
Scientifique engagée, le Dr Madhvee Madhou, coordinatrice de recherche au Mauritius Research and Innovation Council (MRIC), se prête avec enthousiasme au jeu des questions de Le Dimanche/L’Hebdo. Elle évoque la place des femmes dans la science à l’occasion de la Journée internationale des femmes 2025.
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Si vous pouviez remonter le temps, quel message adresseriez-vous à la jeune fille que vous étiez avant de vous lancer dans les sciences ?
(Sourire) Je pense que ce serait : « Suis ton cœur, fais confiance à tes convictions et crois en toi. Écoute les conseils des autres, mais ne laisse jamais personne étouffer tes rêves. Ose t’affirmer et poursuivre tes passions, car c’est en restant fidèle à toi-même que tu accompliras de grandes choses ».
Quelle est la découverte ou l’innovation qui a changé votre regard sur votre propre domaine ?
Toutes les découvertes scientifiques sont inspirantes. Parmi elles, la découverte de la structure en double hélice de l’ADN en 1953 par James Watson et Francis Crick, avec la contribution essentielle de Rosalind Franklin, a profondément influencé notre compréhension de la génétique. De même, la théorie de l’évolution de Charles Darwin a révolutionné notre perception de la vie humaine.
Cependant, l’innovation qui a véritablement transformé ma vision de mon domaine est survenue en 2019 lorsque j’ai été fortement impliquée dans une étude approfondie de l’écosystème national de l’innovation à Maurice. Grâce à une collaboration étroite entre chercheurs, décideurs politiques, industriels et représentants gouvernementaux, nous avons réussi à améliorer le classement de Maurice dans l’Indice mondial de l’innovation publié annuellement par l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle, passant de la 82e à la 52e place en une seule année.
Avez-vous déjà ressenti le syndrome de l’imposteur dans votre parcours scientifique ?
Tout au long de ma carrière, j’ai rencontré des situations où mon dévouement et mon travail acharné ont ouvert la voie à des opportunités de reconnaissance sur des plateformes nationales et internationales.
Cependant, j’ai également observé que pour certaines personnes, je ne devrais pas accepter de telles opportunités, insinuant que réaliser le travail est acceptable mais qu’en recevoir la reconnaissance
ne l’est pas.
Comment avez-vous surmonté le découragement ?
Cette forme subtile de découragement peut être psychologiquement éprouvante, visant à saper la confiance et la motivation personnelles. Il est essentiel de reconnaître ces dynamiques et de ne pas intérioriser des sentiments de culpabilité ou le syndrome de l’imposteur.
J’ai partagé ces sentiments avec des amis et des collègues, leaders dans leurs domaines, qui ont traversé des expériences similaires. Grâce à leur soutien, j’ai appris à reconnaître que les opportunités et la reconnaissance que je reçois sont le fruit de mes efforts et sont amplement méritées.
En tant que femmes, il est important de comprendre que dans le monde professionnel, accepter et embrasser les fruits de notre travail est non seulement acceptable mais aussi source d’autonomisation.
Si votre métier devait être résumé en un objet du quotidien, lequel serait-il et pourquoi ?
Mieux qu’un objet, je pense qu’un jardin représente le mieux mon travail. Tout comme un jardinier entretient différentes plantes, je cultive la recherche, les politiques et les collaborations. Certains projets nécessitent une attention immédiate comme des fleurs délicates tandis que d’autres, comme de grands arbres, prennent du temps à pousser et à porter leurs fruits.
Évidemment, je fais face à des conditions météorologiques imprévisibles telles que les défis et obstacles, mais avec patience, soin et expertise, je crée quelque chose de florissant et d’impactant.
Quel stéréotype ou préjugé sur les femmes dans les sciences vous agace le plus ?
Un stéréotype qui me dérange particulièrement est l’idée que malgré leur compétence technique avérée, les femmes scientifiques ne sont pas considérées comme des leaders naturels. Cette perception persiste même lorsque ces femmes excellent dans la recherche, dirigent des équipes techniques et publient des travaux de premier plan. Souvent, les positions de leadership sont attribuées à des hommes jugés plus aptes en raison de critères de leadership définis historiquement par des normes masculines.
Cette dynamique explique en partie pourquoi bien que les femmes soient nombreuses dans les sciences, leur représentation diminue à mesure que l’on gravit les échelons hiérarchiques. D’ailleurs, des études ont montré que les femmes sont sous-représentées dans les postes de direction scientifiques malgré des performances comparables voire supérieures à celles de leurs homologues masculins.
Comment y remédier ?
Il est essentiel de mettre en place des politiques pour garantir une représentation équilibrée lors de l’attribution de postes de leadership à qualifications égales. De plus, promouvoir des formations sur les biais inconscients et encourager des évaluations de performance objectives peuvent aider à déconstruire ces stéréotypes et à ouvrir la voie à une représentation équitable des femmes à tous les niveaux de leadership scientifique.
Quelle est la question que l’on ne vous pose jamais mais à laquelle vous aimeriez répondre ?
Cette question, c’est : « Avez-vous déjà été confrontée à des stéréotypes de genre dans votre parcours professionnel ? ». Trop souvent, en tant que femmes, nous sommes perçues comme « trop » : trop ambitieuses, trop bruyantes, trop assertives, ou au contraire, trop douces.
Lorsqu’un homme exerce son autorité, il est qualifié de leader, mais une femme faisant de même est étiquetée comme « trop autoritaire ». Je dirais donc à toutes les jeunes filles et femmes : « Lorsque vous entendez de tels commentaires, ne les prenez pas personnellement. Persévérez dans vos efforts et restez fidèles à vos aspirations. »
Trop souvent, en tant que femmes, nous sommes perçues comme ‘trop’ : trop ambitieuses, trop bruyantes, trop assertives, ou au contraire, trop douces»
Si vous pouviez dîner avec une femme scientifique vivante ou disparue, qui choisiriez-vous et que lui demanderiez-vous ?
Je choisirais l’Autrichienne Alexandra Palt, une figure emblématique de la promotion de la science et de la durabilité. Titulaire d’un diplôme en droit, elle a débuté sa carrière en tant qu’avocate avant de travailler pour Amnesty International en Allemagne, se consacrant aux droits de l’homme.
En 2012, elle a rejoint L’Oréal en tant que directrice de la responsabilité sociétale et environnementale, lançant des initiatives telles que le programme « L’Oréal pour le Futur ». Elle a également présidé la Fondation L’Oréal, supervisant des programmes comme les Prix L’Oréal-UNESCO pour les femmes et la science qui honorent des scientifiques exceptionnelles à l’échelle mondiale. Elle a atteint des sommets dans l’une des carrières les plus enviées de France.
J’ai eu le privilège de la rencontrer brièvement en tant que membre du jury pour le Prix L’Oréal-UNESCO pour les Talents internationaux en Afrique subsaharienne. Si j’avais l’occasion de dîner avec elle, j’aimerais bien lui poser ces questions : qu’est-ce qui vous a inspirée à orienter votre carrière vers la promotion de la durabilité et du soutien aux femmes scientifiques ? Quels défis avez-vous rencontrés en intégrant des objectifs de durabilité au sein d’une grande entreprise et comment les avez-vous surmontés ? Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes souhaitant allier carrière scientifique et engagement en faveur de la durabilité et de l’inclusion ?
Votre travail vous a-t-il déjà amenée à vivre une situation insolite ou inattendue ?
En octobre 2024, un incendie s’est déclaré dans l’un des bâtiments de l’Assemblée régionale de Rodrigues, endommageant gravement le bureau de la Commission électorale régionale. Le bureau du MRIC à Rodrigues fut ainsi incendié.
En tant que responsable du bureau de Rodrigues depuis 2011, j’ai été confrontée à divers défis professionnels, mais jamais à une crise d’une telle ampleur. Ce fut un défi non seulement professionnel mais aussi humain, car il a fallu soutenir à distance un personnel vulnérable, privé de son lieu de travail et de ses outils.
Si une jeune fille hésite à se lancer dans votre domaine, que lui diriez-vous pour l’encourager ?
Je lui dirais de ne pas laisser la peur la retenir dans son parcours. Mais aussi d’écouter son cœur et de suivre ce qui la passionne.
De nombreuses filles et femmes, tant à l’échelle mondiale qu’à Maurice, ont fait preuve de courage en poursuivant leurs rêves scientifiques. Par exemple, la Pr. Ameenah Gurib-Fakim, scientifique en biodiversité et première femme présidente de Maurice, ou encore le Dr Devika Saddul, présidente du chapitre mauricien de l’Organisation des femmes scientifiques pour le monde en développement. Rencontrer ces femmes et d’autres professionnelles peut être une source d’inspiration.
En vous entourant de modèles positifs et en écoutant votre intuition, vous surmonterez les obstacles et avancerez avec confiance vers vos objectifs. Rappelez-vous que chaque pas que vous ferez contribuera à ouvrir la voie aux générations futures, renforçant ainsi la présence et l’influence des femmes dans tous les domaines.
Si vous deviez décrire votre métier en une phrase qui intrigue et donne envie, laquelle serait-ce ?
Mon métier est à la fois enrichissant et stimulant, m’apportant une grande satisfaction en me permettant de collaborer avec divers acteurs clés, tels que chercheurs, universitaires, ONG, innovateurs et éducateurs au niveau national et international, pour promouvoir des innovations visant à améliorer le monde.
Selon vous, quelle invention devrait exister pour faciliter la vie des femmes au quotidien ?
(Rires) Une invention idéale pourrait être un assistant domestique robotisé multifonctionnel. Cet appareil intelligent serait capable de gérer diverses tâches ménagères (nettoyage, cuisine et courses), allégeant ainsi la charge mentale souvent assumée par les femmes.
Si vous deviez nommer un élément du tableau périodique en l’honneur d’une femme, quel serait son nom et pourquoi ?
Je proposerais le nom « Meitnerium » en hommage à Lise Meitner. Physicienne autrichienne d’origine suédoise, elle a joué un rôle essentiel dans la découverte de la fission nucléaire, un élément clé du développement de l’énergie atomique. Malgré ses contributions majeures, elle n’a pas reçu le prix Nobel pour cette découverte, celui-ci ayant été attribué à son collaborateur Otto Hahn. En nommant un élément en son honneur, nous reconnaissons enfin l’importance de son travail et son impact sur la science moderne.
Quelle expérience scientifique résume le mieux le fait d’être une femme aujourd’hui ?
C’est l’effet Matilda. Ce phénomène, documenté en sociologie des sciences, désigne la tendance à minimiser ou à attribuer aux hommes les contributions des femmes scientifiques. Il reflète parfaitement ce que beaucoup de femmes vivent dans leur carrière : elles produisent des idées, mènent des recherches, innovent, mais leur travail est souvent éclipsé par des figures masculines en position de pouvoir.
En sciences, comme dans d’autres domaines, les femmes doivent souvent faire preuve d’une excellence indiscutable pour obtenir une reconnaissance qui, pour un homme, serait presque automatique.
Dans votre domaine, quelle serait la plus grande découverte : l’égalité salariale ou une percée révolutionnaire ?
L’égalité salariale et les percées révolutionnaires sont essentielles et interdépendantes. L’égalité salariale est fondamentale pour garantir que les contributions de chaque individu soient reconnues et récompensées équitablement, indépendamment du genre.
Cependant, sans percées révolutionnaires, qu’il s’agisse de découvertes scientifiques majeures ou d’innovations technologiques, le progrès serait limité. Ces avancées stimulent la croissance économique et ouvrent de nouvelles opportunités pour tous. Ainsi, l’égalité salariale crée un environnement juste et motivant tandis que les percées révolutionnaires propulsent le domaine vers de nouveaux horizons.
Si vous deviez expliquer l’égalité hommes-femmes avec une loi scientifique, laquelle choisiriez-vous ?
On peut évoquer la notion de symbiose. En biologie, la symbiose désigne une interaction entre deux organismes d’espèces différentes qui vivent ensemble, souvent à bénéfice réciproque. De même, l’égalité entre hommes et femmes repose sur une collaboration harmonieuse et bénéfique pour la société tout entière.
Quel superpouvoir scientifique rêveriez-vous d’avoir pour affronter les défis du quotidien ?
Pour relever les défis quotidiens liés à la gestion de la maison, à la fréquentation de la salle de sport, aux rencontres avec des amis et à l’excellence professionnelle, un superpouvoir scientifique idéal serait la capacité de manipuler le temps. Cette aptitude me permettrait de dilater mon temps personnel, m’offrant ainsi la possibilité de consacrer des moments de qualité à chaque aspect de ma vie quotidienne sans empiéter sur les autres.
Si on remplaçait les stéréotypes de genre par des formules mathématiques, à quoi ressemblerait l’équation parfaite ?
Pour illustrer la parité hommes-femmes à travers une formule mathématique, je pense qu’on pourrait envisager l’équation suivante : (H + F) / 2 = E, où H représente les contributions des hommes, F celles des femmes et E l’efficacité ou le bien-être global de la société. Cette formule suggère que la somme des efforts et des talents des hommes et des femmes, lorsqu’ils sont partagés équitablement, conduit à un résultat optimal pour la société dans son ensemble.
Quelle est la plus grande expérience sociale à laquelle vous avez participé en tant que femme scientifique ?
Membre du jury du programme L’Oréal-UNESCO pour les femmes et la science - Afrique subsaharienne depuis 2014, j’examine chaque année un grand nombre de candidatures provenant de divers pays d’Afrique afin de sélectionner les lauréates. C’est un travail exigeant qui peut s’étendre sur plusieurs semaines. Je le fais bénévolement, malgré les nombreuses nuits blanches que cela implique.
Chaque année, je ressens la même émotion en voyant l’espoir que ce prix insuffle à ces jeunes femmes. Certaines ont un accès très limité aux infrastructures de laboratoire dans leur pays. Cette récompense leur permet de poursuivre leurs travaux dans un autre pays.
Quel objet scientifique symbolise le mieux la place des femmes dans la société aujourd’hui ?
Pour moi, c’est la microscopie à force atomique (AFM). Cet instrument permet d’explorer les structures à l’échelle nanométrique, révélant des détails invisibles à l’œil nu. De manière similaire, les contributions des femmes, bien que parfois invisibles ou sous-estimées, jouent un rôle essentiel dans le progrès scientifique et social. L’AFM incarne ainsi cette capacité à dévoiler l’invisible, tout comme la société reconnaît de plus en plus la valeur et l’impact des femmes dans tous les domaines.
D’après vous, quelles mesures pourraient être mises en place pour protéger les femmes des agressions et leur permettre de vivre pleinement dans l’espace public en toute sécurité ?
Plusieurs mesures peuvent être mises en œuvre : l’installation de caméras de vidéosurveillance dans les lieux publics, le renforcement des lois contre les agressions sexuelles et sexistes, la sensibilisation et l’éducation du public, la formation des forces de l’ordre, l’encouragement de la participation citoyenne, les programmes de surveillance de quartier.
Il faut également favoriser la vigilance collective pour signaler les comportements suspects ou encore développer des applications mobiles permettant de signaler rapidement des incidents ou de demander de l’aide.
Pour conclure cet entretien, quel est votre message à l’occasion de la Journée internationale des femmes 2025 ?
Célébrons nos réalisations et réaffirmons notre engagement envers l’égalité. À toutes les femmes et filles, ne laissez personne vous intimider ou vous détourner de vos rêves. Faites confiance à votre intuition, cette force intérieure qui guide vos choix et nourrit votre détermination. En nous soutenant mutuellement et en reconnaissant l’égalité fondamentale entre les femmes et les hommes, nous construisons une société plus juste et prospère pour tous. Ensemble, femmes et hommes, renforçons-nous mutuellement pour ouvrir la voie à un avenir où chacun, indépendamment de son genre, peut s’épanouir pleinement.

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