
Trois récentes arrestations musclées ravivent les critiques envers la police. Georges Ah Yan, Nyjel Beerjeraz et Izna Gooljar ont été appréhendés dans des conditions jugées brutales. À travers des vidéos virales, la même question revient : jusqu’où la force peut-elle être justifiée quand ceux qu’on interpelle ne semblent pas représenter une menace immédiate ?
Publicité
En l’espace d’un mois seulement, trois arrestations musclées ont défrayé la chronique : celles de Georges Ah Yan, de Nyjel Beerjeraz et d’Izna Gooljar. Ces cas remettent sur le tapis les méthodes controversées et la force jugée excessive employées par certains membres des forces de l’ordre lors des interpellations. Ces scènes, captées en vidéo puis largement diffusées sur les réseaux sociaux, ont provoqué un tollé au sein de la population.
Dans ces différents cas, les vidéos ne montrent à aucun moment les suspects s’en prenant aux forces de l’ordre lors de leur arrestation. Cette situation soulève une question essentielle : comment ces policiers peuvent-ils perdre leur sang-froid au point de faire preuve d’une telle brutalité face à des suspects non armés ?
Plusieurs voix s’élèvent pour commenter ces événements. L’ancien inspecteur de police, Ranjit Jokhoo, condamne fermement la méthode employée lors de l’interpellation de Georges Ah Yan. Selon lui, tout agent doit impérativement maîtriser son tempérament, quelle que soit la tension de la situation.
« Même dans un contexte tendu, le policier doit se conformer à son ‘Standing Order’ avec un contrôle parfait de son tempérament. En aucun cas, l’agent ne doit se comporter comme le suspect. Sinon, quelle différence y aurait-il entre eux ? », déplore l’ancien inspecteur.
Il poursuit en soulignant que Georges Ah Yan est quelqu’un de connu dans sa région. « Il n’y avait aucune nécessité de recourir à cette brutalité envers lui. Si la personne a enfreint la loi, les policiers auraient pu simplement l’en informer sans utiliser de méthodes aussi radicales », ajoute Ranjit Jokhoo qui déplore la persistance de cette culture d’impunité.
De son côté, le chef inspecteur Shiva Coothen des Casernes centrales adopte une position plus nuancée. Il explique que la Police Act autorise les arrestations même sans mandat. Cependant, il précise : « Si l’individu obéit aux instructions des policiers pour les suivre au poste, il n’y a aucune nécessité d’utiliser la force. »
Néanmoins, il précise que « dans la majorité des cas, la police fait face à des actes de résistance de la part des suspects. Pour mener à bien ces interpellations, les agents peuvent recourir à une force minimale ». Le porte-parole insiste toutefois sur un point crucial : « Une fois que le suspect est maîtrisé, il n’y a absolument aucune raison de faire usage d’une force excessive. »
Violence jugée excessive
Le plus récent de ces incidents concerne Georges Ah Yan. Le mercredi 14 mai 2025, ce travailleur social de 67 ans a été immobilisé puis embarqué de force par la police de Mahébourg. Cette scène n’est pas sans rappeler le traitement infligé à l’actuel Junior Minister Rajen Narsinghen qui, avant les élections générales de 2024, avait été traîné par les forces de l’ordre après sa participation à un rassemblement à Moka.
Le cas de Nyjel Beerjeraz, 20 ans, est lui aussi choquant. Après une course-poursuite le 30 avril dernier, il a été appréhendé avec une violence excessive. Ensanglanté, extrait brutalement de son véhicule puis traîné sur l’asphalte jusqu’à une voiture de police, sa situation a suscité l’émoi général.
À la mi-avril, l’arrestation de la TikTokeuse Izna Gooljar a également marqué les esprits. Les images la montrant menottée aux poignets et enchaînée aux chevilles lors de son transfert à l’hôpital Dr A. G. Jeetoo ont indigné jusqu’à la ministre de l’Égalité des genres, Arianne Navarre-Marie, qui a qualifié ce traitement d’inhumain.
Brutalité policière : Comment remédier à cette situation ?
La récente vidéo diffusée sur les réseaux sociaux, montrant des agents de la Divisional Crime Intelligence Unit (DCIU) Metro North infligeant une violence extrême à Nygel Beerjeraz, 21 ans, tout en saccageant le véhicule dans lequel il se trouvait, a profondément choqué l’opinion publique. Ces images, d’une brutalité inouïe commise par ceux censés faire respecter la loi, rappellent douloureusement que la brutalité policière reste une réalité persistante à Maurice. Me Pravesh Nuckcheddy fait le point sur cette situation préoccupante.
Une institution policière sous le feu des critiques
Pour de nombreuses personnes, il devient de plus en plus évident que certains membres de la force policière agissent en contradiction avec les droits humains et les principes fondamentaux de l’État de droit. Cela soulève également des interrogations sur le rôle de certaines institutions, telles que l’Independent Police Complaints Commission (IPCC), ainsi que sur la responsabilité du gouvernement.
L’IPCC et ses limites
Selon Me Nuckcheddy, l’IPCC est censée assurer une surveillance des agissements policiers. Or, affirme-t-il, « elle se révèle malheureusement impuissante. Bien qu’elle ait été créée pour garantir la transparence et la responsabilité au sein de la police, son cadre législatif actuel ne lui confère ni pouvoirs coercitifs ni moyens adéquats pour mener des enquêtes indépendantes et approfondies ».
Absence de pouvoir d’arrestation
Pour l’avocat, l’IPCC ne dispose d’aucun pouvoir d’arrestation. Cela signifie qu’elle ne peut contraindre un policier à coopérer ou à fournir les informations essentielles à une enquête.
Incapacité à contraindre la production de preuves
Autre limitation majeure évoquée par l’avocat : l’IPCC ne peut forcer la production de documents ou de preuves. Si un agent refuse de collaborer ou de soumettre certains éléments, la commission n’a aucun recours. Cela nuit gravement à la conduite des investigations.
Des recommandations non contraignantes
Même lorsque l’IPCC parvient à mener une enquête et à formuler des recommandations, celles-ci, souligne-t-il, n’ont aucune valeur obligatoire. La police n’est donc pas tenue de les appliquer, ce qui réduit considérablement la portée et l’efficacité des actions de la commission.
Manque de ressources humaines
Un autre facteur limitant, indique l’avocat, est le manque de personnel qualifié. Actuellement, l’équipe est composée de deux enquêteurs seniors expérimentés, épaulés par d’autres enquêteurs compétents mais souvent peu aguerris aux enquêtes complexes.
« Cette structure est clairement insuffisante pour traiter le nombre croissant de plaintes et mener des investigations impartiales et approfondies », affirme Me Nuckcheddy. Il ajoute que ce sous-effectif entraîne des retards importants et compromet la qualité des enquêtes. Les agents en place sont surchargés, ce qui les empêche de se concentrer sur des investigations rigoureuses.
Une réforme législative urgente
Pour que l’IPCC remplisse pleinement sa mission, Me Nuckcheddy estime qu’une réforme en profondeur est nécessaire. Il formule plusieurs propositions :
• Renforcer les pouvoirs d’enquête : l’IPCC doit être habilitée à contraindre les policiers à coopérer et à fournir tous les documents nécessaires.
• Introduire des recommandations contraignantes : il est essentiel que les décisions de l’IPCC aient une force obligatoire.
• Attribuer des pouvoirs d’arrestation : cela permettrait à la commission d’agir plus efficacement lors des enquêtes.
• Renforcer les effectifs : il faut recruter davantage d’enquêteurs qualifiés, leur offrir des formations spécialisées, et envisager le recours à des experts externes (droits humains, ONG spécialisées).
Des modèles à suivre : l’exemple britannique
Me Nuckcheddy cite en exemple l’Independent Office for Police Conduct (IOPC) du Royaume-Uni, qui dispose de pouvoirs étendus et d’un personnel important. Ce modèle pourrait servir de référence pour doter l’IPCC mauricienne des outils nécessaires à une surveillance réellement indépendante et efficace.
PACE : Une lueur d’espoir... mais à quelle échéance ?
L’avocat évoque également le projet de loi inspiré du Police and Criminal Evidence Act 1984 (PACE), actuellement à l’étude à Maurice. Cette législation, si elle est adoptée, pourrait instaurer des normes plus strictes en matière de méthodes d’enquête, d’usage de la force et de respect des droits des personnes en garde à vue.
Mais il reste sceptique : « Nul ne sait quand, ni même si le législateur mauricien décidera d’adopter cette loi. » Il souligne que l’absence d’un cadre légal clair ouvre la porte à l’impunité. Plusieurs obstacles demeurent, notamment la résistance au changement au sein des forces de l’ordre, le manque de volonté politique, ainsi que l’insuffisance des ressources.
La responsabilité de chacun
« En tant qu’avocat et défenseur des droits humains, je condamne fermement ces actes de violence et j’appelle à une enquête urgente, indépendante et impartiale sur les incidents récents », déclare Me Nuckcheddy. Il demande également :
• La suspension immédiate des policiers impliqués, en attendant les résultats de l’enquête ;
• Une transparence totale de la part des institutions quant aux faits, preuves et conclusions.
Il conclut en soulignant que la police ne peut continuer à agir comme un groupe d’intimidation ou de représailles. « Le port de l’uniforme ne confère pas une immunité, mais impose au contraire un devoir accru de retenue, d’humanité et de respect de la Constitution », soutient-il.
Incidents à Mahébourg
Georges Ah Yan affirme avoir reçu des assurances du ministre Ranjiv Woochit
L’activiste Georges Ah Yan a déclaré avoir reçu l’assurance du ministre des Collectivités locales, Ranjiv Woochit, que des mesures seront prises contre les responsables si ses accusations sont avérées. Cette déclaration fait suite à un incident survenu devant son restaurant à Mahébourg, le mercredi 14 mai.
Georges Ah Yan s’est rendu devant la National Human Rights Commission, ce mardi 20 mai, pour relater sa version des faits. Il a, une nouvelle fois allégué avoir été victime d’abus de pouvoir de la part de certains policiers et d’agents du conseil de district. Très affecté, il qualifie cet épisode de « traumatisant », particulièrement difficile à vivre en tant que citoyen âgé.
Selon lui, l’incident a commencé lorsque des pots de fleurs, installés devant son établissement, ont été enlevés par les forces de l’ordre. Une vidéo largement relayée sur Facebook montre une vive altercation entre lui, la police et des membres du conseil de district. Cette séquence a suscité de nombreuses réactions en ligne.
La Commission des droits humains lui aurait conseillé de consulter un médecin dans le privé, vu l’impact psychologique de l’événement. L’activiste a également exprimé son intention de porter plainte auprès de la Financial Crimes Commission. Ce dernier souhaite dénoncer ce qu’il considère comme des abus commis par certains membres des forces de l’ordre et des autorités locales.
Georges Ah Yan réaffirme sa volonté de défendre ses droits et d’obtenir justice pour ce qu’il considère comme une « atteinte inacceptable » à sa dignité.

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !