Monde

"Faites vos jeux" : le Japon veut toucher le jackpot avec les casinos

Un étudiant s'entraîne au baccara dans une école de croupiers, la Japan Casino School (JCS), à Tokyo le 6 juin 2018

Takuto Saito, 24 ans, n'a jamais mis les pieds dans un casino mais il apprend l'art de la roulette au sein d'une école de croupiers de Tokyo qui a vu affluer les candidatures depuis que le Japon a décidé de légaliser les casinos. Dans les locaux, une bannière salue cette nouvelle ère débutée il y a deux ans. Le jeune homme à l'allure d'adolescent, tee-shirt à capuche et pantalons décontractés, prend place derrière une table recouverte d'un tapis vert de jeu et chuchote les formules rituelles à l'adresse d'invités imaginaires.
Il a commencé en avril un programme d'un an dans cet établissement fondé en 2004 pour former des Japonais au métier avant qu'ils ne partent travailler à l'étranger. La "Japan Casino School" (JCS), qui compte actuellement 100 étudiants, a connu des hauts et des bas au gré des débats dans la classe politique. Mais depuis le changement législatif mettant fin à l'exception japonaise, les inscriptions se sont envolées. "Nous observons un élan sans précédent, notre nombre d'élèves a doublé depuis l'an dernier", témoigne le directeur Masayoshi Oiwane, lui-même ancien croupier sur un navire.
Parmi les nouvelles recrues, Takuto Saito travaille dur pour maîtriser les règles du baccara, de la roulette ou du blackjack. "J'aime observer les attitudes des joueurs" et l'atmosphère de tension qui se noue autour des tables", raconte-t-il. L'élève studieux apprend aussi les codes de la profession, ouvrant ses paumes de main sous les yeux de caméras de vidéosurveillance fictives pour prouver qu'il n'a rien caché dans ses manches. C'est en jouant au poker en ligne que lui est venue l'idée de se reconvertir dans ce secteur, alléché par les perspectives après avoir enchaîné des petits boulots.
"J'aimerais engranger de l'expérience ailleurs et revenir" au Japon une fois les premiers casinos ouverts "afin éventuellement de superviser une équipe de croupiers", explique-t-il. Mardi, la Chambre des députés a voté un texte fixant les modalités concrètes d'implantation des casinos. Ils seront intégrés dans des complexes de loisirs, qui comprendront également des centres de conférences, hôtels, restaurants, théâtres et autres lieux de divertissement, sortes de Las Vegas ou Macau à la nippone.
Dans un Japon vieillissant à l'économie poussive, le gouvernement voit là un potentiel formidable, espérant attirer voyageurs d'affaires et touristes au-delà des jeux Olympiques de Tokyo 2020. L'archipel fait figure de Graal pour les exploitants de casinos avec le flux croissant de touristes chinois et un engouement de nombreuses franges de la population pour les jeux. Les économistes projettent un marché annuel de 2.000 à 3.700 milliards de yens (de 15 à 28 milliards d'euros), une manne dont l'Etat et les collectivités locales récolteront une grosse part: les recettes des casinos seront taxées à hauteur de 30%.
"Un seul de ces complexes de loisirs pourrait créer des dizaines de milliers d'emplois directement ou indirectement, et aura certainement un grand impact sur l'économie locale", assure Toru Mihara, professeur à l'université de Commerce d'Osaka. Le temps d'attribuer les licences d'exploitation et de construire les sites, les premiers casinos ne verront pas le jour avant cinq ou six ans, selon les experts. Dans un premier temps, seuls trois établissements seront autorisés.
Ils viendront s'ajouter aux 10 000 salles de "pachinko" et "pachislo", des billards verticaux ou sortes de bandits manchots qui existent depuis des décennies et sont particulièrement populaires: elles totalisent des recettes de 21 600 milliards de yens (166 milliards d'euros), pour 3,2 millions de joueurs assidus qui reçoivent des gains en nature. Les Japonais sont aussi avides de courses de hors-bords, motos, chevaux et vélos, de paris de football et de loterie, un marché de 5 000 milliards de yens.
Pour éviter que ne s'aggrave le fléau de l'addiction, la loi sur les casinos prévoit un droit d'entrée de 6 000 yens pour les résidents de l'archipel et limite le nombre de visites à dix par mois. Mais ce n'est pas suffisant, argue Noriko Tanaka, chargée d'un groupe qui travaille avec des personnes dépendantes au jeu. Aucun siège n'est réservé à des spécialistes du sujet dans les commissions des casinos, les joueurs sans le sou pourront facilement se faire accorder des rallonges et aucun engagement financier n'est pris pour traiter l'addiction, déplore-t-elle.
Sans compter le risque de voir les yakuzas (la pègre japonaise) s'en mêler.

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AFP / Photo : Martin BUREAU

 

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