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Hausse salariale en 2024 : certaines PME envisagent le dégraissage ou la fermeture 

Depuis l’annonce d’une révision à la hausse du salaire minimum et du paiement d’une compensation salariale variant entre Rs 1 500 et Rs 2 000, certaines PME ne savent pas comment trouver les ressources additionnelles pour rémunérer leurs employés. Elles envisagent même de mettre la clé sous le paillasson.

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Jocelyn Mounien, Managing Director de Joe & Sons Cleaning Ltd : « Un bon nombre de PME sera appelé à disparaitre en janvier/février »

« On vient dire que le secteur privé est en train de faire de gros profits. Ce n’est pas le cas des PME. Pendant les trois précédentes années, nous avons subi des pertes. Et cette année-ci, les profits que nous avons réalisés sont minimes », indique ressortir Jocelyn Mounien, Managing Director de Joe & Sons Cleaning Ltd (Ndlr : la compagnie emploie 125 employés). Avec l'augmentation des salaires, l’entreprise devra  trouver plus de Rs 450 000 additionnelles par mois. « Avec le paiement du salaire minimum et de la compensation salariale, il faut compter Rs 4 925 par employé, ce qui représente une hausse de 42,55 %. En tant que PME, nous pouvons accorder une hausse salariale de 5 % à 7 %, mais pas au-delà. Il nous faut une subvention qui nous permet de couvrir la différence, au cas contraire, ce sera la fermeture en janvier », indique-t-il. 

Selon lui, « un bon nombre de PME sera appelé à disparaitre en janvier et février. J’ai plusieurs collègues qui pensent au dégraissage, voire la fermeture. À mon niveau, j’ai 125 familles qui comptent sur l’entreprise pour vivre ». Pour lui, si la Mauritius Revenue Authority envisage d’accorder Rs 500 par employé, ce sera loin d’être suffisant. « Si le salaire minimum est déjà un défi,  comment arrivera-t-on à payer la compensation salariale ? », se demande-t-il.


Shenaz Sobah, directrice de Cotton Touch Ltd : « On nous impose la hausse et c’est à nous de nous débrouiller » 

« On ne sait pas trop comment nous allons faire. Cette hausse salariale représente un coût additionnel de Rs 100 000 au minimum par mois. À cela, il faudra ajouter l’augmentation des charges sociales », avance Shenaz Sobah, directrice de Cotton Touch Ltd (Ndlr : cette compagne de textile emploie une vingtaine de personnes). Elle déplore que le quantum ait été décidé sans que les PME ne soient consultées et sans s’assurer qu’elles pourront payer ou pas cette augmentation salariale. « Il faut voir la réalité. On nous impose une loi et c’est à nous de nous débrouiller. Nous attendons plus de détails sur l’aide qui sera proposée aux PME. Le temps s'écoule, et nous demeurons toujours dans l'incertitude quant à la direction que nous allons prendre. La fermeture est une possibilité », avance-t-elle. 


Shameema Cassim, directrice de Aasii Ltd : « Pour une aide qui nous permettra de maintenir la tête hors de l’eau » 

Avec l’augmentation salariale, Aasii Ltd, une compagnie spécialisée dans la fabrication des vêtements pour bébé, devra prévoir Rs 50 000 à Rs 60 000 de plus par mois. « Nous comprenons qu’il faut majorer les salaires, mais la situation est très compliquée. Nos produits ne seront plus compétitifs si nous augmentons nos prix. Nous espérons que l’aide qu’on nous accordera nous permettra de maintenir la tête hors de l’eau », avance Shameema Cassim, la directrice de la , compagnie qui compte une quinzaine d’employés.

 


Manoj Juddoo, directeur de Chemiserie Bellvill & Co Ltd : « L’avenir des PME s’annonce bien sombre »

Manoj Juddoo, directeur de Chemiserie Bellvill & Co Ltd (Ndlr : la compagnie compte 35 employés), est catégorique : l’augmentation salariale qui sera en vigueur en 2024 comporte plusieurs implications. Premièrement, il y a une hausse directe des coûts. « Avec le salaire minimum ajoutée à la compensation, cela équivaut à une augmentation de 43 %.  À notre niveau, on devra prévoir Rs 250 000 additionnelles à partir de janvier », indique-t-il. Il y a aussi, poursuit-il, les coûts indirects comme les charges sociales telles que la CSG, à titre d’exemple qui vont peser lourd. 

« Au final, l’augmentation est conséquente. Elle pèse lourd dans la balance, surtout pour les compagnies qui exportent. Elles ont pris des commandes en avance. Donc, pour les six prochains mois, elles vont subir ces hausses de plein fouet », soutient-il. Selon lui, les PME ont été pris au dépourvu. « La révision à la hausse du salaire minimum a été avancée d'un an. Cependant, dans le secteur d’exportation, une planification préalable est essentielle », indique-t-il. Parallèlement, il faudra s’attendre à ce que les intrants pour la production augmentent. « L’avenir des PME s’annonce bien sombre », ajoute-t-il. 

Manoj Juddoo se demande si les clients seront en mesure de payer plus cher les produits des PME. « Si nous n’arrivons pas à vendre nos produits à de nouveaux prix, ce sera soit le dégraissage, soit la fermeture. Les PME ne pourront pas soutenir les coûts », prévient-il. D’où sa recommandation pour que l’aide du gouvernement soit raisonnable. « À ce jour, il n’y a aucune indication sur cette aide.  C’est encore le flou. Nous sommes dans l’attente de cette aide qui permettra de redessiner l’avenir de toutes les PME », a-t-il conclu.

Hausse salariale

IL A DIT 

Ajay Beedassee : « Une telle augmentation salariale nous plongera dans la marée noire. On ne s’attendait pas à une hausse significative des salaires, qui est de l’ordre de 35 % au minimum sans compter les autres frais comme les heures supplémentaires et les congés, entre autres. Il faudra s’attendre à des pertes d’emplois et des fermetures si des PME font faillite. D’ailleurs, c’est déjà le cas pour certaines entreprises qui ont commencé à licencier des travailleurs. Cette augmentation des salaires va, par ailleurs, créer de l’inflation et du chômage. Cela risque certainement de nous dissuader de procéder à des recrutements ». 

Aide aux PME : la MRA travaille sur les modalités 

Le gouvernement prendra en charge le coût de la compensation salariale. L’objectif est d’aider les entreprises qui rencontrent des difficultés à maintenir leur capacité de production.

Les 3 principaux bénéficiaires 

1. Les PME dont le chiffre d’affaires ne dépasse pas Rs 100 millions. 
2. Les entreprises du secteur de l’exportation.
3. Les entreprises manufacturières qui fournissent le marché local.

Ce qu’il faut retenir 

  • À la Mauritius Revenue Authority (MRA), on soutient qu’on travaille toujours sur les modalités. « Nous communiquerons tous les détails une fois que ce sera fait », indique-t-on à la MRA. 
  • Toute entreprise en difficulté, qui tombe dans ces catégories, doit faire une demande d’aide auprès de la MRA. Seules les entreprises qui font véritablement face à des problèmes recevront un soutien financier.
     

La SME Chambers sollicite une rencontre avec le ministre des Finances 

Par le biais d’une missive datée du 13 décembre, la SME Chambers réclame une rencontre urgente entre les PME et le ministre des Finances pour discuter des problèmes des PME en marge de la hausse salariale de 2024 et en vue de trouver des solutions.


Questions à… Roshaan Kulpoo, expert en inclusion financière en Afrique : « Ce sera le survival of the fittest » 

Face à la hausse salariale qui sera effective en janvier, un bon nombre de PME envisagent un dégraissage. Certains entrepreneurs disent qu’on les pousse vers la fermeture. À quoi doit-on s’attendre concrètement en ce début de 2024 ? 
Avant l’introduction du salaire minimum, il y avait des situations d’abus. Certaines personnes percevaient des salaires très bas, créant ainsi une situation d'exploitation de la part de nombreux employeurs qui rendait le travail vulnérable pour beaucoup.

De petites entreprises ont été créées dans le contexte de la Covid-19. Il faut leur accorder un soutien. Il y a beaucoup de facilités qu’on doit leur offrir comme des prêts à taux zéro, etc. Quant aux entreprises qui ont vraiment des difficultés, il faudrait une unité spéciale au ministère des Finances, en collaboration avec les ministères concernés pour vérifier si les cas sont authentiques ou pas. Il faut un système bien rodé pour déceler les faux cas. Il y aura certainement beaucoup de pression sur ces petites entreprises. Ce sera une sorte de « survival of the fittest ». C’est malheureusement une des caractéristiques de l’entrepreneuriat.

L’État a, toutefois, indiqué qu’il viendra en aide aux PME ayant un chiffre d’affaires de moins de Rs 100 millions. Ce soutien permettra-t-il de décanter la situation ?  
Bien sûr, mais il n'est pas possible de diviser le secteur privé en deux parties distinctes. D'un côté, il y a les moyennes et grandes entreprises qui réalisent des profits supérieurs à ceux de 2019 et qui ont les ressources pour augmenter les salaires au-delà du salaire minimum. De l'autre côté, on trouve les petites entreprises avec un chiffre d'affaires inférieur à Rs 5 millions à Rs 10 millions qui ne seront pas en mesure de supporter de telles augmentations salariales.

Certes, les très petites entreprises (TPE) seront en difficulté. Le gouvernement devra apporter à courts et moyens termes un soutien à ces entreprises n’étant pas en mesure de payer l’augmentation du salaire minimum, tout comme cela a été le cas pour la compensation salariale. Le rôle du gouvernement est de protéger l’entreprise quand elle est vulnérable et lui donner le temps de s’adapter. Sans cela, les TPE seront en difficulté. De leur côté, ces dernières devront apporter des innovations et une restructuration de leur business model pour qu’au bout d’un an, elles puissent elles-mêmes absorber ce coût additionnel.

Que recommandez-vous pour que, d’une part les PME puissent mettre la tête hors de l’eau et de l’autre, les employés ne soient pas pénalisés et puissent profiter de la hausse salariale ? 
Les PME/TPE devront apporter des innovations et une restructuration de leur business model pour qu’au bout d’un an, elles puissent elles-mêmes absorber ce coût additionnel. Une nouvelle augmentation de ce type alimentera davantage l’inflation des salaires, ajoutant ainsi à la pression inflationniste. D’ailleurs, l’inflation cumulée depuis décembre 2018 est de plus de 28 %, ce qui est significatif. Dans un environnement monétaire plus serré, l’inflation des salaires est plus susceptible de frapper davantage les bénéfices des PME/TPE entreprises et nous devrions donc nous attendre à des marges plus serrées, contribuant ainsi à refroidir l’économie. De plus, une croissance du salaire minimum devrait soutenir la consommation intérieure qu’à court terme seulement.

Différents cycles macroéconomiques et économiques entraînent différents défis pour les PME. Dans un environnement fortement inflationniste, il est important pour les PME de se restructurer, qu’il s’agisse de leur structure de capital, de leurs opérations, mais surtout de leurs offres de produits, politiques de tarification et marchés respectifs. La meilleure panacée à un environnement inflationniste pour toute entreprise est la croissance des revenus, mais c’est un exploit qui peut s’avérer compliqué selon les industries respectives. Cependant, à un certain moment, la restructuration implique également une réduction des coûts, y compris une contraction de la main-d’œuvre. 

Nous ne devons pas oublier que ces augmentations entraînent à un moment donné une décélération ou une contraction économique dans laquelle le chômage risque d’augmenter, les investissements stagner et la machine économique se refroidir. Par conséquent, selon le type de PME dans des industries spécifiques, la contraction opérationnelle est souvent essentielle pour maintenir la compétitivité et la durabilité de la PME.

Je pense aussi qu’il faut mettre en place une stratégie pour un salaire décent par secteur. Il faudra revoir le système de calcul, tout en tenant compte de la montée en flèche du coût de la vie. Il ne faut pas pousser les Mauriciens vers l’étranger, que ce soit les professionnels ou les ouvriers manuels. Nous sommes déjà confrontés à un problème de vieillissement de la population. C’est important aussi de savoir combien de produits une personne peut se procurer avec ce salaire. Pour moi, c’est le pouvoir d’achat qui doit primer. La main-d’œuvre étrangère aussi a pris de l’essor. Il faut un contrôle sévère pour que les entreprises n’aillent pas en dehors du cadre légal.

Pour conclure, dans une année d’élections générales, où habituellement la masse monétaire et sa vélocité ont tendance à amplifier, notre principale crainte est que nous alimentions l’inflation. Si la pension de vieillesse connaît une hausse, le salaire minimum doit également être relevé afin d'éviter un écart entre les deux. Le coût de la vie a augmenté, et le salaire minimum ne couvre plus les dépenses nécessaires.

Bon à savoir

Le gouvernement prendra également en charge le coût de la compensation salariale pour les organisations non gouvernementales enregistrées.

 

 

  • defimoteur

     

 

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