
Dans un contexte où la réalité économique impose des choix difficiles, le Budget 2025–2026 appelle à un effort collectif. Il exige des sacrifices, mais propose en retour une promesse claire : celle d’une relance maîtrisée et d’une croissance durable. Loin des illusions de facilité, il trace un chemin rigoureux, mais porteur d’avenir. Au cœur de cette stratégie : le secteur des services financiers, qui représente près de 14 % du PIB et plus de 17 000 emplois à haute valeur ajoutée. Ce secteur demeure un levier essentiel de transformation. Mais il n’y a pas de relance possible sans un élément fondamental : la confiance. Et dans l’univers financier, cette confiance repose avant tout sur la solidité des mécanismes de conformité. Pour en discuter, nous avons rencontré Gavish Seetohul, Senior Manager chez RockFin Compliance.
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Le Budget annonce un repositionnement stratégique de Maurice comme centre financier crédible. Pensez-vous que les mesures prévues vont dans le bon sens ?
Oui, ce Budget assume la réalité du moment. Il marque une rupture avec l’attentisme et envoie un message clair : Maurice veut se reconstruire sur des bases solides. L’introduction d’une déclaration interne obligatoire des bénéficiaires effectifs pour des structures, notamment les sociétés et fondations, le renforcement des pouvoirs de la Gambling Regulatory Authority, ou encore la montée en puissance du Registrar of Co-operative Societies comme régulateur AML/CFT témoignent d’une volonté réelle de mettre la conformité au cœur de la réforme. Il ne s’agit plus de communication de façade, mais d’une approche structurelle fondée sur la transparence et la crédibilité.
Ce Budget est un point d’inflexion. Il reconnaît nos vulnérabilités, propose des réformes sérieuses, et redonne du sens à l’effort collectif.»
Le secteur financier peut-il être plus qu’un moteur de croissance, un moteur de transformation ?
Absolument, mais pour cela, il faut d’abord restaurer durablement sa crédibilité. L’épisode de l’inscription sur la liste grise du GAFI en 2020 a marqué les esprits et a démontré le coût d’une perte de confiance. La publication récente du deuxième rapport d’évaluation des risques nationaux (NRA 2025), six ans après le premier, est un pas très important. De même, la préparation à l’évaluation du GAFI/ESAAMLG prévue en 2027, avec une feuille de route nationale, montre que l’on tire les leçons du passé.
L’annonce du Gouvernement de soumettre la juridiction au Financial Sector Assessment Program du FMI et de la Banque mondiale est également très encourageante et un signal fort. Elle permettra d’évaluer notre résilience et notre capacité à faire face aux crises.
Quels sont aujourd’hui les défis les plus pressants dans cette dynamique de réforme ?
Le plus grand défi est humain. Il y a aujourd’hui une pénurie aiguë de compétences dans le domaine de la conformité. Toutes les entités régulées - qu’il s’agisse d’une grande banque, d’une start-up ou d’un cabinet immobilier - doivent nommer un Compliance Officer, un MLRO et un Deputy MLRO. Trouver ces profils est devenu extrêmement difficile. Il y a un déséquilibre entre la complexité croissante des exigences réglementaires et la disponibilité de talents qualifiés. Former, attirer et retenir ces professionnels devient un enjeu stratégique.
Cependant, le Budget met également l’accent sur la réduction des pénuries de talents et le renforcement des compétences au sein du secteur financier à travers le lancement de programmes spécialisés en LBC/FT pour les secteurs public et privé. Il prévoit aussi et la future mise en place d’une base de données centralisée après une cartographie nationale des compétences bancaires.
La digitalisation peut-elle aider à relever les défis du secteur ?
Oui, et de manière très concrète. L’intégration de la plateforme d’e-licensing avec la base de données KYC centralisée et la fonctionnalité « Known to the Commission » ou encore les tableaux de bord de suivi en temps réel des demandes de licence sont des innovations qui vont considérablement alléger les coûts, réduire les délais et améliorer la transparence. Elles offrent aussi une base solide pour le développement de l’écosystème fintech. C’est une évolution indispensable pour que Maurice reste compétitif face à d’autres juridictions plus avancées.
L’annonce du gouvernement de soumettre la juridiction au Financial Sector Assessment Program du FMI et de la Banque mondiale est également très encourageante et un signal fort.»
Le rôle du compliance officer a-t-il évolué pour s’adapter aux nouvelles menaces ?
Clairement. Aujourd’hui, un professionnel de la conformité ne peut plus se limiter aux règles classiques. Il doit maîtriser, dépendant du secteur d’activité, des domaines aussi variés que la cybersécurité, la protection des données, les risques liés à l’intelligence artificielle, les exigences ESG, les actifs numériques ou encore la gestion des sanctions internationales. C’est un rôle transversal, qui exige à la fois expertise technique et capacité pédagogique. Il ne suffit pas d’imposer des règles en interne : il faut en expliquer le sens. La conformité est aussi un travail de culture d’entreprise.
Que pensez-vous des mesures institutionnelles annoncées, comme la création d’une National Crime Agency ou d’un parquet national ?
Ce sont des mesures importantes, surtout si elles s’accompagnent de moyens humains et technologiques adaptés. L’utilisation de logiciels d’analyse en temps réel par la FIU, la digitalisation du système judiciaire (e-judiciary), la modernisation des tribunaux et l’intégration des paiements numériques constituent un socle d’outils modernes pour mieux prévenir, détecter et poursuivre les infractions financières. Toutefois, la clé, c’est l’indépendance et l’efficacité opérationnelle. Il faut traduire ces ambitions en résultats concrets.
En résumé, que faut-il retenir de ce Budget pour les professionnels de la conformité ?
Ce Budget est un point d’inflexion. Il reconnaît nos vulnérabilités, propose des réformes sérieuses, et redonne du sens à l’effort collectif. Pour les acteurs de la conformité, c’est une opportunité : celle de repositionner Maurice comme une juridiction fiable, rigoureuse, et tournée vers l’avenir. La transparence, la cohérence réglementaire et la compétence des ressources humaines seront les clés de notre crédibilité.

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