Interview

Ibrahim Koodoruth, sociologue : «le Mauricien est un peu blasé, voire dépassé»

Dans cet entretien, le sociologue Ibrahim Koodoruth dresse un tableau de notre société confrontée à des mutations. Il soutient que le Mauricien ne sait plus à quoi s’attendre. Il ajoute que, sans un contrôle du financement des partis politiques, on ne gagnera pas la bataille contre les barons de la drogue.

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Comment évolue notre société ?
Nous subissons de plus en plus les effets pervers de la mondialisation de l’économie, car nous avons adopté une politique de libéralisme économique. Les transformations technologiques au niveau de l’accès à l’information ont permis à la population de se renseigner et de partager son avis. Nous subissons les effets du changement climatique.
Sans compter les mutations sociales, qui font que le Mauricien est un peu blasé, voire dépassé. Il ne sait pas trop à quoi s’attendre demain. Il subit une perte du sens de l’orientation, car les conditions de vie, les conditions climatiques, les conflits familiaux et nos institutions le rendent perplexe.

Nous vivons dans une société de l’image, mais la population sait parfaitement faire la distinction entre les apparences et la réalité. Ainsi, malgré tous les habillages médiatiques de la classe politique, le Mauricien est septique. Il est déjà heureux de pouvoir joindre les deux bouts.

De nombreux meurtres sont enregistrés, dont récem-ment celui d’une femme de 60 ans tuée à coups de couteau par son fils. Qu’arrive-t-il à la société ? Perd-on la raison ?
Non. Nous ne savons tout simplement plus en quoi consistent les valeurs familiales, la fonction de la parentalité, comment vivre en couple, comment éduquer nos enfants, comment organiser notre vie, comment préparer un budget familial et en quoi consistent nos priorités... Nous vivons par habitude, dans un monde qui change. Nous ne réfléchissons plus. Ce sont les caractéristiques d’une société de consommation.

La drogue synthétique touche de plus en plus de jeunes. Que peut-on faire pour endiguer le problème ?
On ne peut pas réfléchir à la place d’un jeune. On ne peut que l’outiller et le guider. Nous devons travailler avec les jeunes pour leur apprendre à dire non à la drogue.

L’Anti-Drug and Smuggling Unit fait des saisies quotidiennement, mais la drogue entre quand même à Maurice. Le pays est-il devenu une plaque tournante du trafic ou sommes-nous devenus de gros consommateurs ?
Je ne sais pas. Ce qui est sûr, en revanche, c’est qu’il y a une forte relation entre la classe politique et les trafiquants de drogue. Tant que nous n’arriverons pas à contrôler les finances des partis politiques, nous ne gagnerons pas la bataille contre les barons de la drogue.

Toujours au sujet de la drogue, devrait-on serrer la vis au niveau de notre port et de l’aéroport ?
C’est à la Commission d’enquête sur la drogue de faire des propositions. Attendons son rapport.

Parlons à présent du Metro Express. Ce projet cause pas mal de problèmes, n’est-ce pas ?
On ne fait pas d’omelette sans casser des œufs, mais on aurait pu mieux faire en termes de transparence et de planification. Pourquoi ne pas faire du pays une mégalopole, en s’inspirant de ce qui se fait ailleurs ? Le Sri Lanka se lance dans ce type de projet. Pourquoi ne pas repenser le développement des infrastructures économiques, du transport et des aménités dont la population a besoin ?

Nous venons d’assister à une crise au sommet de l’État. Pouvait-elle être évitée ?
Oui et non. Oui, si chacun comprend son rôle et ce qu’on lui demande de faire. Non, parce qu’il est temps de revoir l’organisation du système politique. Les personnes auxquelles on confie certaines responsabilités devraient considérer cette tempête comme un blessing in disguise, car nous devons repenser notre système politique. Peut-être est-ce l’occasion de repenser les fonctions d’un président de la République et celles d’un Premier ministre. Ou alors nous nous disons que notre Constitution is the best among the worst et nous devenons passéistes...

 

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