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Freedom of Information Act : l’interminable attente 

Avinaash Munohur, Abdallah Goolamallee et Dev Sunnasy

On en parle depuis des décennies. Cependant, la tant attendue Freedom of Information Act n’est toujours pas une réalité. Linion Pep Morisien, souhaitant se démarquer des partis traditionnels, a travaillé sur une ébauche de ce qu’il propose et qui sera présentée ce jeudi 18 août 2022. Suite à quoi, les débats seront ouverts. Pourquoi depuis tant d’années, ceux au pouvoir n’arrivent pas à introduire cette loi ? Le point.

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Manque de volonté politique 

Pourquoi malgré toutes ces années, la Freedom of Information Act est toujours en attente ? Où est le problème ? Le politologue Avinaash Munohur explique que le premier obstacle demeure « le manque de volonté politique » des élus des majorités qui se sont succédé depuis que cette idée est évoquée. 

« Nous sommes en face d’une contradiction intéressante : d’un côté, la révolution digitale est en train de détruire cette notion historique du secret d’État – ce qui pose de sérieux problèmes pour l’exercice du pouvoir – et de l’autre, nous sommes en face d’un gouvernement qui tente de sauvegarder cette culture du secret. Il est clair que notre monde change et continuera à changer. Le secret dans l’exercice du pouvoir n’a plus lieu d’être, à part peut-être dans certains domaines liés à la sécurité nationale », indique notre interlocuteur. 

Le politologue soutient qu’une Freedom of Information Act serait un outil essentiel pour mieux encadrer l’information. Selon Avinaash Munohur, il y a deux avantages directs à cet encadrement : permettre aux Mauriciens d’avoir une meilleure lisibilité de l’exercice du pouvoir d’État, et permettre aux politiques d’être plus transparents dans leurs décisions, ce qui devrait leur ramener de la plus-value politique.

Secrets

Il poursuit que « tout pouvoir a sa part d’ombre et d’invisibilité », et il y a des choses qui doivent rester secrets et invisibles dans l’exercice du pouvoir d’État. « Comme je vous le disais, tout ce qui relève de la sécurité nationale, par exemple, est de cette nature. De ce fait, il est normal qu’un gouvernement doit user du secret concernant certaines pratiques. Mais, nous parlons ici de choses extrêmement précises et limitées. L’immense majorité des décisions publiques relèvent de l’intérêt public et requièrent que les citoyens soient entièrement informés », poursuit notre interlocuteur. 

Pour lui, le processus de décisions concernant les politiques économiques, l’attribution des marchés publics, les nominations dans les institutions ou encore les divers projets du gouvernement sont parmi ces choses qui se doivent d’être rendues publiques. Et il est impératif que les procédures d’élaboration de ces contrats, de ces marchés et de ces projets soient soumises à un suivi transparent, clair et parfaitement objectif. « C’est comme cela que notre pays progressera dans le bon sens. Maintenant, vous me demandez si les gouvernements ont un « hidden agenda », je vous répondrai en vous disant que du moment qu’il y a de l’opacité dans des procédures et des informations qui se doivent d’être publiques et transparentes, alors le soupçon n’est pas injustifié », avance-t-il.

Il trouve bien ce que Linion Pep Morisien propose. « C’est d’ailleurs là la fonction des forces de l’opposition : proposer des alternatives crédibles et sérieuses aux pratiques actuelles. De ce point de vue, je suis heureux de voir qu’il prenne cette initiative. Maintenant, il faudra voir ce qu’il propose. Toute proposition n’est pas valable uniquement parce qu’elle existe. Sa validité et son importance critique viennent du fait qu’elle dessine les contours de nouvelles pratiques pour l’espace politique. Et que ces pratiques, lorsqu’on les accumule, participent à faire avancer la société », pense Avinaash Munohur. 

Rapport Robertson 

Pour sa part, Abdallah Goolamallee, chargé de cours en communication à Curtin University et observateur politique, indique que depuis 1995, les gouvernements successifs ont mené la population et l’électorat en bateau concernant l’introduction d’une Freedom of Information Act. « Navin Ramgoolam durant son mandat avait sollicité le très connu Human Rights Lawyer britannique Geoffrey Robertson. Celui-ci, en 2013, était venu avec un rapport préliminaire bien détaillé sur la Freedom of Information Act pour Maurice. L’État avait déboursé une fortune pour cela », souligne ce dernier.

Il ajoute qu’en 2014, l’Alliance Lepep avait promis dans son manifeste électoral l’introduction de la Freedom of Information Act. « En 2011, Maneesh Gobin, aujourd’hui Attorney General, décriait l’absence d’une Freedom of Information Act. Je le cite : « Demandons à l’Inde, notre grand frère, de nous envoyer cet expert s’il le faut. Mais il faut ‘get the job done’ une fois pour toutes. Vous vous rendez compte qu’on nous parle de Freedom of Information Act depuis 1995 ? » fait ressortir Abdallah Goolamallee. 

Population éclairée

Pour lui, c’est clair qu’une fois au pouvoir, la Freedom of Information Act fait tiquer ceux qui se sont servis de cela comme cheval de bataille. Ce, au détriment de la population. « Ceux qui sont au pouvoir tiquent par rapport à la Freedom of Information Act, car ce cadre de loi donne accès à l’information à la population. Une telle loi permet à la population d’être plus éclairée. Il me semble que ceux au pouvoir, peu importe les gouvernements, ne voient pas une population éclairée de bon œil », croit notre intervenant. 

S’agissant de la marche de Linion Pep Morisien, il affirme que depuis des années, on a déjà plusieurs rapports et ébauches concernant la Freedom of Information Act. « Linion Pep Morisien aurait dû consolider sur ce qui est déjà existant. Cependant, Rama Valayden a déjà raté le départ quand il était Attorney General et lorsqu’il avait l’occasion de le faire. Ce qui est navrant », lance ce dernier. 

Manifeste électoral : cette loi évoquée par plusieurs partis politiques

En 2014, l’Alliance Lepep, dans son manifeste électoral intitulé ‘Gouverner pour le peuple avec le peuple’ sous le chapitre de Démocratie, Combat contre la fraude et la corruption, Sécurité et bonne gouvernance, mettait l’accent sur l’introduction d’une ‘Freedom of Information Act’. Cela, pour garantir la transparence et permettre la libre circulation des informations. Or, huit ans après, les militants pour la démocratie et le peuple sont toujours en attente.

Il y a également d’autres partis qui avaient proposé de venir avec une Freedom of Information Act lors des élections de 2019. En l’occurrence, l’Alliance nationale, qui regroupait le Parti travailliste et le PMSD, promettait, dans son programme gouvernemental ‘La rupture, Changer le système, Construire l’avenir’, de venir avec cette loi une fois au pouvoir. L’objectif étant de faciliter l’accès des citoyens aux informations d’organismes publics.

Le MMM en avait également fait son cheval de bataille. Dans son programme électoral de 2019 sous le thème de ‘Pour un vrai changement’, on proposait de faire voter la Freedom of Information Act. Cela, car le droit à l’information, à la libre circulation de l’information et à la liberté d’expression est essentiel au bon fonctionnement d’une démocratie et aide à promouvoir la transparence et la redevabilité.

Un impératif selon l’opposition 

Le député du Parti travailliste, Patrick Assirvaden, affirme qu’il faut que le gouvernement vienne au plus vite avec cette loi. « C’est une loi promise depuis 2014. Aujourd’hui, elle est encore plus importante avec tout ce qui se passe, les contrats qui sont signés en toute opacité. Cette loi est un must », lance-t-il. Il énumère une série de dossiers  dont l’achat de médicaments par la STC, les pertes de Rs 12 milliards essuyées par la SBM, les constructions à Agalega, entre autres. 

Pour lui, le parti qui aspire à diriger le pays doit pouvoir venir avec cette loi. « C’est un must. Peu importe le parti au pouvoir, il faut pouvoir venir avec cette loi durant les six premiers mois à la tête du pays. Cette loi permet plus de transparence et une bonne gestion », déclare Patrick Assirvaden. Il ajoute que c’est aussi un moyen pour mettre un frein à la corruption. 

Adil Ameer Meea indique que cela fait des années que le MMM et lui-même reviennent à la charge sur ce dossier. « L’introduction de cette loi fait partie de notre manifeste électoral. Notre position ne change pas. Cette loi reste importante pour le pays. Elle va dans la lignée de la transparence et de la bonne gouvernance », explique ce dernier. 

Le député mauve souligne qu’aujourd’hui, le peuple n’a pas droit à des informations. « Avec cette loi, le peuple sera plus éclairé. On ne va pas se servir du prétexte que des informations comme des g-t-g agreements ne peuvent être dévoilées », avance Adil Ameer Meea. 

Le député du PMSD, Kushal Lobine, pense aussi qu’il est grand temps que cette loi soit une réalité. « C’était dans le manifeste de l’Alliance Lepep en 2014. Entre-temps, le PMSD a quitté le gouvernement, mais a continué à militer pour cette loi. Elle est importante pour le bon fonctionnement de la démocratie. Il y a trop d’affaires qui sont cachées sous clause de confidentialité », déplore notre interlocuteur. 

Kushal Lobine estime que la Freedom of Information Act jettera les bases pour un cadre légal où le peuple pourra avoir accès à des informations. « La population sera plus éclairée. Cela atténuera la perception qu’il y a anguille sous roche et éliminera la méfiance », pense-t-il. 

Sollicité, l’Attorney General, Maneesh Gobin, soutient que « le travail se poursuit ». « Le Premier ministre l’avait expliqué. C’est une loi hautement sensible avec des implications administratives, légales et institutionnelles », déclare le ministre, qui ajoute que le comité technique continue à travailler là-dessus.

Dev Sunnasy, co-leader de Linion Pep Morisien (LPM) : « On prône un open government. »

Pourquoi LPM a-t-il décidé de venir de l’avant avec une Freedom of Information Act ?
Dès le départ, quand LPM a été lancé, l’accent a été mis sur la lutte contre la corruption avec une série de mesures, dont la Freedom of Information Act. On ne se contente pas d’annoncer, mais aussi d’élaborer. Dans le passé, on est venu avec le budget alternatif avec plusieurs propositions. On a donc travaillé sur la Freedom of Information Act, car des Mauriciens veulent plus de transparence sur la gestion des fonds publics. 

À quel point cette loi est-elle importante ?
Elle est d’importance capitale avec les sagas dont on entend parler : Affaire Kistnen, faillite d’Air Mauritius, St Louis Gate…Ce sont des choses qui font que les personnes n’ont plus confiance en la classe politique. Nous avons donc écrit notre version de la Freedom of Information Act pour rendre le secteur public transparent. On prône un ‘open government’. 

LPM souhaite se différencier des partis main stream ?
On a écrit ce projet qui doit être débattu et amélioré. Il y en a assez de la politique de cacher, de mentir, de dissimuler la vérité. L’objectif est que les Mauriciens regagnent confiance. Venir avec ce projet démontre qu’on est en phase avec la société civile. LPM, en sus de dire qu’il faut un changement fondamental, propose concrètement des solutions. Ce ne sont pas que des phrases en l’air. On va dans les détails. 

Pensez-vous avoir l’adhésion ?
La presse, qui est le 4e pouvoir, a un grand rôle à jouer. C’est la presse qui peut vulgariser ce projet. En 2019, selon l’UNESCO, 125 pays sur 193 ont une Freedom of Information Act. Maurice est toujours un mauvais élève. 

 

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