Dans trois jours, Pravind Jugnauth aura fait 100 jours au poste de Premier ministre. François de Grivel jette un éclairage sur sa performance, ses défis et ses orientations économiques.
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Ce mardi 2 mai marquera le 100e jour de Pravind Jugnauth au poste de Premier ministre. Quel bilan en faites-vous ?
Cette période de transition de prise de fonction de Pravind Jugnauth était complexe, et compliquée. Il lui a fallu reprendre beaucoup de dossiers, comme la BAI, ou encore le dossier Sobrinho. Ces 100 jours ont été une période plutôt délicate pour lui. Mais en même temps, il a cherché à acquérir une certaine sérénité pour mieux gérer ces problèmes. Il a nommé plusieurs conseillers autour de lui. Il a notamment repris sir Bhinod Bacha, qui a une excellente maîtrise des affaires de l’État, qui peut l’orienter de la manière la plus objective possible. La situation a changé également au niveau de l’opposition.
Après Paul Bérenger, Xavier-Luc Duval est devenu leader de l’opposition et il a une approche différente. Il est plus technique que politique sur plusieurs dossiers. C’est au milieu de tout cela, il faut remettre les problèmes économiques au cœur des choses, à la même place qu’ont occupé les problèmes politiques jusqu’à présent. Les mesures prioritaires demeurent la relance de l’économie et la création d’emploi. J’en ai moi-même parlé au Premier ministre récemment. Les premières décisions en ce sens ont été prises.
Le Premier ministre a récemment demandé à ses collègues de bien vouloir prendre des mesures pour accroître les activités industrielles dans leur secteur, si possible. Le président du BOI, Gérard Sanspeur, et le Premier ministre mettent l’accent sur la manufacture et le secteur industriel. C’est une bonne orientation. L’autre sujet très sensible, c’est l’investissement dans le métro léger. C’est sensible parce qu’on parle de Rs 15 milliards ou Rs 30 milliards d’investissements. On n’engage pas une telle somme uniquement pour des raisons politiques. Il s’agit d’une décision économique qui mérite beaucoup de réflexion. Bien que le Premier ministre ait nommé un de ses conseillers, Georges Chung Tick Kan, sur ce projet, certains aspects, comme l’achat des terrains, posent des problèmes sociaux et humains qu’il faudra gérer. On ne peut pas parler que de l’investissement, le projet doit être économiquement rentable. Il faut des concertations entre spécialistes, des personnes qui connaissent ces métiers. Cela mérite une concertation approfondie et pas uniquement des échanges à travers la presse.
Vous mentionnez les mesures prises pour le secteur manufacturier et industriel en général. Est-ce suffisant selon vous ?
Je crois que ce n’est pas suffisant. Parce que pour le développement industriel, dans le manufacturier, il est important d’aller vers des activités à plus forte valeur ajoutée. Pour qu’on puisse absorber le coût des salaires. On parle, de nos jours, de salaire minimal. Pour que des entreprises puissent supporter le coût, elles doivent avoir une valeur ajoutée pour être compétitives sur le marché international. Il faut, par exemple, attirer les entreprises de technologie avancée. Il faut une main d’œuvre compétente. C’est un deuxième volet important pour ce secteur : la formation technique. Les gens qui sont disponibles sur le marché du travail doivent être compétents. La formation et l’investissement dans les technologies nouvelles sont les clés. Dans le secteur des TIC, il y a actuellement beaucoup de centres d’appel et d’entreprises du BPO, qui n’apportent pas de valeur ajoutée.
«Les mesures prioritaires demeurent la relance de l’économie et la création d’emploi.»
Cela fait des années que l’on se focalise sur l’offshore et le secteur financier. Y a-t-il des indications concrètes sur le retour en force du secteur industriel ?
Il y a eu des entretiens de très haut niveau avec le Premier ministre et les représentants du secteur privé ainsi que des institutions comme l’Université de Maurice et le MITD, pour réfléchir sur la direction à emprunter, sur l’orientation à donner au développement industriel. C’est à l’ordre du jour. Un représentant du BOI y a d’ailleurs participé. C’était il y a à peine quelques semaines. C’est une des priorités du gouvernement.
Vous vous attendez à ce que les mesures discutées figurent dans le prochain budget?
Je crois qu’il est essentiel que ce soit dans le budget, dans l’intérêt du pays.
Le Business Facilitation Bill a été introduit au Parlement. Quel impact ce projet de loi aura sur l’économie ?
J’avoue que je n’ai pas encore lu le texte de loi mais je sais qu’il y a eu des discussions entre le privé et le public. Cela permettra de créer ce climat de confiance industriel. On a besoin de retrouver une sérénité dans l’investissement étranger à Maurice. Des affaires comme Sobrinho ou Quantum ont un peu affecté notre image au niveau international. C’est mauvais.
C’est bien d’attirer les investisseurs, mais si on attire ceux qui font des fraudes, c’est très négatif. Le développement du secteur financier doit être très structuré avec un screening des entrepreneurs. Je pense que le Business Facilitation Bill va rendre les investisseurs plus à l’aise et favorisera l’investissement dans le secteur des TIC et du manufacturier, en sus du secteur financier. Je pense qu’on en a bien besoin. Il faut retrouver un bon niveau international. Non seulement par les lois, mais aussi avec de la rigueur dans les décisions. C’est très important que la corruption soit réduite.
Vous faites référence à Quantum et Sobrinho, mais qu’en est-il de l’affaire BAI, surtout maintenant que les charges contre les membres de la famille Rawat ont été rayées ?
Au début, ça a joué contre le pays. Maintenant, ça date quand même de 2014-2015. On parlait de presqu’un milliard de dollars. Mais je pense qu’il y a eu des décisions trop hâtives. Maintenant, ces cas rayés signifient peut-être que l’instruction n’a pas été menée avec la précision qu’il fallait. Ou alors, c’est qu’il n’y en avait pas, dès le départ. Il est aussi possible que les avocats ont su défendre leurs clients et les magistrats ont appliqué la loi. Actuellement, plusieurs cas sont rayés, non seulement contre l’ancien Premier ministre, mais aussi contre Soornack et la famille Rawat. Tant mieux pour eux, mais il faudrait que les instructions menées par la police soient beaucoup plus rigoureuses.
Ces dernières semaines ont aussi été marquées par la retransmission en direct des travaux parlementaires. Le niveau des députés semble choquer les citoyens. Et vous ?
Je ne regarde pas la télévision aux heures de Parlement, mais la retransmission en direct permet une plus grande ouverture et un meilleur contact entre le public et le Parlement. Notre Parlement est basé sur le modèle britannique. Autrefois, on y respectait les règles de bienséance britanniques. Avec un Speaker comme Vaghjee, beaucoup de règles étaient respectées. Les députés, même s’ils n’étaient pas d’accord entre eux, respectaient l’éthique. Aujourd’hui, ce ne sont plus les mêmes. Je pense qu’il faut retrouver ce style britannique. On peut se dire des choses, mais avec la manière.
Nos députés font preuve de manque de civilité et de diplomatie?
Utiliser des mots grossiers ne mène à rien. Mais il faut de la diplomatie, l’échange doit se faire dans la bonne entente. On peut agree to disagree, comme on dit.
Quel impact cela aura-t-il sur l’image des politiciens et les prochaines élections ?
C’est prématuré. Il ne faut pas tirer de conclusions rapides. Il faudra quelques mois additionnels, cinq ou six, pour que le public puisse se faire une opinion plus objective.
Le regard du public encouragera-t-il les parlementaires à rehausser leur niveau ?
C’est ce que j’espère, sachant que tout le monde observe, tout le monde regarde. Il se pourrait que chacun s’exprime de façon objective et intelligente, surtout dans le calme. Le public donnera son jugement lorsqu’il verra que ce sont toujours les mêmes qui s’expriment mal.
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