
Il faut savoir gérer, sinon cela vous éclate au visage. Et c’est ce qui se passe au sein de ce gouvernement ayant remporté haut la main une victoire de 60-0 et qui peut s’avérer un cadeau empoisonné pour le régime en place, selon Faizal Jeerooburkhan de Think Mauritius.
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Votre analyse du présent régime après 10 mois d’un tonitruant 60-0 ?
Il était déjà évident que le 60-0 représentait un cadeau empoisonné, car une démocratie ne peut véritablement fonctionner sans une opposition forte et constructive. Cependant, après dix années de gouvernance chaotique sous le précédent gouvernement, les attentes postélectorales de la population étaient à leur apogée, particulièrement après les nombreuses promesses électorales de l’Alliance du Changement, qui rivalisaient avec celles proposées par l’Alliance de l’Avenir.
Dix mois après l’entrée en fonction, le bilan du gouvernement actuel semble en demi-teinte. Toutefois, au regard des contraintes macroéconomiques, sociales, environnementales et administratives héritées de l’ancien régime, les marges de manœuvre étaient étroites. Malgré cela, plusieurs avancées notables ont été réalisées, notamment en matière de gouvernance, de démocratie, d’économie, de finances publiques, de la lutte contre la criminalité financière et le trafic de drogue, ainsi que dans le renforcement de l’indépendance et le bon fonctionnement des institutions, y compris du Parlement.
Cependant, sur d’autres aspects, le bilan reste plus contrasté, voire négatif. On peut citer, entre autres, les nominations à caractère politique, le népotisme, les promesses électorales non tenues, la lenteur dans la prise de décision et l’administration, ainsi qu’un manque évident de consultation, de dialogue et de communication avec la population et les forces vives de la nation.
Il est évident que la pension de vieillesse à 60 ans n’était pas soutenable à long terme et devait être repoussée à 65 ans, comme dans plusieurs autres pays»
Les promesses qui ont été faites et non des moindres, sont-elles encore réalisables et réalistes ?
Certaines promesses préélectorales de l’Alliance du Changement apparaissaient d’emblée irréalistes, voire totalement intenables. Toutefois, animés par la volonté manifeste de sanctionner le précédent régime, les électeurs ont choisi de voter contre ce dernier plutôt que véritablement pour l’Alliance du Changement. Malheureusement, la désillusion n’a pas tardé : nombre de ces engagements ont rapidement été relégués aux oubliettes, en raison d’une situation économique chaotique, aggravée par les avertissements des agences de notation telles que Moody’s, brandis telle une épée de Damoclès au-dessus de notre tête.
Ainsi, les promesses de congés de maternité étendus, de médicaments gratuits, de doublement des pensions pour les veuves et les personnes âgées invalides, de suppression de la taxe sur les pensions, ou encore de la mise en place d’un Senior Officials Appointment Committee, se sont évaporées. À l’inverse, des mesures absentes de leur programme électoral, comme le report de l’âge de la pension de vieillesse à 65 ans pour y être éligibles, ont été imposées sans aucune consultation ni négociations avec les forces vives, suscitant une forte tension sociale au sein de la population.
Est-ce que ce serait la surenchère du MSM qui a promis monts et merveilles que l’Alliance du Changement a été poussée à renchérir ?
C’est certainement la surenchère du MSM qui a poussé l’Alliance du Changement à renchérir. Le MSM croyant pouvoir tout acheter avec de l’argent venant des fonds publics et de son « War chest » colossal est à la base de ce renchérissement. C’est grâce à la capacité de discernement de notre peuple admirable qui a su éviter avec intelligence le piège tendu par le MSM, que le pays est parvenu à s’échapper des griffes de la mafia.
Depuis le State of the Economy, le gouvernement avance qu’il ne s’attendait pas à des caisses totalement vides. Démagogique de sa part ou alors y aurait-il une part de verité dans les chiffres ?
N’étant pas économiste, c’est difficile pour moi de me prononcer sur la véracité du State of the Economy. Mais en me basant sur les indicateurs macro-économiques préélectoraux tels que la dette publique, le déficit budgétaire, la balance commerciale déficitaire aussi bien que la situation financière de la Banque de Maurice, la MIC, la CSG, Air Mauritius etc, je peux définitivement affirmer que les caisses de l’État n’étaient pas bien garnies, pour ne pas dire vides.
Certaines promesses préélectorales de l’Alliance du Changement apparaissaient d’emblée irréalistes, voire totalement intenables»
La réforme pour une égibilité de la pension de retraite repoussée de 60 à 65 ans. Serait-ce une erreur de casting qui pourrait coûter cher au gouvernement ?
En se basant sur les chiffres officiels disponibles concernant le vieillissement de la population, la chute du taux de natalité, l’émigration des jeunes et le ratio personnes actives/pensionnés en chute, il est évident que la pension de vieillesse à 60 ans n’était pas soutenable à long terme et devait être repoussée à 65 ans, comme dans plusieurs autres pays. Cela a été confirmé par plusieurs actuaires chevronnés qui ont analysé la problématique. Cependant, cette réforme a été mise en œuvre dans la précipitation, sans consultation préalable avec les parties prenantes, ni dialogue avec les syndicats. Aucune campagne de communication n’a été menée pour sensibiliser la population à la gravité de la situation économique, chiffres à l’appui. Ce manque de préparation de l’opinion publique a nourri la méfiance et la colère des citoyens, provoquant une véritable fracture avec la société. La contestation a émergé non seulement des personnes directement concernées, mais aussi des forces vives et même de certains élus de la majorité, qui ont exprimé leurs réserves et regretté l’absence de concertation et de pédagogie autour de cette réforme.
Après 1982, le tout premier 60-0, vivrait-on une autre cassure d’un gouvernement plébiscité par tout un peuple ?
Deux éléments méritent d’être pris en considération. D’une part, dans une alliance politique, les tensions entre partenaires sont presque inévitables. L’Alliance du Changement regroupe, en effet, des partis hétérogènes, porteurs de cultures politiques et d’aspirations divergentes. Chaque formation cherche à maximiser son influence et à défendre son électorat. Les rivalités naissent ainsi de l’entrecroisement d’ambitions personnelles, d’intérêts partisans, d’enjeux électoraux, de luttes d’influence, mais aussi de pressions d’ordre communautaire et casteiste.
D’autre part, le 60-0, s’il est mal géré, peut également devenir une source d’instabilité politique. En l’absence d’une opposition parlementaire, la contestation tend à se déplacer à l’intérieur même de l’alliance au pouvoir. Dans ce contexte, une rupture au sein du gouvernement à tout moment ne saurait être exclue.
La protestation vient principalement de la rue, car le peuple se sentirait trahi de part des projets de société promettant presque la lune et les étoiles… Votre opinion.
Je ne pense pas que la contestation émane véritablement de la rue, car il n’y a pas eu de grandes foules exprimant leur indignation, comme ce fut le cas avec Bruneau Lautrette dans les rues de Port-Louis. Cette opposition provient principalement des syndicats, des forces vives du pays et des petits partis politiques, lesquels ont malheureusement été marginalisés lors de la dernière joute électorale. Les désaveux s’expriment surtout sur les réseaux sociaux, où les internautes laissent libre cours à leurs sentiments instinctifs plutôt qu’à une réflexion profonde.
Les allégations ont plu entre Rama Sithanen, gouverneur de la Banque de Maurice, et Gérard Sanspeur. Quel effet pour notre pays sur le plan financier ? Est-ce que Moodys ne mettra pas son nez dans ce climat délétère ?
Ce climat toxique à la BOM portera sans doute atteinte à la crédibilité et à l’image du pays, qui repose sur la stabilité et la bonne gouvernance. Ces querelles publiques entre décideurs économiques de premier plan peuvent attiser la méfiance des investisseurs et des institutions internationales comme la Banque Mondiale et le FMI qui nous surveillent en permanence. Les grandes agences de notation comme Moody’s pourraient certainement prendre des sanctions qui se révèleront graves pour notre économie. Cette situation peut même avoir un impact négatif sur la roupie mauricienne et sur les entrées des capitaux étrangers.
L’affaire du ‘Reward Money’ illustre bien un système aux allures mafieuses, mis en place pour détourner l’argent public à des fins personnelles»
Le PM a tranché sans peur, sans jeu de mot : Gérard Sanspeur est out, alors que le leader du MMM cherchait le scalp du no 1 de la BoM. Serait-ce une guerre des tranchées entre les deux hommes forts de l’Alliance du Changement ?
Le Premier ministre n’avait pas d’autre choix. La Banque de Maurice est l’autorité monétaire du pays et son rôle est essentiel pour assurer la stabilité financière, ainsi que la crédibilité de l’économie nationale. Même si le leader du MMM réclamait la tête du numéro un, le chef du gouvernement devait avant tout préserver la stabilité d’une institution aussi stratégique. Il a donc choisi de ne pas destituer le gouverneur de la Banque de Maurice, mais plutôt d’inviter le Second Deputy Governor à démissionner. S’il existe une véritable guerre des tranchées entre ces deux poids lourds du pays, ils doivent s’efforcer de trouver un terrain d’entente et éviter d’exposer leurs différends sur la place publique (ce qui n’est plus le cas, ndlr). C’est la condition pour prévenir une rupture de l’alliance et sauvegarder le peu de capital politique qu’ils ont accumulé après plusieurs années passées loin du pouvoir.
Paul Bérenger n’a pas hésité à dire tout haut ce qu’il pensait de certaines nominations, pourtant son gendre avait été choisi pour être à la tête de AHL et s’est désisté après un tollé. On reprend les mêmes habitudes de nommer les petits copains ?
En validant le choix initial de son gendre pour prendre la direction d’AHL, tout en critiquant d’autres nominations, Paul Bérenger démontre qu’il s’est éloigné des principes et des valeurs qui faisaient jadis la force du MMM. Sans la moindre gêne, il reproduit exactement ce qu’il reprochait à l’ancien régime en matière de népotisme. Pire encore, Paul Bérenger semble adopter une tendance dynastique en plaçant sa fille, son gendre et sa belle-sœur à des postes stratégiques. Ceux qui s’attendaient à ce qu’avec l’âge il incarne davantage la sagesse, la probité et l’intégrité ont rapidement déchanté.
Le PTr a nommé un cacique du PMSD comme ambassadeur de Maurice à Paris en la personne de M. Rault. Navin Ramgoolam prépare-t-il un matelas de rechange au cas où le MMM se désisterait du GM ?
La nomination d’un membre du PMSD au poste d’ambassadeur de Maurice à Paris peut être perçue comme une stratégie du Parti travailliste visant à se rapprocher de cette formation politique. Si tel est le cas, il s’agirait là d’une politique de bas étage, où les principes de bonne gouvernance et les valeurs comme la confiance et la fidélité sont sacrifiés au profit de manœuvres partisanes et sournoises. Toutes les belles promesses faites durant la campagne électorale n’auraient alors été que de simples paroles en l’air.
Lindsay Rivière, observa-teur politique, a dit que le PMSD a toujours eu une porte ouverte, un lit pour dormir, pour le reprendre, au sein du PTr, car ils ont toujours été des alliés dits naturels. Et si c’était le cas ?
Fin observateur politique, Lindsay Rivière a sans doute raison. Si tel est le cas, comment accorder encore sa confiance à ces partis politiques traditionnels qui ont tissé des alliances sous toutes les formes et avec toutes les combinaisons possibles, pour finir dans des ruptures spectaculaires ? Leur discours est à géométrie variable, animé par un seul objectif : conquérir le pouvoir et le conserver le plus longtemps possible. Dans l’opposition, ils se présentent comme des défenseurs du peuple, mais une fois aux affaires, ils n’hésitent pas à dilapider les fonds publics, à les détourner au profit de leurs clans et à vampiriser l’État.
Hormis certains dossiers qui peuvent faire tache, celui-ci pose des questions : la nomination des Senior Counsels et Senior Attorneys. Il y a contestation en cour. Sans ‘preampt’ de la décision justiciaire, ne serait-il pas souhaitable de rendre publiques les deux listes : celle proposée par la chef juge et celle du président de la République, pour voir s’il y aurait eu manipulation ?
La transparence et la séparation des pouvoirs — exécutif et judiciaire — sont essentielles pour maintenir la confiance du public dans la justice et, plus largement, dans les institutions de l’État. S’agissant de la nomination des Senior Counsels et des Senior Attorneys, il est anormal, et même inacceptable, que deux listes distinctes et séparées existent : l’une proposée par la cheffe juge et l’autre par le président de la République. Il est impératif que ces deux listes soient rendues publiques afin de démontrer à la nation qu’aucune manipulation n’a eu lieu et que les contestations en cours sont infondées.
La Financial Crimes Commission est submergée par des dossiers complexes concernant le Reward Money. Durant ces dernières années, ces sommes sont astronomiques, serait-ce normal qu’il n’y ait pas de tracabilité ?
L’affaire du Reward Money illustre bien un système aux allures mafieuses, mis en place pour détourner l’argent public à des fins personnelles. Ce dispositif souffre d’un grave déficit de transparence, de procédures floues et de risques évidents d’abus. Il mine la confiance du public envers les forces de l’ordre et risque même de décourager les véritables informateurs de collaborer. L’absence d’une loi protégeant les lanceurs d’alerte, de cadre juridique et institutionnel clair, ainsi que de critères et de procédures transparents pour l’octroi des récompenses et la garantie de l’anonymat des informateurs a conduit à cet imbroglio sans traçabilité. Il est indispensable de mettre en place un comité indépendant, composé de représentants du pouvoir judiciaire, de la société civile et de la police, chargé de statuer sur l’éligibilité des lanceurs d’alerte et sur les montants à leur verser. Cette structure permettrait de prévenir les abus et les conflits d’intérêts.
Il y a des arrestations de la part de la FCC, mais pour reprendre Roshi Badhain, il faut les soutenir en cour avec des preuves. Est-ce que ces différentes arrestations et les dossiers ne vont pas pourrir dans des tiroirs comme sous la défunte Icac ?
La FCC a montré qu’elle n’est pas un bulldog édenté comme l’Icac. Elle travaille d’arrache-pied sur plusieurs dossiers en parallèle afin de rassembler les preuves et de procéder aux arrestations. Son mode de fonctionnement se distingue par la rigueur et l’efficacité. Une fois les enquêtes bouclées, il appartient au judiciaire de prendre le relais. Espérons que ce dernier ne laissera pas ces dossiers dormir dans un tiroir pendant des années.
On constate que la société civile donne de la voix, hormis les syndicalistes. Est-ce une bonne chose pour notre société ?
C’est assurément une bonne chose que la société civile joue son rôle de chien de garde et fasse entendre ses revendications. En agissant de la sorte, elle contribue à promouvoir la démocratie, la méritocratie, la bonne gouvernance et la transparence, avec pour effet de favoriser le développement économique et social du pays, ainsi que l’amélioration de la qualité de vie des citoyens.
Concernant la société civile, la plupart de ceux qui disaient haut ce que beaucoup pensaient tout bas ont été nommés à plusieurs postes. Est-ce que le tandem Ramgoolam/Bérenger voudait museler les ‘grandes gueules’ et les empêcheurs de danser en rond ?
La nomination de certaines personnalités tapageuses et bruyantes à divers postes pourrait être interprétée comme une stratégie visant à museler les « grandes gueules » et ceux susceptibles de résister. N’étant pas dans le secret des dieux, il demeure toutefois difficile de formuler une opinion réellement fondée.

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