
Les cas de harcèlement scolaire rapportés s’élèvent à 147 en deux mois, a révélé le ministre de l’Éducation, le Dr. Mahend Gungapersad, mardi dernier à l’Assemblée nationale. Le constat est qualifié d’alarmant et des moyens se multiplient pour contrer la situation.
147 cas harcèlement scolaire « bullying » ont été recensés dans les établissements scolaires du primaire et du secondaire en deux mois. 59 cas dans les écoles primaires, 67 dans les collèges d’État et 21 dans des institutions privées. Pour le ministre de l’Éducation, le Dr Mahend Gungapersad, une des solutions est l’autodiscipline. « L’autodiscipline est la solution la plus efficace pour lutter contre l’indiscipline. Chacun doit assumer ses responsabilités. L’élève doit connaître ses limites. Il doit comprendre quel doit être son comportement en tant qu’individu et citoyen du pays et ne pas entrer dans des choses qui ne sont pas acceptables au sein de la société… », a-t-il indiqué.
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Les cas rapportés ces derniers temps étonnent le monde éducatif. Le personnel enseignant, non enseignant et ceux de l’administration admettent que c’est du jamais vu. « Un enseignant qui a peur de quitter seul l’enceinte du collège après les heures de classe est choquant. Tout cela parce qu’il a reçu des menaces de deux garçons qu’il a réprimandés parce qu’ils ne suivaient pas la classe, n’est pas normal… », souligne un éducateur de Beau-Bassin.
Dans un autre cas, des élèves en font voir de toutes les couleurs aux enseignants en lançant des objets sur eux alors que ces derniers sont en train de faire la classe. Les actes de brutalité et les propos déplacés sont fréquents, mais tous ne sont pas signalés.
Pour le Dr Mahend Gungapersad, il est important de changer les mentalités au sein de la famille, à l’école, et partout ailleurs. Il insiste sur la contribution de tout le monde pour arriver à une solution. Il mise beaucoup sur les Assisses de l’Éducation qui se tiendront les 15, 16 et 17 avril prochain pour une discussion plus large, porteur peut-être de solutions.
Absence totale de respect
Le recteur de Orchard Secondary School of Excellence, Jacques Malié qualifie la situation dans nos écoles d’alarmante. Il explique : « La situation est alarmante au vu du nombre et de la gravité des actes perpétués. Il y a une dégradation constante qui est aussi malheureusement le reflet de notre société. Ce qui frappe, c’est cette dérive vers la violence et l’absence totale de respect envers le personnel, le matériel scolaire et l’institution elle-même ».
Dans le passé, il confie qu’il y avait, certes, des écarts de conduite, mais jamais des débordements d’une telle ampleur. « Les images sur les réseaux sociaux sont effrayantes. Aucune institution n’y échappe et il n’y a plus aucune différence au niveau du type d’école ou de ceux/celles qui les fréquentent. Il ne sert à rien de vouloir catégoriser, les comportements inavouables des filles avec des bagarres à l’intérieur des établissements scolaires ou sur les lieux publics n’ont rien à envier à l’indiscipline démontrée par les garçons », ajoute-t-il.
Jacques Malié souligne que les causes sont nombreuses et mériteraient un long débat. Il évoque notamment le manque d’attachement aux institutions scolaires et la perte des valeurs autrefois transmises par les responsables. « Aujourd’hui, il est plus simple de faire la politique de l’autruche. La tendance consiste surtout à jeter le blâme sur les autres si ce n’est pas faire preuve d’indifférence et d’immobilisme », dit-il.
Le président de la Government Secondary School Teachers’ Union (GSSTU) Yugeshwur Kisto, souligne que les enseignants observent une évolution préoccupante des comportements de harcèlement dans nos établissements. Selon lui, plusieurs changements ont pu contribuer à cette situation. Ce sont :
- L’omniprésence des réseaux sociaux qui a déplacé le harcèlement hors des murs de l’école, le rendant plus insidieux et difficile à détecter.
- Le cyberharcèlement ne connaît pas de limites.
- L’encadrement et les ressources disponibles pour la prévention ont diminué.
- Avec des classes surchargées, les enseignants peinent à observer toutes les dynamiques entre élèves.
- Les pressions socio-économiques accrues sur les familles se répercutent sur le bien-être émotionnel des jeunes, pouvant exacerber les comportements problématiques.
Nouveaux rôles des enseignants
Le rôle de l’enseignant s’est considérablement transformé. Autrefois principalement transmetteurs de savoirs, les éducateurs doivent endosser plusieurs costumes. Ils sont tour à tour des médiateurs sociaux, devant gérer des dynamiques de groupe complexes, des sentinelles du bien-être psychologique, appelées à détecter les signes de détresse ou encore des experts en technologie, naviguant entre outils numériques et problématiques de cyberharcèlement. Les enseignants d’aujourd’hui sont également des partenaires actifs des familles dans l’éducation globale de l’enfant.
Yugeshwur Kisto insiste que cette multiplication des rôles s’est faite sans formation adéquate ni reconnaissance institutionnelle suffisante. Selon lui, les enseignants font face à un paradoxe exigeant. Il explique : « On leur demande simultanément d’assurer l’excellence académique traditionnelle, tout en répondant à des missions éducatives élargies. Ils sont confrontés à de nombreux défis. C'est la gestion de problématiques psychosociales complexes avec peu de soutien spécialisé ; l’adaptation constante aux technologies et aux nouveaux modes d’apprentissage ; la nécessité de développer des compétences en gestion de crise et en prévention et la difficulté à trouver un équilibre entre bienveillance et autorité dans un contexte social en mutation. »
La GSSTU plaide pour une approche holistique qui reconnaît les réalités suivantes : formation continue adaptée, équipes pluridisciplinaires dans les établissements, et valorisation des nouvelles dimensions du métier d’enseignant.
14 mesures énoncées par le ministre de l’Éducation
- Mise en place d’un Education Council composé de représentants issus de divers secteurs éducatifs, pour aborder les problématiques de manière holistique et aligner les actions en développant un consensus sur divers sujets.
- Création de réseaux institutionnels et partenariats collaboratifs avec plusieurs parties prenantes, telles que la Police, le Child Development Unit (CDU) et la Brigade pour la Protection de la Famille.
- Renforcement des Student Care and Counselling Desk dans les collèges d’État pour soutenir les élèves confrontés à des problèmes émotionnels et psychologiques, en favorisant un comportement positif à travers l’écoute et l’accompagnement des élèves, ainsi que la formation des éducateurs impliqués.
- Accorder une priorité à l’éducation basée sur les valeurs et les compétences de vie dans le programme scolaire.
- Relancer les compétitions inter-collèges, en collaboration avec le ministère de la Jeunesse et des Sports afin de donner un sentiment d’objectif aux étudiants.
- Aider les élèves à mieux gérer leurs émotions, grâce à la mise en œuvre d’un programme de bien-être social et émotionnel.
- Renforcement du National Éducation and Counselling Service par le recrutement de psychologues scolaires et de travailleurs sociaux éducatifs supplémentaires, au niveau du ministère et de la Private Secondary Éducation Authority (PSEA).
- Sensibilisation des élèves par le biais du National Education and Counselling Service.
- Création de Pastoral Care Committees pour accompagner les élèves ayant des problèmes de comportement.
- S’assurer que les Disciplinary Committes examinent les mesures à prendre à l’encontre des élèves impliqués dans des cas d’indiscipline et de violence.
- Installation de caméras de surveillance (CCTV) dans la majorité des collèges.
- Placement de gardes de sécurité en journée dans les écoles à risque.
- Mise à disposition d’un gardien chargé de contrôler l’accès aux enceintes scolaires.
- Patrouilles régulières de la police et surveillance renforcée autour des écoles à risque et des gares d’autobus.
L’indiscipline : ce mal qui ronge les écoles
Les responsables de la Zone éducative 1 (Port-Louis et la région du nord) se penchent sur des moyens pour éradiquer l’indiscipline au sein des établissements scolaires. Le titre du document « Stomping out Indiscipline and Bullying in our Schools ».
La thématique étant d’organiser des ateliers réguliers pour sensibiliser les élèves, notamment les ( « prefects » et les « class captains »), ainsi que les éducateurs, recteurs et membres du personnel administratif. L’objectif étant de mieux comprendre le harcèlement scolaire, ses formes et ses conséquences. Ces formations permettent aussi de reconnaître les signes et de réagir de manière adaptée.
Faire appel à des intervenants extérieurs, tels que des psychologues ou des travailleurs sociaux, peut enrichir les initiatives en partageant les expériences. Des campagnes de sensibilisation utilisant des affiches, réseaux sociaux et rassemblements peuvent véhiculer des messages puissants.
Créer un climat positif dans les écoles passe par la promotion de l’inclusivité et du respect à travers différentes activités. Une politique claire de tolérance zéro doit être communiquée avec des conséquences définies pour les responsables. Par ailleurs, les témoins de harcèlement doivent être encouragés à intervenir ou à dénoncer les incidents.
Un système de signalement anonyme, comme des formulaires en ligne ou des boîtes à suggestions, peut offrir un espace sécurisé pour les victimes et les témoins. Les incidents signalés doivent être traités rapidement grâce à des protocoles clairs et une réponse équitable. Les pratiques comme la médiation et la justice réparatrice aident à résoudre les conflits et à réparer les préjudices.
Le soutien aux victimes, aux agresseurs et aux témoins incluant l’accès à des conseillers ou psychologues pour gérer les impacts émotionnels. Des groupes de soutien permettent aux victimes de partager leurs expériences dans un cadre établi. En outre, l’implication parentale est cruciale pour apprendre à repérer les signes d’intimidation et accompagner leurs enfants.
Pour évaluer l’efficacité des mesures mises en place, des enquêtes anonymes régulières sont nécessaires pour mesurer la prévalence de l’intimidation. Les retours des participants servent à améliorer les initiatives, tandis que le suivi des données aide à identifier les tendances et les domaines à renforcer.
Ces pratiques selon les responsables jouent un rôle essentiel dans la résolution des conflits et la reconstruction des relations. Elles responsabilisent les élèves en réparant les torts causés tout en réintégrant les élèves à risque dans un processus basé sur le dialogue. Les discussions informelles permettent de résoudre rapidement des conflits mineurs, tandis que les cercles offrent un espace sûr pour s’exprimer sans jugement.
Jacques Malié souligne que le ministre de l’Éducation a énoncé 14 mesures. « Il y a, certes, une volonté de remédier à la situation, une certaine réflexion, mais est-ce que ces mesures répondent aux besoins de l’immédiat. On va mettre sur pied des comités, on relancera le ‘counselling’, le ‘pastoral care’, on va recruter des spécialistes. Cela n’est pas nouveau, ou existe déjà dans beaucoup de nos institutions. Si c’est pour l’avenir, cela risque de prendre du temps ».
Le pédagogue dit oui à la concertation, mais non à la bureaucratie et la centralisation. Selon lui, les institutions ont besoin de gérer les nombreux problèmes d’indiscipline qui sont maintenant le lot des responsables au quotidien. « Beaucoup de solutions proposées sont surtout préventives. Cependant, nous avons, semble-t-il, peur de prendre des mesures punitives - à croire que nous avons peur des réactions des parents (qui devraient être des partenaires dans de telles situations), peur de représailles. Il nous faut un climat de sécurité, un assainissement et cela passe par des mesures de fermeté. Le temps est à l’action », indique-t-il.
Dr Vikash Baichoo : « La mise en place d’une discipline positive peut aider à résoudre le problème de violence »
Le psychologue Dr Vikash Baichoo partage son analyse des comportements violents observés chez les élèves, amplifiés par le confinement lié à la Covid-19. Dans cet échange, il aborde les défis des enfants sans encadrement adéquat, les origines de l’indiscipline et les facteurs favorisant le harcèlement scolaire.
Quels sont les principaux facteurs qui, selon vous, expliquent l’augmentation des cas de violence dans le milieu estudiantin ces dernières années ?
La violence scolaire à Maurice a augmenté en raison de plusieurs facteurs. Les problèmes familiaux, tels que la violence domestique, l’absence des parents et la toxicomanie, contribuent aux troubles du comportement chez les élèves. L’environnement scolaire joue également un rôle : une pression académique excessive, un manque d’autonomie et un soutien émotionnel insuffisant entraînent le désengagement et l’inconduite.
L’influence des pairs est un autre facteur majeur, car les élèves en contact avec des camarades délinquants sont plus enclins à adopter des comportements violents. Les défis socio-économiques, comme la pauvreté et les inégalités sociales, provoquent frustration et agressivité chez les élèves, augmentant ainsi le risque de violence.
De plus, une faible implication parentale aggrave la situation, car les enfants sans encadrement adéquat sont plus susceptibles d’avoir des problèmes disciplinaires. Une approche multidimensionnelle impliquant les écoles, les familles et les décideurs est essentielle pour résoudre ce problème et garantir un environnement éducatif plus sûr et structuré.
Le confinement et les restrictions liées à la Covid-19 ont-ils contribué à exacerber les comportements violents chez les élèves ?
C’est effectivement le cas. Les perturbations sociales et éducatives causées par la pandémie de Covid-19 ont laissé de nombreux jeunes démunis face aux défis émotionnels et relationnels. Dans certains cas, les tensions accumulées pendant le confinement ont débordé dans les interactions scolaires. La recherche suggère que ces problèmes sont exacerbés par les réseaux sociaux, où les élèves sont exposés au cyberharcèlement. L’impact de cette exposition sur le comportement des élèves post-confinement est significatif.
Quels signes ou comportements devraient alerter les enseignants et les parents sur un risque accru de violence chez un enfant ou un adolescent ?
Les signes précurseurs incluent :
- Changements comportementaux : agressivité accrue ou retrait social.
- Difficultés scolaires : baisse des performances académiques ou désengagement.
- Problèmes relationnels : conflits fréquents avec les pairs ou les enseignants.
- Exposition à la violence : consommation de médias violents ou appartenance à des groupes violents. Par exemple, dans un incident rapporté, un élève a agressé un camarade. Ce type d’agression peut être précédé par des signes tels que des tensions répétées entre élèves ou une incapacité à gérer ses émotions. Il est crucial que les enseignants et les parents soient attentifs à ces signaux et interviennent rapidement.
Quelles stratégies ou interventions éducatives, recommandez-vous pour prévenir et gérer les violences en milieu scolaire ?
Pour prévenir et gérer la violence scolaire, plusieurs mesures sont nécessaires :
- Mise en place de la discipline positive : contrairement aux sanctions punitives, la discipline positive favorise un climat scolaire respectueux et réduit les comportements violents. Par exemple, une étude de Jones et al. (2023) montre que les écoles ayant adopté des approches basées sur la communication bienveillante et la gestion collaborative des conflits ont observé une diminution de 30 % des cas de violence.
- Renforcement des règles disciplinaires par des alternatives éducatives : plutôt que de simples punitions, des mesures comme la médiation entre pairs ou la justice réparatrice permettent aux élèves d’assumer la responsabilité de leurs actes, tout en apprenant à gérer les conflits pacifiquement.
- Soutien psychologique accessible : au-delà de la présence de psychologues, des programmes de mentorat entre élèves et des espaces de parole sécurisés facilitent la prise en charge des élèves vulnérables. Par exemple, des groupes de soutien hebdomadaires ont montré une réduction significative des comportements agressifs (Durand & Petit, 2023).
- Éducation aux valeurs morales par des mises en situation : intégrer des jeux de rôle et des discussions interactives sur la gestion des conflits et l’empathie permet aux élèves d’adopter des comportements prosociaux de manière plus efficace que par des leçons théoriques.
- Collaboration active entre parents et écoles : organiser des ateliers pratiques où parents et enseignants travaillent ensemble sur des stratégies éducatives cohérentes renforce la continuité des valeurs entre l’école et la maison.
- En outre, les autorités doivent également surveiller l’impact des réseaux sociaux sur la violence scolaire. Par exemple, la propagation de vidéos humiliantes sur TikTok ou WhatsApp, comme dans le cas d’une agression sexuelle filmée dans un collège, montre l’importance d’une régulation stricte.
Quels effets à long terme les violences scolaires peuvent-elles avoir sur les victimes, les auteurs et les témoins ?
Les conséquences du harcèlement scolaire sont lourdes pour tous ceux qui y sont impliqués. Les victimes sont particulièrement vulnérables, risquant de développer des troubles psychologiques graves, comme le stress post-traumatique, et de se désengager du système scolaire.
Les auteurs, quant à eux, ont une probabilité plus élevée d’adopter des comportements criminels à l’âge adulte. Même les témoins ne sont pas épargnés, car une exposition répétée à la violence peut les désensibiliser et les pousser à reproduire ces attitudes dans d’autres contextes.

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