Me Penny Hack, un des directeurs de Black River, une société de management dans l’offshore, sort de son mutisme. Il revient sur l’affaire liée à l’arrestation d’un client pour trafic de drogue en Angleterre. Depuis, le permis d’opération de cette société a été suspendu, les avoirs ont été frauduleusement dépouillés et elle a été placée en liquidation. Pour l’homme de loi, l’Independent Commission against Corruption connaît l’identité de « ceux qui ont commis ces délits ». Mais elle refuse d’enquêter sur la version de la société ou de sévir.
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L’Independent Commission against Corruption (Icac) a gelé vingt-et-un comptes bancaires de sociétés du Global Business sous son administration pour fraude financière. Pourquoi ?
Bonne question car il n’y a jamais eu de fraude financière de la part de cette société. Mais derrière le gel se cache une tout autre histoire. Il y a là la corruption du système, l’abus, la convoitise, le vol et la fraude afin d’acquérir les clients de Global Business sous gérance par des proches du pouvoir.
Les mêmes comptes avaient été gelés par la Financial Intelligent Unit (FIU) durant la période s’étalant de 2017 à 2021. Pourquoi subitement demander le même gel après deux ans ? Valeur du jour, tous les soupçons de blanchiment ont été réfutés à Maurice et en Angleterre. Tous les clients, qui sont environ 149, ainsi que leurs comptes ont été transférés ailleurs. De plus, je soupçonne l’Icac de ne pas avoir l’autorité d’agir sans une demande d’assistance mutuelle venant de la National Crime Agency (NCA) et sans l’autorisation de l’Attorney General.
Pourquoi ses démêlés avec la justice ?
La société n’a jamais eu de démêlés avec la justice. Tout a commencé en 2013. Nous avons eu comme client James Mulvey, un homme d’affaires alors âgé de 37 ans. Il vit en Angleterre et il est père de deux enfants. En 2013, une vérification de « due diligence » a été menée et nous avons rencontré son épouse ainsi que ses enfants avant de l’accepter parmi les 149 clients.
Nous avons également fait des vérifications sur son entreprise de transport en Angleterre. Nous l’avons accepté comme client essentiellement pour la création d’une fondation familiale.
Une première tranche d’environ 400 000 livres sterling a été transférée par voie bancaire et l’argent provenait de la vente d’un bâtiment en Angleterre. Une deuxième tranche d’environ un million de livres sterling a été transférée, encore une fois par voie bancaire. L’argent provenait du profit généré par une spéculation immobilière gérée par une société de management réputée de l’île de Man.
Le même client a aussi obtenu un permis de résidence délivré par le bureau du Premier ministre de 2013 à 2016. Il n’a toutefois jamais été inquiété par les services d’immigration pendant ces visites à Maurice.
Selon les articles publiés en Angleterre, James Mulvey a été condamné par la justice britannique, le 13 juin 2018, à une peine de 32 ans de prison pour trafic de drogue par rapport à un délit remontant à 2006-07.
Que s’est-il passé en 2017 ?
En mars 2017, la société Black River est informée que James Mulvey a été arrêté par la NCA en Lituanie pour un délit, lié à un trafic de drogue, commis en Angleterre entre 2006 et 2007. Le 30 mars 2017, le permis d’opération de Black River est suspendu par Padassery Kuriakose Kuriachen, de la Financial Services Commission (FSC).
Parmi les raisons avancées, on note que sur la base d’informations reçues, James Mulvey est soupçonné d’être à la tête d’un groupe du crime organisé impliqué dans le trafic de drogue. Il est aussi suspecté d’avoir généré des fonds à partir de ce trafic et d’avoir blanchi cet argent à travers des personnes et des sociétés, y compris celles administrées par le Black River Trust.
Une enquête est alors immédiatement ouverte par le Central Criminal Investigation Department et la FIU. Black River collabore pleinement en communiquant toutes les informations demandées aux autorités concernées. Aucune accusation n’est retenue contre Black River ou ses officiers pour une quelconque participation au blanchiment d’argent. C’est toujours le cas.
C’est incroyable que les soupçons portés sur un seul client aient par la suite entraîné une paralysie totale de la société Black River au détriment des autres clients et sociétés sous sa gérance.»
Quelle ont été les répercussions de cette affaire ?
Premièrement, il y a eu la suspension des opérations de Black River, qui a provoqué le départ immédiat d’environ 40 à 50 clients. En parallèle, la FIU a demandé et obtenu un ordre pour geler environ une trentaine de comptes bancaires. Cet ordre a été renouvelé en 2018 pour encore trois ans, soit jusqu’en mars 2021. Rien n’a été touché sur ces comptes.
C’est incroyable que les soupçons portés sur un seul client aient par la suite entraîné une paralysie totale de la société Black River au détriment des autres clients et sociétés sous sa gérance indépendamment de James Mulvey. Sauf que cela fait partie d’un mode opératoire mafieux et frauduleux de nos institutions.
Qu’est-il arrivé à Black River après la suspension ?
Déjà en détresse, Black River a reçu, en mai 2017, la visite mystérieuse d’un officier d’Alexander Management Services Ltd. Cette société de management lui a proposé de résoudre le problème de suspension avec la FSC si elle acceptait de lui céder les clients et opérations restants. Offre qui a, bien entendu, été rejetée.
En juillet 2017, nous avons reçu une deuxième visite de cette personne, toujours avec la proposition de résoudre le problème de suspension et d’acheter le Black River Trust. Offre qui a, de nouveau, été rejetée. Il faut aussi mentionner qu’au même moment, un nouveau Chief Executive de la FSC avait été nommé par le conseil d’administration avec l’accord du ministre de la Bonne gouvernance.
Le 11 septembre 2017, la FSC est allée plus loin en révoquant la licence de Black River. Avant qu’un appel de cette décision n’ait pu être déposé devant le Financial Service Review Panel (FSRP), le nouveau Chief Executive avait déjà nommé un administrateur.
Le but était de transférer tous les clients de Black River. Le 21 septembre 2017, l’administrateur en question, sous le regard attentif de l’officier d’Alexander Management Services mentionné plus tôt, a physiquement pris possession de tous les dossiers, ordinateurs et serveurs de Black River, soit le contrôle des 90 dossiers et clients restants.
Le même jour, une réunion a eu lieu concernant cette administration et les transferts. Elle s’est tenue en présence de l’administrateur, du Chief Executive et d’officiers de la FSC. L’officier d’Alexander Management Services Ltd, sa directrice et actionnaire majoritaire, qui n’est nulle autre que l’épouse d’une personnalité politique, étaient aussi présents.
Depuis 2017 et ce jusqu’à ce jour, Black River n’a cessé, preuves à l’appui, de réfuter tous les soupçons et les allégations à l’origine de sa suspension et de sa révocation. Dans cette optique, entre 2018 et 2019, elle a déposé une action contre la FSC ainsi qu’une demande de révision judiciaire contre le FSRP devant la Cour suprême. Ces affaires sont toujours en cours.
Les plaintes n’ont pas été arrêtées… ?
Effectivement, le 11 août 2021, un dossier a été déposé au bureau de l’Attorney General sous l’article 13 de la Law Practitioners Act pour faute professionnelle contre un homme de loi qui a rédigé la pétition de mise en liquidation de Black River. Cette plainte concerne des faits erronés que contient la pétition. Il semblerait que pour sa défense, l’homme de loi avait dit avoir agi sur les strictes instructions de son client et des documents.
Selon la Law Practitioners Act, le bureau de l’Attorney General était tenu de remettre un rapport au Chef juge sur l’homme de loi en question. Mais rien n’a été fait. Le 15 septembre 2022, une lettre a été envoyée au bureau du Chef juge par rapport à cette affaire. Le 13 octobre 2022, un dossier contre l’homme de loi a été aussi déposé au bureau du Chef juge avec la requête d’appliquer l’article 13 de la Law Practitioners Act pour faute professionnelle. À ce jour, j’attends toujours un dénouement.
La richesse de Black River s’était volatilisée bien avant 2023. Les corrompus et les fraudeurs ayant commis ce vol sont toujours en liberté.»
Quel reproche spécifique faites-vous au sujet de la demande de liquidation ?
Malgré le procès de Black River contre la FSC, celle-ci a, en se basant sur un rapport de son administrateur, demandé la mise en liquidation de la société le 30 octobre 2020, en vertu des articles 102(2) (g) et 102(5) (l) de l’Insolvency Act. L’affidavit et la pétition démontrent clairement que 25 clients ont été transférés au profit d’Alexander Management Services Limited et que Black River n’avait plus de licence de Global Business comme requis par l’article 102(2) (g) de l’Insolvency Act.
Il a aussi été découvert que l’affidavit et la pétition contiennent une fausseté fondamentale. C’est complètement faux de dire que Black River a enfreint la Financial Services Act ou la Securities Act. Après la demande, le 19 janvier 2021, Black River a été mise en liquidation sur ordre de la Cour suprême.
Il faut aussi dire qu’en février 2021, une lettre a été envoyée à la juge l’informant qu’elle a été induite en erreur, qu’il y a eu abus entourant les articles 102(2) (g) et 102(5) (l), que le vol de clients a déjà été perpétré et que Black River ne pourra plus continuer son procès contre la FSC. En mai 2021, les mêmes faits ont été communiqués à l’Official Receiver après qu’il a pris le contrôle de Black River.
Parlez-nous de l’allégation de corruption dont a été victime Black River ?
En décembre 2019, une lettre a été envoyée au ministre de la Bonne gouvernance pour l’informer de la corruption et d’un complot afin de prendre possession « illégalement » de Black River et de ses clients dans les circonstances mentionnées. En juillet 2020, une question a été déposée à l’Assemblée nationale et adressée au ministre de la Bonne gouvernance au sujet de la fraude et de la corruption dont Black River est victime. Mais la question a été, sans surprise, rejetée par le Speaker.
Le 12 mai 2021, le ministère a finalement répondu à la lettre, en informant qu’il ne mène pas d’enquête dans une affaire de corruption qui relève du domaine de l’Icac. Vers mai 2021, une plainte officielle, preuves à l’appui, a été déposée à la commission anticorruption.
Quelles ont été les plaintes des directeurs de Black River portées à l’Icac en 2021 ?
La première concerne la corruption, le conflit d’intérêts, le transfert de 25 clients avec des comptes bancaires et une fraude au détriment de Black River. La deuxième porte sur un détournement d’environ 60 000 dollars américains de trois comptes SBM au détriment d’un client. L’enquêtrice chargée du dossier a confié qu’elle recommandera une enquête dans cette affaire, c’est-à-dire, qu’une vérification des comptes SBM soit menée et que les protagonistes mentionnés soient interrogés.
Il faut croire que cette recommandation écrite a gêné puisque le dossier a été placé dans un tiroir. Aucun interrogatoire et pas la moindre vérification de comptes n’ont eu lieu. Finalement, l’enquêtrice a été poussée vers la porte de sortie.
Le 26 janvier 2022, le secrétaire de l’Icac nous a informés qu’aucun élément tombant sous la Prevention of Corruption Act ou la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act n’a été décelé. La version de Black River n’a jamais été vérifiée.
Les directeurs de Black River vont-ils contre-attaquer ?
David Gaskell, aussi directeur de Black River, se trouve à présent en Angleterre. Il a déposé des plaintes officielles pour dénoncer les agissements et les abus de la NCA perpétrés contre lui. Il a aussi réfuté tous les soupçons jetés sur Black River et lui. Il l’a fait devant la Cour de Birmingham, en présence de la NCA, par écrit et verbalement via visioconférence.
À Maurice, nous avons fait le maximum. J’ai maintenant la conviction que l’influence de la mafia a aussi atteint l’Icac. Quand il s’agit d’un acte de corruption qui implique une proche du pouvoir, elle ne veut rien déceler.
En ce qui concerne le gel de comptes bancaires, il faudra trouver une façon d’avertir la cour de l’abus commis par l’Icac de cette procédure faite devant un juge des référés et « ex parte ». Il n’y avait ni urgence, ni soupçon. Rien ne pouvait justifier une telle demande. Leur comportement ridiculise toute notion de justice. La richesse de Black River s’était volatilisée bien avant 2023. Les corrompus et les fraudeurs ayant commis ce vol sont toujours en liberté.
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