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Fermes coralliennes : fin du bouturage, les ONG dénoncent une rupture

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Le gouvernement a suspendu le bouturage corallien dans les lagons, provoquant la colère des ONG. Ces dernières dénoncent un manque de concertation, redoutant un recul dans la restauration marine.

Onde de choc dans le monde de la conservation marine à Maurice. Sans préavis, le Conseil des ministres valide, le 16 mai dernier, une série de mesures visant à suspendre la reproduction de coraux par bouturage dans les lagons. Cette décision met brutalement fin aux activités des fermes coralliennes en mer, malgré des années de travail mené par des ONG locales et des partenaires internationaux.

Le ministère de l’Agro-industrie, de la Sécurité alimentaire, de l’Économie bleue et de la Pêche justifie cette décision par des relevés scientifiques jugés alarmants, photos à l’appui : des taux de survie jugés trop faibles – souvent inférieurs à 10 % -, des structures non conformes, voire abandonnées, présentant des risques pour la navigation. À ses yeux, ces éléments rendent la méthode du bouturage inefficace et problématique (voir plus loin).

Selon Nadeem Nazurally, les photos diffusées par le ministère sont erronées et ne montrent pas la réalité.
Selon Nadeem Nazurally, les photos diffusées par le ministère sont erronées et ne montrent pas la réalité.
Selon Nadeem Nazurally, les photos diffusées par le ministère sont erronées et ne montrent pas la réalité.

Mais cette approche unilatérale ne passe pas. Pour les ONG engagées sur le terrain, à commencer par Eco-Sud, active dans la restauration corallienne depuis 2010, c’est la méthode, plus que le fond, qui pose problème. L’organisation dénonce une absence totale de concertation, d’autant plus surprenante que, deux semaines plus tôt, un atelier national organisé avec le soutien du gouvernement avait justement posé les bases d’une stratégie collaborative (voir plus loin).

Intitulé « L’avenir des récifs coralliens à Maurice », cet atelier avait réuni scientifiques, ONG, communautés côtières, entreprises et représentants de l’État pour définir ensemble une vision partagée : standardiser les pratiques, renforcer la gouvernance, créer un fonds national, et initier de nouvelles collaborations, notamment avec les hôtels. L’objectif : bâtir un modèle de restauration inclusif, transparent et durable.

Problème multifactoriel

Dans ce contexte, le revirement du gouvernement apparaît comme un coup de théâtre. « Il aurait dû y avoir une consultation », déplore Sébastien Sauvage, responsable d’Eco-Sud. Pour lui, l’expérimentation de terrain est indispensable à la compréhension scientifique des récifs : « C’est en faisant de la restauration qu’on apprend. Certaines espèces s’adaptent mieux dans certaines zones. Couper ces projets, 
c’est priver l’île entière de cette connaissance. »

Eco-Sud, soutenue par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et le Fonds d’adaptation depuis 2020, dispose pourtant d’une expertise reconnue : base de données, partenariats techniques, formation de terrain. Et pour son responsable, la problématique dépasse largement la seule question des fermes coralliennes : « Nous faisons de la restauration des coraux depuis 2018. Et la situation ne s’améliore pas parce qu’il y a d’autres facteurs de pollution qui nuisent au projet. On ne peut pas pointer du doigt uniquement les fermes de corail. C’est un problème multifactoriel. »

Il fait comprendre que c’est justement à travers l’action concrète que les ONG accumulent des données utiles. À l’heure où les financements climatiques internationaux exigent des résultats concrets et mesurables, cette rupture de dialogue pourrait bien compromettre une dynamique engagée depuis plus de dix ans. « Pour que ces projets puissent exister, il faut l’appui d’instances internationales. Pour obtenir des ‘grants’, il faut avoir des résultats et une bonne performance. Avec cette décision, tout vient chambouler les projets de nombreuses ONG qui militent pour la restauration de notre système corallien », regrette-t-il.

Vision plus large

Le malaise est partagé par d’autres experts. Nadeem Nazurally, chercheur impliqué dans plusieurs projets de restauration, remet en question les fondements scientifiques de la décision ministérielle. Il juge les photos diffusées dans le communiqué officiel « peu représentatives » et s’étonne de l’absence de publication d’un rapport scientifique transparent. « On ne peut pas tout arrêter sur la base d’images et d’estimations. Où sont les données vérifiables ? Qui a été consulté ? » s’interroge-t-il. Pour lui, certaines structures, loin de nuire, deviennent de véritables refuges pour la faune marine et « participent à la formation de nouveaux écosystèmes ».

Face à cette situation, Eco-Sud a écrit au Premier ministre pour réclamer une rencontre urgente. Elle appelle à réintégrer les ONG dans le processus décisionnel. « La restauration ne suffit pas, insiste Sébastien Sauvage. Il faut une vision plus large, impliquant aussi la modélisation scientifique, la planification spatiale marine, l’analyse génétique, et surtout, la participation des communautés locales. » Pour lui, « il faut aller au-delà des actions symboliques. La résilience climatique de nos lagons dépendra de notre capacité à travailler ensemble, sur la base des données, du terrain et de l’écoute mutuelle ».

Le gouvernement opte pour une nouvelle stratégie de restauration

Le 16 mai dernier, le Conseil des ministres a adopté une série de mesures destinées à renforcer la protection des récifs coralliens mauriciens. Cette décision fait suite à un audit scientifique mené par le ministère de l’Agro-industrie, de la Sécurité alimentaire, de l’Économie bleue et de la Pêche, en collaboration avec l’Albion Fisheries Research Centre.

Les résultats sont jugés alarmants : dans les fermes coralliennes autorisées, les taux de survie des boutures de corail varient généralement entre 0 et 10 %, avec de rares cas atteignant 30 %. Or, selon les experts, nombre de ces coraux auraient eu de meilleures chances de survie s’ils étaient restés dans leur habitat naturel. L’audit a également révélé des abus liés à l’usage des permis, la prolifération de structures illégales, ainsi que l’abandon de certaines installations devenues dangereuses pour les usagers du lagon.

Face à ces constats, le gouvernement a décidé de suspendre la reproduction des coraux par bouturage à l’aide de structures en mer. Une page se tourne donc pour les fermes coralliennes.

Toutefois, l’État affirme son engagement envers la préservation des océans, conformément à l’Objectif de développement durable (ODD) n°14 de l’ONU. Il encourage désormais des méthodes de restauration plus innovantes, telles que la reproduction sexuée, jugée plus durable et moins invasive. Le ministère s’engage également à accompagner les ONG et citoyens dans cette transition, tout en exigeant le retrait progressif des structures existantes dans les lagons.

Contrairement aux photos publiées par le ministère, sur celles-ci, capturées par le chercheur Nadeem Nazurally, les coraux se portent bien.
Contrairement aux photos publiées par le ministère, sur celles-ci, capturées par le chercheur Nadeem Nazurally, les coraux se portent bien.
Contrairement aux photos publiées par le ministère, sur celles-ci, capturées par le chercheur Nadeem Nazurally, les coraux se portent bien.

Stratégie nationale pour les récifs : une feuille de route concertée

Le rapport issu de l’atelier multi-acteurs organisé par Eco-Sud le 2 mai 2025 pose les fondations d’une stratégie nationale cohérente de restauration des récifs coralliens à Maurice. Cette rencontre, réunissant chercheurs, ONG, autorités publiques, communautés côtières et acteurs économiques, a permis de dégager un socle commun de priorités et d’actions concrètes à court, moyen et long terme.

Au cœur des recommandations figure l’élaboration d’un plan d’action opérationnel à l’échelle nationale, reposant sur une cartographie des intervenants, une clarification des rôles, ainsi qu’une coordination renforcée entre les parties prenantes. Pour accompagner cette dynamique, les participants ont plaidé pour la création d’un cadre réglementaire adapté, incluant notamment des zones d’exclusion temporaire destinées à favoriser la régénération naturelle des récifs.

Le volet financier a également été jugé central. La création d’un fonds national de restauration, soutenu par l’État, les partenaires internationaux et les acteurs du secteur privé, notamment les hôteliers, apparaît comme un levier essentiel pour garantir la viabilité des projets sur le long terme.

Sur le terrain, la diversification des méthodes (notamment la reproduction sexuée), le développement de nurseries terrestres et la formation continue des acteurs sont identifiés comme des conditions indispensables à la réussite.

Enfin, le rapport insiste sur une implication active des communautés locales via des programmes d’éducation et de sensibilisation, afin d’ancrer les initiatives dans la durée.

Cette feuille de route, fruit d’une large concertation, a pour ambition de faire de Maurice un modèle régional en matière de restauration marine. Mais une incertitude demeure : sera-t-elle prise en compte par les autorités décisionnaires ?
 

  • Nou Lacaz

 

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