’eau dans sa cour. Il explique qu’avec l’aide des voisins, il a pu mettre à l’abri sa voiture pour qu’elle ne soit pas emportée par les flots. Malheureusement, la motocyclette d’un de ses amis n’a pu être sauvée. « C’est avec l’aide des amis qu’on tente d’empêcher l’eau de pénétrer dans les maisons. Nous avons contacté les pompiers et la police. Mais en vain. Nou pe denbrouy nou ant nou », affirme Pravesh Panchoo.
La même situation s’est produite à Terre-Rouge. La famille Dooky affirme que les voitures en stationnement dans la rue où elle vit ont été emportées par l’eau de pluie. « C’est en quelques minutes après qu’il ait plu que les eaux sont montées d’un cran et ont emporté les voitures en stationnement ». L’eau a également pénétré dans leur maison et a endommagé leurs effets personnels.
Pravez, domicilié à Terre-Rouge, a vu sa voiture emportée par le courant pour terminer sa course contre la clôture de sa maison. « Delo finn lev loto-la koumsa. Okenn massin pena finn reste ». Pravez déclare avoir secouru un voisin, dont l’eau lui était montée jusqu’au cou. Il est venu en aide à l’épouse de ce dernier et aussi aux deux enfants du couple. Il raconte avoir également porté secours à une vieille dame qui s’est retrouvée en difficulté après que l’eau ait infiltré sa maison. « Ma priorité est de sauver ceux qui sont en difficulté et d’éviter qu’un drame ne se produise », indique Pravez.
Routes impraticables
Un motocycliste qui empruntait la rue Diégo Garcia, Port-Louis, souligne qu’il a du mal pour regagner son domicile avec les accumulations d’eau sur la route : « Pa fasil ditou. Mo pe esey rant kot mwa. Pa kone kouma mo pou rentre. »
Une situation qui perdure
Les habitants de Piton sont en colère contre les autorités. La raison : les choses n’ont pas changé pour eux. Selon Manu Jankee, depuis décembre 2017 ils ont alerté les autorités concernées concernant les difficultés qu’ont à faire face les habitants de la région en temps pluvieux.
« Aujourd’hui, nous subissons la même situation. Nombreux d’entre nous sont victimes des accumulations d’eaux qui pénètrent dans nos domiciles respectifs. Des pertes sont conséquentes. Nous avons alerté les autorités concernées depuis le 10 décembre 2017. Zot inn met sa dan tirwar. C’est le statu quo. Nous n’en pouvons plus. Il faut que les autorités concernées réagissent. Nous avons ras-le-bol de cette situation. Enough is enough ! » s’emporte Manu Jankee.
À Piton, la famille Roodumun est démoralisée. De l’eau boueuse a pénétré dans la maison et a détruit les effets personnels ainsi que les provisions. « Ou’nn trouve ki dega sa inn fer. Delo labou inn rantre. Tout nou rasion inn gate. Get sitiasion-la, nou pa kapav viv koumsa. »
Sandeep Conhye de Piton explique que cette situation est due au fait que des travaux de drains n’ont toujours pas été effectués. « C’est une situation qui dure depuis 15 ans. Nous avons alerté les autorités concernées. Mais en vain. Tou delo pe sorti depi Mont Piton ek pe dessan. Bann lakaz pe afekte. Zot pe komans enn travay a lanver, zot pe fer travay la kot Cottage avan alor ki ti bizin komans fer bann travay la dan Piton ». Il soutient que les députés de la circonscription No 7 et le président du village font fi de leurs requêtes. « Zot pa vini mem la. Si zot ti vini, nou ti kapav dir zot nou doleans ek rezoud nou problem. Nou pe anvi res an sekirite. Me nou pena sekirite di tou. Zot pou bizin vinn get nou azordi. Sinon, nou pou lor sime. »
Le chantier du Metro Express au ralenti
Les grosses pluies du week-end ont eu pour conséquence de retarder les travaux du projet Metro Express. Les ouvriers devaient commencer à poser les poutres qui vont sur les colonnes qui ont été aménagées autour du marché de La Butte dès samedi dernier. Ce sont ces poutres qui vont permettre aux trains d’opérer au-dessus de la route. Les travaux ont dû être arrêtés à cause des averses de ce week-end. Ce n’est que ce lundi soir, si le temps s’améliore, que les travaux devraient reprendre. «Ce sont des travaux délicats, explique Dev Beekharry, responsable de communication de la Metro Express Ltd, les poutres pèsent 55 tonnes chacune et font 30 mètres de long. Cela demande beaucoup de précautions. » Les travaux n’ont pas pris de retard conséquent, assure-t-il, concernant l’objectif de l’ouverture des opérations dès le mois de septembre. Quant aux problèmes qui peuvent surgir pour le Metro Express en cas d’inondation, Dev Beekharry, rassure : « Tout cela a été pris en considération. Sur toute la section de la gare Victoria à la Place de l’Immigration, il est prévu que les rails seront légèrement surélevés. »
Utilités publiques : fourniture d’eau irrégulière à l’Est
Après l’accalmie, les coupures. Ce sont 13 villages à l’Est du pays qui sont sujets à une fourniture d’eau irrégulière depuis l’après-midi de dimanche. Les camions citernes ont pris le relais. Ces villages sont Flacq, Argy, Saint-Rémi, Camp Ithier, Isidore Rose, Trou-d’Eau-Douce, Ernest Florent, Quatre-Sœurs, Petit-Sable Grand-Sable, Lallmatie et Camp-de-Masque, a indiqué Dorina Prayag, Hotline Coordinator à la Central Water Authority. Les fortes pluies ont contribué à la montée des eaux dans des rivières, apportant boue et débris dans leur sillage. La CWA a dû stopper ses activités dans quatre points stratégiques à l’Est du pays, le temps que la situation retourne à la normale. Des plongeurs sont appelés en renfort pour nettoyer les fonds et enlever les débris des rivières. « Sept camions citernes assurent la fourniture d’eau. Des instructions ont été données pour que le précieux liquide soit partagé de manière équitable » ,a-t-elle dit. Et enfin que « le retour à la normale dépendra du climat».
Météo : «Les fortes pluies seront de retour»
Parce que soleil, chaleur et pluies s’alterneront, affectant le quotidien, crème solaire, bouteille d’eau et parapluies sont de rigueur.
La station météorologique de Vacoas indique que les pluies qui ont paralysé la capitale, enflé les cours d’eau et inondé des maisons à travers le pays feront parler d’elles à nouveau. Car nous sommes dans une période de l’année quand de telles situations climatiques sont attendues.
« Une grande partie de la masse nuageuse porteuse de grosses pluies est déjà passée sur Maurice durant le week-end. On devrait néanmoins s’attendre à un retour de la chaleur, avec des températures oscillant entre 32 °C et 33 °C, qui aiderait au développement de nuages et apporteraient des pluies éparses sur l’île », expliquent les services météo. « Nous nous attendons à ce que ces pluies ne soient pas généralisées. Elles ne seront pas comparables à ce que nous avons vécu durant le week-end. Éclairs et orages seront aux rendez-vous. »
Et d’ajouter : « Comme nous l’avons indiqué dans notre rapport pour la saison, les pluies seront récurrentes. Nous sommes en plein été. Donc, on devrait se préparer à du temps ensoleillé et à de la chaleur. Les fortes pluies seront de retour dans les semaines à venir. »
L’île a enregistré de fortes pluies durant le week-end, avec de grosses averses dans l’après-midi du dimanche 17 février. Ce n’est qu’à 18 heures que l’avis de fortes pluies a été enlevé, quand les nuages actifs ayant influencé le temps avaient pris leurs distances.
En attendant le retour du soleil et des prochaines pluies, la station météorologique recommande la prudence. Il est conseillé aux Mauriciens d’éviter les rivières et cours d’eau en crue, entre autres. En cas d’orages, restez à l’abri. Annulez les sorties en mer et ne vous abritez pas sous les arbres.
La prudence au volant est aussi recommandée. « La visibilité sera considérablement réduite durant les averses à cause des poches de brouillard », fait ressortir la station de Vacoas.
Données : la capitale arrosée
Port-Louis a été la localité la plus touchée par les fortes pluies durant le week-end. Les données des services météo de 16 heures samedi à la même heure dimanche.
La capitale | |
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Lieu | Pluviométrie |
Montagne-des-Signaux | 143 mm |
Chitrakoot | 121 mm |
Riche-Terre | 113,1 mm |
Bell-Village | 89,6 mm |
Line Barracks | 88,2 mm |
Domaine Les Pailles | 85,6 mm |
À travers le pays | |
Albion | 102,6 mm |
Providence | 82,8 mm |
Rose-Belle | 78,2 mm |
Riche-en-Eau | 76,8 mm |
Mon-Bois | 71 mm |
Nouvelle-Découverte | 70,4 mm |
Beau-Bassin | 70,2 mm |
Plaisance | 69,9 mm |
Mare-aux-Vacoas | 67,8 mm |
Vacoas | 67 mm |
Moka | 63 mm |
Mon-Loisir Rouillard | 62,2 mm |
Pointe-aux-Canonniers | 59 mm |
Quatre-Bornes | 51,8 mm |
Mon-Loisir Sugar Estate | 51,6 mm |
Saint-Félix | 40,2 mm |
Beaux-Songes | 40 mm |
Rivière-Noire | 30,6 mm |
Queen Victoria | 29,6 mm |
Belle-Mare | 23 mm |
Le Morne | 13,4 mm |
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