L’Attorney General, Gavin Glover revient sur les grandes ambitions du gouvernement : révision constitutionnelle, indépendance des institutions, équilibre entre sécurité et libertés individuelles et les négociations complexes sur la souveraineté des Chagos. Il a répondu aux questions de Prem Sewpaul lors de l’émission « Info Soirée » du 27 janvier.
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Le changement est le maître-mot de ce nouveau mandat gouvernemental. Parmi les axes les plus importants, il y a la création de tout un cadre légal pour soutenir ce changement, incluant la justice sociale et les élections, afin de renforcer la base démocratique. Une commission de révision constitutionnelle va être mise en place très vite. Quelles seront les priorités de cette commission ?
Toutes les mesures qui sont préconisées dans le discours-programme vont être des sujets d’actualité. Que ce soient les élections, les cours de justice ou l’inclusion de certains droits fondamentaux dans la Constitution, tout cela fera partie des sujets sur lesquels la commission va évidemment se pencher. Il est extrêmement difficile, à ce stade, de dire quels seront les paramètres de cette commission qui sera mise sur pied dans les semaines, voire les mois à venir. D’ailleurs, le discours-programme prévoit que cette commission soit opérationnelle dans les six prochains mois.
Est-ce qu’on ira jusqu’au bout dans la réflexion pour renforcer cette base démocratique et voir une dose de proportionnelle ou encore des mesures comme le financement des partis politiques ? Jusqu’où est-ce que le gouvernement est prêt à aller pour conforter cette base démocratique ?
Le discours-programme a étalé sur deux heures toutes les choses que ce gouvernement préconise. Évidemment, c’est un programme sur cinq ans. Il ne faut pas s’attendre à ce que la commission siège et qu’après trois à quatre mois, on commence à proposer des amendements à la Constitution. Il faut évidemment écouter tout le monde.
J’ai vu dans la presse dominicale que certains disent qu’on ne sera pas à l’écoute des citoyens. Ce n’est pas vrai. La commission sera là pour écouter. On va inviter des gens à venir donner leur point de vue : la société civile, des avocats, des hommes d’affaires, ceux du secteur financier. Tout le monde sera pris en considération. Quoi qu’il en soit, nous avons déjà des axes précis sur lesquels nous allons travailler.
Vous ne me verrez pas dans des fêtes partisanes et politiques parce que je veux garder ce recul pour agir objectivement.»
Une priorité qui a été soulignée de manière assez forte pendant la campagne électorale, c’est l’indépendance des institutions. Il faut avoir une volonté de la part des dirigeants pour décentraliser les pouvoirs discrétionnaires et les mettre entre les mains des institutions. Est-ce qu’il y aura des changements qui vont apporter ces types de transformation des institutions ?
Ce que je peux dire, c’est qu’il y a une volonté politique avérée de la part de ce gouvernement de redorer le blason des institutions. Ma nomination, en elle-même, est une preuve que le gouvernement veut des institutions indépendantes. Je ne suis pas membre d’un parti politique. J’ai peut-être des atomes crochus avec le Parti Travailliste (PTr) de Navin Ramgoolam. Enfin, j’ai été son avocat pendant dix ans, mais je ne suis pas l’avocat du PTr comme certains le disent.
J’ai toujours prôné cette approche selon laquelle l’Attorney General, au vu de ses pouvoirs discrétionnaires sur certaines choses, devrait être un légiste assez indépendant. D’ailleurs, vous ne me verrez pas dans des fêtes partisanes et politiques parce que je veux garder ce recul pour agir objectivement. Déjà, nous avons vu au niveau de la Banque de Maurice ce qui se passe. Donc, il est clair qu’il y a une volonté politique.
Évidemment, comme le disait un commentateur politique dans la presse du dimanche, il ne faut pas s’attendre à ce que les choses se fassent du jour au lendemain. Tout comme pour les abus décriés, il faut donner du temps aux enquêteurs.
Il ne faut pas se ruer pour arrêter des gens, les mettre sous accusations provisoires et faire comme l’ancien système. Je ne suis pas pour. Le Premier ministre l’a dit aussi, il n’est pas pour. Il a été victime, lui aussi, de représailles par voie d’accusations provisoires durant plusieurs années. Ce sont des choses qui vont se mettre en place lentement mais sûrement, pour que ce soit fait correctement.
Est-ce qu’un cadre légal suffit pour régler les problèmes d’ingérence dans les organismes ou faut-il aussi la volonté des hommes et des femmes ?
Il faut les deux. Vous pouvez instaurer le cadre légal que vous voulez, mais si vous ne mettez pas « the right person at the right place », ça ne va pas marcher. Il faut des personnes avec une indépendance d’esprit, qui agissent objectivement et qui ont un raisonnement sain et clair pour que ces organismes fonctionnent correctement. Ce n’est pas parce qu’il y a une nomination politique que ces institutions ne doivent pas être complètement indépendantes. Le travail a commencé. Si certains pensent qu’on ne bouge pas assez vite, il y a une raison. Il faut qu’on trouve nos marques. C’est vrai qu’on a un Premier ministre et un Premier ministre adjoint expérimentés. Il faut que tout le monde prenne ses marques pour que ça progresse. Il faudra attendre après le budget pour comprendre ce qui pourra être fait. Parce qu’il n’y a pas d’argent et qu’il y a peu de choses qui peuvent être réalisées en la circonstance. Il faut trouver les moyens pour faire ce qu’on peut, dans le laps de temps le plus court, afin d’atteindre les objectifs fixés dans le discours-programme.
Lorsque nous entendons parler de malversations de part et d’autre, que ce soit à la Mauritius Investment Corporation ou par rapport aux contrats, est-ce que le pays a les ressources nécessaires pour enquêter sur tout ça ?
Nous avons probablement un déficit dans ce domaine. Il ne faut pas se leurrer. Nous n’avons pas des enquêteurs assez pointus dans certains cas. Pour la majorité des cas, oui. Comment y remédier ? Recruter des personnes plus qualifiées. Tout cela coûte de l’argent. Il faudra voir dans quelle mesure on pourra le faire.
Il ne faut pas oublier que nous avons une épée de Damoclès au-dessus de nos têtes : la notation de Moody’s. Nous ne pouvons pas nous permettre de nous retrouver « downgraded ». Ce qui ferait très mal. Nous avons aussi le dossier des Chagos, qui doit être traité avec doigté et finesse à cause des enjeux géopolitiques et internationaux.
J’ai l’intime conviction que nous aboutirons à un dénouement cette année, marquant soixante ans depuis le détachement des Chagos de Maurice.»
Il y a eu l’Economic Crime Office, puis l’Independent Commission Against Corruption et ensuite la Financial Crimes Commission. Malgré tout, ces organismes ont été très critiqués pour leur manque d’efficacité et d’impartialité. Malgré les ressources investies, très peu de cas aboutissent. Or, le gouvernement compte mettre sur pied un nouvel organisme. La situation sera-t-elle différente maintenant ?
Ce que le Premier ministre a annoncé, c’est qu’il y aura une équipe multidimensionnelle qui couvrira une large partie des crimes financiers. Une réflexion devra être menée pour définir l’étendue des délits que cette agence devra traiter, qu’il s’agisse de corruption mineure ou de cas plus graves. L’objectif est d’avoir un organisme efficace, bien structuré et à même de répondre aux attentes.
Il y a un besoin de trouver un équilibre entre un État policier – avec l’utilisation de la vidéosurveillance pour la détection des crimes – et la liberté de l’individu. Comment le gouvernement compte-t-il parvenir à maintenir cet équilibre ?
Il faut se rappeler que parmi les premières mesures prises par ce gouvernement, la suppression des photos pour l’enregistrement des cartes SIM a été une étape importante. Ce sont des mesures qui vont dans la direction d’un équilibre entre la sécurité et les libertés individuelles. On ira encore plus loin lorsque le système des accusations provisoires sera revu. Une fois que ce système sera supprimé, il faudra mettre en place un cadre permettant à la police de continuer son travail sans porter atteinte à la liberté des individus.
On a beaucoup lu dans la presse anglaise au sujet des négociations sur les Chagos. Comment le gouvernement aborde-t-il les obstacles sur la route de la souveraineté de Maurice ?
Il n’y a pas grand-chose à faire à ce stade sur le plan international, mais je ne voudrais pas empiéter sur les prérogatives du Premier ministre ou du ministre des Affaires étrangères. Ce que je peux vous dire, c’est que les négociations avec les Britanniques se sont très bien passées. Nous avons un document final. Les Britanniques ont demandé un délai pour consulter l’administration américaine, étant donné que les États-Unis sont des partenaires stratégiques concernant Diego Garcia.
Certains commentaires, comme ceux de John Kennedy, ont été erronés ou exagérés, notamment lorsqu’il a affirmé que Maurice pourrait s’ouvrir aux Iraniens à la suite de la visite d’un ambassadeur iranien. Nous savons où nous en sommes. Depuis l’indépendance, Maurice a cultivé des relations solides avec des pays comme le Royaume-Uni, la France, l’Inde, les États-Unis et l’Australie, sans oublier les pays africains qui nous ont toujours soutenus. J’ai l’intime conviction que nous aboutirons à un dénouement cette année, marquant soixante ans depuis le détachement des Chagos de Maurice.
Certains disent que si l’accord politique signé en octobre 2024 n’avait pas été renégocié, il serait déjà finalisé. Partagez-vous cet avis ?
Non, je ne partage pas cet avis. Si l’accord était prêt, le précédent gouvernement l’aurait finalisé avant les élections. Cela n’a pas été fait. Entre la déclaration politique du 3 octobre dernier et les élections du 10 novembre 2024, il y avait un mois. Ce laps de temps n’a pas été utilisé pour faire avancer les choses.
Lorsque nous avons pris nos fonctions en novembre 2024, nous n’avions aucune idée précise de ce qui s’était passé avant. Nous avons donc demandé un audit indépendant pour réviser les termes de l’accord. Après cela, nous avons repris les discussions avec les Britanniques en décembre 2024. En deux mois, nous avons progressé. Je vous laisse comparer cela avec les deux années dont a disposé le précédent gouvernement.
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