Hector Tuyau : «Avocats, politiciens et policiers seraient en prison si…»

L’ex-assistant surintendant de police et enquêteur en chef de la Commission d’enquête présidé par l’ancien juge Paul Lam Shang Leen déplore que 35 recommandations figurant dans le rapport n’ont pu être appliquées par les autorités. Selon Hector Tuyau, des « forces occultes » auraient fait pression afin de freiner la mise en pratique de certaines mesures clés.

« Qu’en est-il de la proposition de réunir la douane, la MRA et l’Adsu sous une seule entité ? Nous n’avons rien entendu dans ce sens. C’est l’une des mesures phares du rapport »

Votre visage exprime clairement votre déception face au constat que plusieurs mesures recommandées par la Commission d’enquête sur la drogue n’ont pu être mises en œuvre…

Ah bon ? Ça se voit tant que ça ?

Bien sûr que oui…

Si vous le dites. J’étais l’enquêteur en chef de la Commission. Qui dit enquêteur en chef dit aussi lourdes responsabilités. J’ai travaillé avec des hommes dévoués pendant trois ans. Nous avons mené des enquêtes, certaines plus dangereuses que d’autres. Toutes nos informations ont été remises à la Commission. Le rapport a été publié en 2018. Ce document exhaustif de 259 pages, divisé en 27 chapitres, contenait des noms et surtout des faits vérifiables. Nous étions satisfaits de notre travail, avec l’espoir que des responsabilités seraient assumées suite à la publication du rapport.

Cependant, presque rien n’a été fait dans ce sens, et pour aggraver la situation, j’ai appris qu’environ 35 mesures n’ont pas été mises en œuvre, sans explication claire. À ma place, comment vous sentiriez-vous ?

Et quels sont vos sentiments face à cet état de choses ?

Je me sens très mal. En fait, ce sont trois longues années de travail pour rien. Si le rapport de la Commission était mis en œuvre dans son intégralité, je vous assure que des avocats, des politiciens et des policiers seraient en prison à l’heure où je vous parle. C’est dommage qu’ils soient toujours dans la nature, bien que leurs noms soient cités en grand dans le rapport.

Pourquoi dites-vous que ce sont trois années de travail pour rien ? Il y a eu un bon nombre de réalisations, notamment le Drug Users Administrative Panel (DUAP), visant à traiter les toxicomanes, qui sera bientôt opérationnel, entre autres…

Vous avez raison ! Bon nombre de mesures figurant dans le rapport ont été réalisées. Mais qu’en est-il de la proposition de réunir la douane, la Mauritius Revenue Authority (MRA) et l’Anti-Drug & Smuggling Unit (Adsu) sous une seule entité ? Nous n’avons rien entendu dans ce sens. Je trouve, et corrigez-moi si j’ai tort, que c’est l’une des mesures phares du rapport. Et je n’en démords pas ! De nos jours, chaque organisme travaille indépendamment. Or, si les trois étaient regroupés, les choses auraient changé.

Des mains invisibles auraient-elles exercé une pression afin d’empêcher la réalisation de certaines mesures ?

J’irai même plus loin. Tout porte à croire que des forces occultes auraient manœuvré dans l’ombre. Au cas contraire, toutes les mesures énoncées dans le rapport auraient été mises en œuvre depuis longtemps, et les résultats seraient plus que visibles.

Mais que voulez-vous ? Comme je vous l’ai dit, cela me fend le cœur de constater que des policiers qui auraient dû être au banc des accusés ont été promus, et des avocats, dont les noms figurent dans le rapport, plaident toujours dans une cour de justice. En ce qui concerne les politiciens, n’en parlons pas…

« Je suis confiant que la mauvaise perception du public à l’égard de nos forces de l’ordre est en train de changer depuis ce lundi fatidique du 15 janvier 2024 »

Changeons de sujet.Parlez-nous de cet exode de policiers…

Suite aux récentes promotions, une grande frustration règne au sein de la force, alimentée par le constat que ceux qui luttent en première ligne contre la criminalité ne sont pas promus, tandis que ceux appartenant à des unités « spécialisées » bénéficient de promotions massives. Bef travay souval manze, pour reprendre ce dicton bien de chez nous. De nombreux policiers optent pour la retraite prématurée en raison du manque de considération. C’est dommage, car ce sont toujours les meilleurs qui s’en vont.

Quel est votre constat concernant les interventions de la police lors du passage du cyclone Belal ?

Nos policiers ont été remarquables du début à la fin. Chapeau ! J’ai toujours milité en faveur de l’amélioration des conditions de travail des policiers. J’ai souvent rappelé qu’il y a une maigre poignée d’agents véreux qui ternissent l’image de la force policière. Ceux qui ont fait preuve de bravoure sur le terrain lors du passage du cyclone Belal ont démontré que le public peut compter sur la police, et ce, à n’importe quel moment. Je suis confiant que la mauvaise perception du public à l’égard de nos forces de l’ordre est en train de changer depuis ce lundi fatidique du 15 janvier 2024.

Avez-vous remarqué que des policiers utilisaient des excavateurs dans certains endroits du pays, notamment à Richelieu ?

Oui, les images qui ont été immortalisées par le public sont impressionnantes. Mais comme je vous le disais, ce sont ces policiers qui méritent d’être décorés pour la Fête nationale du 12-Mars. Ce sont de véritables héros. Chaque policier l’a démontré à sa manière. Et je ne cesserai de le répéter : il y a de bons éléments au sein de la police.

Parallèlement, cela démontre que la force policière fait face à un sérieux manque de véhicules spécialisés pour opérer pendant les intempéries…

Lorsque j’étais policier, j’ai souvent dit que la force policière est confrontée à un sérieux manque de véhicules et d’équipements.

Le Budget 2023-24 stipule qu’une somme de Rs 11,8 milliards a été allouée à la police pour créer un environnement sûr…

Un montant de Rs 11,8 milliards, dites-vous ? Si vous avez le temps, renseignez-vous sur le montant injecté dans l’acquisition des berlines destinées aux VVIP du pays. Vous seriez étonné.

À votre avis, comment répartir les fonds alloués à la police ?

Dans la formation et l’acquisition de nouveaux appareils, équipements et autres véhicules adaptés à diverses situations. Le passage du cyclone Belal nous a appris énormément de choses, notamment que la police est en manque d’équipements.

L’appel est lancé alors… Définitivement !