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Gratuité des médicaments : un système complexe qui demande mûres réflexions

La gratuité des médicaments pour tous est une promesse du gouvernement sortant.
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  • Plus de précisions réclamées 

La gratuité des médicaments dans les pharmacies privées, proposée à la fois par l’opposition et le gouvernement, soulève de pas mal de questions. Beaucoup s’interrogent sur le système qui sera mis en place et sur les délais d’application de cette mesure.]

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Dr Dawood Oaris, président de l’Association des cliniques privées.

« L’intention de rendre les médicaments gratuits est louable, mais cela ne pourra pas se faire du jour au lendemain. Le système mis en place devra être bien structuré pour prévenir tout abus, qu’il provienne de certains médecins, pharmaciens, patients ou importateurs, et cela prendra certainement plusieurs mois, voire quelques années. » C’est ce qu’affirme le Dr Dawood Oaris, président de l’Association des cliniques privées. 

Comme lui, pharmaciens et importateurs attendent davantage de précisions sur les annonces avant de faire des commentaires plus approfondis. Ils estiment que cette mesure ne sera pas mise en œuvre avant un an ou deux, voire plus. « Il faudrait des consultations préalables avec toutes les parties prenantes », disent-ils. Ce sont surtout les modalités d’application de la gratuité des médicaments qui suscitent des interrogations.

« Nous devons connaître le mécanisme qui sera mis en place pour le remboursement des pharmacies et savoir si les médicaments seront toujours disponibles dans le secteur public ou uniquement dans les pharmacies privées », s’interroge un pharmacien impliqué dans l’importation. Il se demande aussi qui sera l’importateur bénéficiaire des appels d’offres et si la proposition de l’opposition ou celle du gouvernement impliquera toutes les pharmacies. « Avons-nous le budget pour mettre en œuvre une telle mesure ? Cela concernera-t-il tous les types de médicaments ? » poursuit l’importateur.

Une pharmacienne ajoute que, peu importe le gouvernement qui appliquera cette mesure, la gratuité des médicaments bénéficiera tant à la population qu’aux pharmacies, à condition qu’il y ait un budget suffisant. « J’applaudis l’initiative des deux blocs politiques, mais reste à voir quel plan sera mis en place pour que cette mesure devienne effective », dit-elle. 

Selon la pharmacienne, quelle que soit la proposition adoptée, ce sera un soulagement pour les consommateurs, car les prix des médicaments ne cessent d’augmenter. « Ce concept est déjà en vigueur dans divers pays, mais nous devons voir quel ‘scheme’ sera appliqué pour Maurice », ajoute l’intervenante.

Avons-nous le budget pour mettre en œuvre une telle mesure"

Appel d’offres

Un pharmacien-importateur, qui a préféré rester anonyme, souligne qu’on ne peut simplement copier les modèles en vigueur dans d’autres pays et les appliquer à Maurice. Il explique qu’il y a plusieurs années, il avait proposé que les médicaments pour le traitement des maladies non transmissibles (MNT) soient donnés gratuitement aux patients, mais l’idée n’avait pas été retenue à l’époque. Avec les deux propositions préélectorales de l’opposition et du gouvernement, il se demande quel importateur obtiendra le contrat à l’issue d’un appel d’offres.

Cet exercice suscite des interrogations, d’autant plus que le gouvernement a signé en février dernier un accord avec HLL Lifecare Ltd de l’Inde pour l’achat direct de médicaments. Cet accord vise à éviter les procédures complexes des appels d’offres et à assurer une fourniture rapide de produits pharmaceutiques dans les établissements publics en cas de pénurie. L’importateur se demande donc si c’est ce processus que le gouvernement prévoit d’utiliser pour la gratuité des médicaments en cas de réélection.

Choix

La proposition du gouvernement implique que les patients devront consulter des médecins privés pour obtenir des prescriptions à présenter dans les pharmacies privées. Un pharmacien-importateur s’interroge toutefois sur la liberté des médecins à prescrire les médicaments de leur choix. Selon lui, les médecins, régis par le Medical Council Act, ont le droit de prescrire les médicaments qu’ils jugent les plus appropriés pour leurs patients. Si le gouvernement importe des médicaments génériques, il ne pourra les imposer aux médecins, à moins de modifier la loi. 

« Pour que les médecins puissent prescrire des médicaments génériques, il faudrait un amendement pour qu’ils inscrivent le nom générique, comme le paracétamol par exemple, au lieu de la marque du produit », explique-t-il. Selon le Pharmacy Act, les pharmaciens peuvent déjà substituer un médicament par un équivalent en cas de rupture de stock. Ainsi, avec toutes les consultations et les mesures à prendre, la gratuité des médicaments dans les pharmacies privées pourrait prendre plusieurs mois, voire des années, à se concrétiser. « Les deux blocs politiques ont lancé cette proposition pour évaluer la réaction du public. Je doute que la mesure ait été réfléchie dans ses moindres détails », estime l’intervenant.

Nous devons voir quel ‘scheme’ sera appliqué pour Maurice"

Complexité 

Un autre pharmacien partage cet avis : « Il est facile de faire des annonces, mais il faut connaître les modalités et le processus d'achat et de stockage des produits pharmaceutiques », dit-il. Pour lui, la gratuité des médicaments dans les officines privées est complexe, car tout un système doit être revu. « Est-ce que le futur gouvernement importera les médicaments qui seront ensuite distribués gratuitement dans les pharmacies ? Le ministère de la Santé dispose-t-il de lieux de stockage conformes aux normes ? » se demande-t-il, en l’absence de précisions sur les propositions.

Pour lui, le ministère de la Santé doit garantir la qualité des produits distribués. Il souligne que la qualité des médicaments en provenance d’Inde n’est pas toujours la même que celle des produits européens de marque. Il estime que la qualité des médicaments doit systématiquement être analysée avant d'être mise sur le marché et plaide pour un renforcement de la pharmacovigilance avec un système de signalement des effets secondaires plus structuré.

Dr Oaris : « Une excellente initiative » 

« C’est une excellente initiative d’offrir des médicaments gratuitement aux patients dans les pharmacies privées. Il faut un bon système de contrôle pour prévenir les abus potentiels », explique le Dr Dawood Oaris. Bien que cette proposition soit bénéfique pour la population, sa mise en œuvre doit être mûrement réfléchie, ajoute-t-il.

Le Dr Oaris craint que certains patients ne profitent du système. Il cite en exemple ceux qui préféreraient consulter un spécialiste plutôt qu’un généraliste, sachant qu’ils n’auraient à payer que la consultation et non les médicaments. « Si la gratuité des médicaments est appliquée, certains pourraient exiger des médicaments de marque plutôt que des génériques, bien que ces derniers soient tout aussi efficaces », souligne-t-il. 

En sus, les consultations privées pourraient augmenter, ce qui mettrait davantage de pression sur les médecins privés par rapport à ceux des hôpitaux. « Tout doit être pensé pour éviter les abus », conclut-il. Se référant au programme Obama Care, qui a mis du temps à être mis en œuvre, il doute que la gratuité des médicaments soit applicable aussi rapidement.

 

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