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Ingérence dans les organismes publics : d’anciens nominés politiques témoignent 

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L’ancien Chief Executive Officer (CEO) de Mauritius Telecom, Sherry Singh, est venu mettre en exergue les influences exercées par des ministres et par des personnes gravitant autour du pouvoir sur les nominés politiques. Le Défi Plus vous propose des témoignages mettant en lumière des tentatives d’ingérence.


Le père Filip Fanchette.
Le père Filip Fanchette.

Centre Culturel Nelson Mandela : tentative d’ingérence pour influencer le recrutement 

Nommé en 2011 à la présidence du conseil d’administration du Centre Nelson Mandela pour la culture Kreol et africaine, le père Filip Fanchette tient d’abord à s’expliquer sur les raisons qui l’ont poussé à accepter ce rôle de nominé politique. « La directrice Danielle Turner m’avait convaincu d’accepter cette nomination, car elle était d’avis qu’on allait bien collaborer », indique-t-il.  Son intérêt pour la culture africaine a, toutefois, été l’élément détonateur qui l’a incité à accepter cette responsabilité. 

« La première fois que je suis allé en Afrique remonte à 1976, ce qui témoigne de ma relation spéciale avec ce continent », fait-il part. Bien que le prêtre soutienne ne pas avoir été témoin de grandes manœuvres pour le manipuler, il se souvient, cependant, d’avoir reçu des instructions d’un proche du PTr pour nommer une personne de son entourage au poste de secrétaire. « Ma réponse a été un non catégorique », avance Filip Fanchette. Ce dernier explique avoir fait clairement comprendre que ce poste a été « advertised » et qu’une personne allait être sélectionnée uniquement à travers un exercice d’appel à candidatures.

 


Mauritius Examinations Syndicate : des requêtes pour changer les notes d’examen

Lucien Finette.
Lucien Finette.

Choisi par l’ancien Premier ministre, Navin Ramgoolam pour diriger le Mauritius Examinations Syndicate (MES), Lucien Finette soutient avoir régulièrement subi des pressions. « Les directives et les pressions que je recevais étaient à tous les niveaux. Les agents politiques, les députés et autres proches du pouvoir se tournaient souvent vers moi afin de pouvoir accéder à certaines informations relatives aux examens nationaux », se remémore Lucien Finette qui a été directeur du MES de 2005 à 2014. 

Les pressions et autres requêtes qui remontaient jusqu’à lui concernaient notamment les résultats des examens. « On me disait à chaque fois qu’on parlait au nom du Premier ministre, Navin Ramgoolam. Par exemple, une fois, on m’a expliqué qu’il fallait changer un B en un A. Dans d’autres cas, on voulait savoir le nombre de points qu’il manquait à un candidat pour obtenir un meilleur résultat », révèle-t-il.  Parfois, confie-t-il, certaines personnes venaient même le voir avec des enveloppes. « Mais ma position était toujours la même. À chaque fois qu’on me disait qu’on venait me demander un service au nom de Navin Ramgoolam, je leur disais que j’allais personnellement m’enquérir auprès du Premier ministre.  Aussitôt, on me disait : non pa fer sa », dit-il.

Lucien Finette avance qu’avant sa nomination, l’ancien chef du gouvernement l’avait prévenu de telles tentatives de pression. « Il m’avait averti que plusieurs personnes prétendraient parler en son nom afin d’obtenir certaines faveurs, mais de ne pas y prêter foi. Il m’a fait comprendre que s’il avait une requête à faire, il le ferait personnellement », ajoute-t-il.


Suren Bissoondoyal.
Suren Bissoondoyal.

Ex-Tertiary Education Commission Le renouvellement du contrat de l’ex-directeur « souhaité » 

« Il y a eu des pressions ministérielles sur moi pour le renouvellement du contrat de l’ancien directeur de la Tertiary Education Commission (TEC) », révèle Suren Bissoondoyal, ancien président du conseil d’administration de l’ex-TEC. Les faits, dit-il, remontent à octobre 2019, quand le contrat de Sid Nair, ancien directeur de l’ex-TEC, est arrivé à terme. Cela intervenait au moment où l’Assemblée nationale avait été dissoute en vue des élections générales de novembre 2019.  « La commission électorale avait fait parvenir une circulaire à tous les organismes gouvernementaux pour demander de geler les exercices de renouvellement de contrat », ajoute-t-il. 

« Il était hors de question que j'aille à l’encontre d’une communication du bureau de la Commission électorale. Devant mon refus, on m’a proposé d’offrir un contrat renouvelable chaque mois à cet ancien directeur », ajoute-t-il. Suren Bissoondoyal a alors sollicité le State Law Office afin d’obtenir un avis légal sur la question. « Le parquet s’était opposé à cette directive. J'ai transmis cet avis à ceux qui faisaient pression sur moi et le sujet a été clos », avance-t-il. 

Quelques mois après, Suren Bissoondoyal a été remercié.


Iqbal Sookhroo.
Iqbal Sookhroo.

Université de Maurice : Pression contre Konrad Morgan

La dissolution du conseil d’administration de l’Université de Maurice en 2011, soit à la veille de l’adoption du plan de restructuration de l’ex-vice-chancelier, Konrad Morgan, était un cas flagrant d’ingérence, selon Iqbal Sookhroo, président de l’University of Mauritius Staff Union. Selon lui, le « timing » était une indication claire du refus des autorités de mettre ce plan à exécution.  « Outre cette ingérence du PMO, il y avait  aussi cet aveu de l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, Rajesh Jeetah, qui avait publiquement déclaré qu’il s’entretenait régulièrement avec Konrad Morgan pour discuter des ‘policy decisions’. C’est une violation des statuts de l’université », fait-il ressortir. Il n’a pas fallu longtemps pour que Konrad Morgan jette finalement l’éponge. 


Jean Claude de l’Estrac : « C’est ce qui explique la médiocrité de notre gouvernance » 

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Le Premier ministre a lui-même avoué avoir donné des directives à l’ancien CEO de Mauritius Telecom pour conduire un « survey » sur le câble SAFE. Cela est-il révélateur de l’emprise que l’on peut avoir sur un nominé politique ?
Absolument ! La plupart des nominés sont choisis en fonction de la mollesse de leur colonne vertébrale. Pravind Jugnauth n’est pas le premier chef de gouvernement  à s’entourer de mollusques, mais aucun n’a été aussi vicieux que lui. Il en a fait une science de gouvernement. Il a été conforté par les résultats des dernières élections législatives et se dit qu’il n’a aucune raison de changer de méthode. L’affaire Sherry Singh est, pour lui, un accident.

Une personne nommée à la tête d’un organisme peut légalement refuser des instructions. Toutefois, en sachant que cette personne a été nommée par un ministre, peut-elle faire autrement que d’accepter ?
Elle le peut, tout à fait. Dans certains cas, la législation exige même que le nominé soit une personne autonome. Le directeur général de la MBC-TV, par exemple,  est censé s’assurer que la station opère de manière indépendante et impartiale. Toutes les instances de régulation, les organismes de « check and balances » doivent être dirigés, en principe,  par des personnalités  indépendantes. À l’heure actuelle, tous, ou presque, sont aujourd’hui squattés par les partisans du régime. C’est ce qui explique la médiocrité de notre gouvernance.

Dans quel cas de figure est-ce qu’un nominé politique peut-il accepter que le ministre de tutelle s’ingère dans le fonctionnement de l’organisme qu’il dirige ?
Dans aucun cas !

Vous avez, dans le passé, été nommé comme président du conseil d’administration de la National Empowerment Foundation (NEF). Avez-vous reçu des pressions ministérielles ?
Jamais ! Je crois que personne n’aurait osé. Le Premier ministre d’alors, Navin Ramgoolam et le ministre des Finances, Rama Sithanen, m’avaient fait une confiance absolue. Pour être juste, j’ajoute qu’en tant que ministre dans le gouvernement de l’ancien Premier ministre, Anerood Jugnauth, je n’ai jamais subi la moindre pression de qui que ce soit.

Il y a plusieurs suggestions pour changer de système afin de mettre un terme aux pratiques de nominations ministérielles. Qu’est-ce qui serait, selon vous, la meilleure méthode à appliquer ?
Ce n’est pas le système qui est en cause. C’est le clientélisme éhonté que pratiquent sans vergogne les gens du pouvoir.

 

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