Interview

Heera Boodhun, criminologue à l’UoM : «La peine de mort ne réduira pas le taux de criminalité»

Pour la criminologue Heera Boodhun, cela ne sert à rien, quand il y a des crimes atroces, de sortir du chapeau l’introduction de la peine capitale. Ce raccourci, dit-elle, n’est pas une panacée à la réduction du taux de criminalité, aussi horrible soit le crime commis, comme celui perpétré dans la nuit de dimanche dernier à Valton.

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Le crime passionnel de dimanche a choqué la population. Comment arrive-t-on à ce phénomène ?
Les crimes passionnels, comme les autres d’ailleurs, ont besoin d’être analysés sous différentes perspectives. Dans certains cas, le partenaire qui s’est senti trahi et qui est incapable de digérer un tel affront est tellement retourné qu’au lieu de mettre un terme à cette relation, il pense à faire du mal en retour à celui ou celle qui l’a heurté. Dans ces moments-là, la personne agit de façon irrationnelle, sans penser aux conséquences que cela pourrait avoir sur elle, ses enfants et sa famille. Ceci résulte en une incapacité de contrôler ses émotions qui conduisent vers une telle violence. À titre d’exemple, un homme ne doit pas avoir honte de pleurer. Souvent, la seule façon acceptable d’agir pour un homme est d’utiliser la violence pour évacuer ses frustrations.

Les crimes passionnels deviennent-ils de plus en plus fréquents à Maurice ? Si oui, sont-ils liés d’une quelconque façon aux mœurs locales ?
Selon les dernières statistiques, la criminalité a augmenté à Maurice, sans toutefois révéler si les crimes passionnels ont aussi pris l’ascenseur dans ces données. Les médias jouent un grand rôle dans la consolidation de cette perception selon laquelle le chiffre augmente s’ils diffusent à longueur de semaine les mêmes crimes. Il faut reconnaître que la plupart des Mauriciens n’ont pas recours à des violences extrêmes entraînant mort d’homme quand il y a violence domestique.

Peut-on dire qu’il y a un déclin des valeurs ?

Définitivement, il y a une dégradation des valeurs humaines au sein de notre société. Mais évitons de surdramatiser afin de ne pas créer la panique au lieu de tenter de trouver des solutions au problème.

Dès qu’il y a un crime atroce qui choque la population, on sort du chapeau la peine capitale.

Aussitôt ce genre de crimes commis à Maurice, certains brandissent le rétablissement de la peine de mort. Est-ce la solution ?
Vous avez raison. Dès qu’il y a un crime atroce qui choque la population, on retire du chapeau la peine de mort. Quelle que soit la gravité du crime, la peine capitale n’est sûrement pas la solution pour enrayer le problème. Le modèle de la justice criminelle fait que l’on trouve normal qu’un innocent soit poursuivi et qu’un coupable s’en sorte. Toutefois, le modèle du processus régulier veut qu’au moindre doute, il est préférable qu’un coupable soit acquitté plutôt qu’un innocent soit poursuivi. Il y a eu plusieurs cas dans lesquels des innocents ont été exécutés ou qui ont passé des années dans le couloir de la mort et qui ont été acquittés avant de passer sur la chaise électrique.

A-t-on prouvé l’efficacité de la peine de mort pour diminuer le nombre de ces crimes ?
Prenons un exemple flagrant. Aux États-Unis, le taux de criminalité n’a pas diminué, mais des crimes qualifiés d’horribles continuent à être perpétrés. Ce qui prouve que la peine de mort n’est en aucun cas une solution.

Statistics Mauritius communique le nombre de crimes commis au pays mais jamais d’indices sur le degré de violence. Selon vous, ces violences deviennent-elles plus imaginatives et calculées ?
Statistics Mauritius nous aide à avoir une idée de l’étendue de la criminalité à Maurice. Toutefois, des données qualitatives sont nécessaires pour comprendre ce que veulent dire les chiffres. Si les médias font un magnifique travail en informant la population de ce qui se passe, il est cependant dangereux que des détails comme les armes et les moyens utilisés soient eux aussi rendus publics. Cela pourrait donner des idées saugrenues à certains.

Les films, les médias et Internet sont des sources d’informations qui peuvent être utilisés pour faire du tort. Il faut reconnaître que la plupart des crimes commis ne trouvent pas leurs sources à travers ces moyens de communication. Il est vrai que des crimes ont été commis aux États-Unis par des tueurs qui ont eu accès à des films violents et des jeux vidéos, tout comme en Grande-Bretagne. De là à faire porter le chapeau aux médias est un pas à ne pas franchir.

Souvent, des individus ont des facteurs à risque qui les poussent à commettre des crimes et à se lancer à la recherche des meilleurs moyens possibles pour mettre leur plan à exécution. Internet est l’un des outils où ils pensent pouvoir glaner des informations pour commettre le crime parfait. En ce sens-là, on peut dire qu’ils sont imaginatifs et bien planifiés.

La drogue et l’alcool ont-ils une incidence prononcée sur des crimes ou des meurtres ?
Les recherches ont prouvé que l’utilisation de la drogue peut augmenter les risques de la violence, alors que l’alcool tente à diminuer cette tendance à tuer, car cette boisson les pousse à penser à deux fois avant d’agir. Certains criminels trouvent une excuse facile en se cachant derrière la drogue ou l’alcool pour dire qu’ils ont agi sous leur influence. En examinant de près, on découvre d’autres facteurs à risque dans leur vie qui peuvent contribuer à leur violence.

Quels sont les facteurs à risque les plus communs et connus ?
Il existe trois catégories de facteurs à risque : individuel (impulsivité, quotient intellectuel très moyen), la famille (violence, abus, chômage, abus de drogue, pauvreté) et communauté (vivre dans une communauté dénuée de tout, faire partie d’une bande organisée, disponibilité d’armes à feu ou tranchantes). Cela n’empêche que ces exemples ne poussent pas quelqu’un à devenir violent, mais augmente les facteurs à risque dans la vie d’un individu qui le pousse à commettre l’irréparable.

La violence domestique prend de l’ampleur chez nous. Mais la plupart des femmes battues soit font l’impasse sur ce drame au nom des enfants, soit elles pardonnent en attendant des jours meilleurs avec leur partenaire. Expliquez-nous ce comportement…
La violence domestique a toujours existé, mais ce sont les médias qui en rapportent davantage maintenant. Les cas non rapportés ne doivent toutefois pas être ignorés. Elles sont nombreuses les femmes à faire l’impasse sur la violence qu’elles subissent pour que cela n’affecte pas les enfants. Sauf qu’elles ignorent que cette violence qui se tait a un effet néfaste sur les enfants du point de vue psychologique. Ceux qui sont violents ne le sont généralement pas tous les jours. Souvent quand ils ont commis cette violence domestique, ils s’excusent en offrant un cadeau pour se faire pardonner. La femme croit alors que les choses s’arrangeront.

Pourquoi cette soumission de la femme ?
Celui qui abuse de la violence domestique montre souvent du doigt la victime pour son mauvais comportement. La femme pense alors qu’elle est fautive et ne s’en va pas. Il y a la peur de perdre la garde de ses enfants, le manque d’indépendance économique, la honte du qu’en-dira-t-on et l’absence d’un support parental. Toutes ces raisons expliquent pourquoi la femme se soumet en acceptant de supporter ces relations abusives dans son couple.

La femme devient ainsi le bouc émissaire tout trouvé ?
Certaines familles savent que leurs enfants souffrent en silence de la violence domestique mais se taisent pour ne pas devoir vivre la réaction des autres. Le blâme a trop longtemps été jeté sur les victimes. Il est temps d’y mettre un frein. Des recherches ont démontré que les individus qui sont abusés ont plus enclins de faire des abus après. Cela touche aussi les enfants ayant vécu dans une famille où la violence était quotidienne. Ils penseront que c’est normal que dans une relation cela se passe ainsi. Il faut tenir compte du fait que la violence domestique se décline en plusieurs catégories : verbale, physique, financière, sexuelle et psychologique. Les partenaires doivent prendre conscience du fait que se rabaisser l’un l’autre aggrave les choses dans un couple.

 

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