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Financement indien - Nouveau Parlement : un «cadeau» et des questions brûlantes

Pour l’heure, les détails du projet de nouveau Parlement pour remplacer celui de Port-Louis restent flous. La construction d’un nouveau Parlement à Heritage City aurait nécessité Rs 2,7 milliards dans un premier temps.
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L’annonce de Narendra Modi sur la construction d’un nouveau Parlement à Maurice suscite des réactions partagées, entre soutien à l’amitié indo-mauricienne et inquiétudes sur les priorités économiques et la souveraineté nationale.

«C’est un beau cadeau... », « Est-ce une priorité ? », « Mainmise sur notre souveraineté ? » Les réactions fusent depuis l’annonce faite le 12 mars dernier par le Premier ministre indien Narendra Modi. À l’occasion des célébrations du 57ᵉ anniversaire de l’Indépendance de Maurice, ce dernier a promis un soutien financier de l’Inde pour la construction d’un nouveau bâtiment parlementaire. « Le Premier ministre, Navin Ramgoolam, et moi, avons décidé d’élever le partenariat Inde-Maurice à un partenariat stratégique renforcé. Nous avons décidé que l’Inde soutiendra la construction d’un nouveau bâtiment pour le Parlement de Maurice. Ce sera un cadeau pour le pays de la part de la Mère de la Démocratie », a déclaré Narendra Modi. 

Une annonce qui n’a pas tardé à diviser l’opinion. D’un côté, cette promesse est saluée comme un symbole de l’amitié indo-mauricienne et un pas vers la modernité institutionnelle. De l’autre, elle suscite une vive polémique : alors que le pays fait face à des défis économiques majeurs, à la montée du coût de la vie et à des problèmes sociaux pressants, fallait-il vraiment un nouveau Parlement ? N’y avait-il pas d’autres priorités pour cette aide financière étrangère ?

Pour l’heure, les détails du projet restent flous : ni emplacement, ni budget, ni échéance précise n’ont été communiqués. Cette absence d’informations concrètes ne fait qu’alimenter la controverse et les interrogations sur la pertinence d’un tel projet face aux défis plus immédiats que connaît la République de Maurice.

La présidente de l’Assemblée nationale, Shirin Aumeeruddy-Cziffra, adopte une position pragmatique face à cette annonce. « Ma priorité est d’assurer que le bâtiment actuel qui abrite le Parlement soit convenable. Certes, il y a quelques soucis, mais ma responsabilité est de faire en sorte que tout se passe bien. J’accueille la proposition du Premier ministre indien, c’est un beau cadeau… », affirme-t-elle.

Ce n’est pas la première fois qu’un déménagement du Parlement est évoqué (voir plus loin). Joe Lesjongard, le leader de l’opposition, rappelle : « Le sujet de la construction d’un nouveau Parlement ne date pas d’hier. En effet, l’ancien gouvernement en avait déjà parlé, sans succès ». Sur la question des priorités nationales, il reste néanmoins évasif : « L’annonce du soutien de l’Inde pour la construction d’un nouveau Parlement est une bonne nouvelle, je l’accueille favorablement, mais est-ce une priorité ? C’est au gouvernement de répondre à cette question ».

Pour Jocelyn Chan Low, historien et observateur politique, ce projet s’inscrit dans une vision plus large de réforme institutionnelle. Dans un proche avenir, fait-il comprendre, il n’y aurait pas 60 députés, mais plus. Ainsi, il estime que l’annonce faite par le gouvernement indien tombe à un moment décisif. « Avec la réforme électorale, il faudra voir plus loin. Avec le nombre conséquent de députés que nous allons avoir, il faudra trouver une solution », commente-t-il.

Il justifie également l’aide étrangère : « Construire un Parlement requiert plusieurs aspects : il y va de la protection du lieu, de la sécurité, car cela demande le respect de certaines normes internationales, et surtout beaucoup d’argent. Maurice fait partie de commissions mixtes, nous avons toujours eu des soutiens financiers de la part d’autres pays, donc pourquoi pas maintenant ? »

Cette vision se heurte cependant aux préoccupations de souveraineté nationale exprimées par Parvez Dookhy, homme de loi et observateur politique : « Dans l’article 1 de notre Constitution, il est clairement mentionné que Maurice est un État souverain et démocratique. Cela va de pair, mais comment se fait-il qu’un pays étranger vienne construire le Parlement ? Cela n’existe pas dans les autres pays ! » 

Sa critique va plus loin, questionnant les implications géopolitiques : « L’Inde a-t-elle une mainmise sur notre souveraineté ? Peut-être, je ne sais pas, mais c’est à l’État, en toute fierté, de construire son propre Parlement ».

Entre pragmatisme institutionnel, considérations diplomatiques, enjeux de souveraineté et priorités socio-économiques, la construction d’un nouveau Parlement cristallise des tensions profondes sur la vision du développement national. En attendant d’éventuelles précisions, le Parlement de Port-Louis continue d’accueillir les débats et décisions qui façonnent l’avenir du pays.

Le coût et la gestion des fonds publics

La question financière est centrale dans ce débat. L’histoire récente des rénovations du Parlement actuel soulève des inquiétudes quant à la gestion des fonds. Entre 2010 et 2012, d’importants travaux ont été réalisés pour un montant initialement estimé à Rs 120 millions, mais qui s’est finalement élevé à Rs 137 millions. Des escaliers refaits pour 4,9 millions de roupies, un consultant payé 1,1 million de roupies... autant d’éléments qui ont suscité des débats sur la gestion des fonds publics.

En 2016, le gouvernement d’alors avait proposé la construction de « Heritage City », un ambitieux projet urbanistique où aurait été érigé un Parlement flambant neuf, accompagné de plusieurs infrastructures administratives, estimé entre 700 et 800 millions de dollars.

Dans son discours budgétaire, le ministre des Finances d’alors, Pravind Jugnauth, avait précisé que la somme de Rs 2,7 milliards serait dédiée à la première phase de Heritage City, pour la construction d’un nouveau Parlement et des bureaux du gouvernement. Il était prévu que cet argent provienne d’une subvention de Rs 12,7 milliards accordée par l’Inde.

Toutefois, ce projet a finalement été abandonné, jugé trop coûteux et mal préparé.

Patrimoine à préserver

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Arrmaan Shamachurn, président de SOS Patrimoine en péril.

L’Hôtel du gouvernement, de style colonial, qui abrite le Parlement, est inscrit au Patrimoine national. Initialement construit en 1729 par Nicolas Maupin et ensuite étendu par Mahé de La Bourdonnais en 1735, il a été remodelé sous le régime anglais par Robert Farquhar pour prendre sa forme actuelle. Il a traversé les époques et accompagné les grandes mutations politiques du pays, de la colonisation à l’Indépendance. 

Le président de SOS Patrimoine en péril, Arrmaan Shamachurn, est catégorique : il faut préserver ce bâtiment, voire le restaurer pour les générations futures. « Le bâtiment qui abrite le Parlement compte deux annexes. Il y a l’ancien et le nouveau, qui, rappelons-le, a été rénové il y a 10 ans. Si l’Inde a l’intention de financer la construction d’un nouveau bâtiment, qu’adviendra-t-il de l’ancien ? Il y a beaucoup de questions depuis cette annonce, car le Parlement n’est pas qu’un simple bâtiment. Il porte en lui toute l’histoire politique de notre nation. Cet endroit est le témoin intemporel de grandes décisions, donc il faut le conserver et non le démolir », souligne-t-il.

Le président de SOS Patrimoine est d’avis qu’il ne doit pas y avoir de zones d’ombre. Il rappelle que parfois, la préservation de nos bâtiments de l’ère coloniale n’est pas respectée. Par exemple, il fait mention de l’ancienne Cour suprême, qui a été laissée à l’abandon à la suite de la construction d’une nouvelle cour. « Nous devons adopter le développement durable. Nous avons une certaine appréhension sur le sujet. Dans les prochains jours, nous enverrons une lettre au PMO pour plus d’éclaircissements », ajoute-t-il.

 

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