Société

Facebook: un tribunal populaire

Rien n’échappe aux internautes qui passent au criblel’actualité. Ils ne ratent aucune occasion de faire valoir leur point de vue sur les manquements et les erreurs d’autrui, particulièrement ceux représentant l’autorité. Facebook, semble-t-il, est aujourd’hui, devenu une plateforme pour juger et condamner. On ne manque pas de créativité au rayon des commentaires sur Facebook. Les amateurs de réseaux sociaux ont plusieurs cordes à leur arc. Ils touchent à tout et rien n’est laissé au hasard. Fonctionnant comme dans une entreprise de presse moderne, ces internautes, véritables as du multimédia, postent des images et partagent des articles à la vitesse de l’éclair. Un policier qui abuse de son autorité, un mauvais service client ou l’erreur d’un membre du gouvernement sont parmi les sujets de prédilection souvent débattus. Le modus operandi est simple. Il suffit de poster, sur des pages Facebook très populaires, des photos ou des vidéos. Les suspects sont ainsi livrés en pâture à un tribunal populaire.

L’actualité commentée

La situation politique est massivement commentée sur Facebook. Les magistrats et les jurés virtuels sont à l’affût de l’actualité. Que ce soit pour la convocation des parlementaires Raj Dayal et Vishnu Lutchmeenaraidoo à l’Independent Commission against Corruption (Icac) ou la détention du Parliamentary Private Secretary Thierry Henry, les amateurs de Facebook ne prennent pas de repos. Par ailleurs, le jour du double meurtre de Camp-de-Masque-Pavé, survenu le vendredi 26 février, les commentaires fusaient de toutes parts sur le réseau social.

Ce que dit la loi

Tout n’est pas permis sur les réseaux sociaux. À Maurice, l’utilisation d’Internet et de gadgets technologiques sont régis par l’Information and Communication Technologies Act 2001. Sous l’article 46 (h), il est stipulé que toute personne qui utilise Internet ou, par extension, un réseau social dans le but de nuire à la réputation d’une autre commet un délit. Le contrevenant est passible d’une amende ne dépassant pas Rs 1 000 000 et d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas cinq ans.

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[row custom_class=""][/row] Avant même que les enquêteurs et la police scientifique n’aient eu le temps de faire les premières spéculations, les internautes s’en étaient chargés à leur place. Plusieurs photos circulaient sur la Toile, dont celles des victimes et de leurs proches.

Un internaute s’est même évertué à prendre la défense du suspect en postant des commentaires insultants sur une des victimes. Des captures d’écran de cet internaute ont été partagées à maintes reprises. Dans certains posts, il était même pris pour le suspect. Ces deux exemples ne sont que quelques-uns parmi tant d’autres. Rien n’échappe à l’œil des internautes. Pour notre enquête, nous tombons sur des posts les uns plus surprenants que les autres. Si, autrefois, on se tournait vers des autorités pour dénoncer les abus ou les manquements, aujourd’hui, on le fait d’abord sur Facebook. Insatisfait du service-client d’une compagnie très fréquentée par les étudiants de l’université de Maurice, un internaute a posté sur sa page les détails croustillants de son mécontentement illustrés par des clichés.

Plateforme d’expression

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"14935","attributes":{"class":"media-image wp-image-25004","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"350","height":"275","alt":"Christina Chan Meetoo."}}]] Christina Chan Meetoo.

Facebook est aujourd’hui une agora, estime Christina Chan Meetoo, experte en communication. « Il ne s’agit pas d’une nouvelle tendance, mais ce qui est nouveau, c’est la vitesse à laquelle se propagent facilement les idées et les opinions. C’est un espace public où chacun peut partager des informations et exprimer des opinions, des plus triviales aux plus sérieuses. » L’experte en communication souligne que les décideurs politiques et économiques sont les plus vulnérables aux critiques sur Facebook. « Par définition, ces derniers sont des personnes publiques. Ils doivent accepter d’être exposés à la critique populaire. Jusqu’à tout récemment, cela se faisait majoritairement à travers plusieurs filtres via les médias, entre autres. Ces méthodes limitent la possibilité pour le public de réagir, de commenter et de débattre réellement. Avec les réseaux sociaux, ces filtres sont réduits. Chacun peut poster son opinion sur sa propre page et certaines opinions peuvent devenir rapidement virales. En quelque sorte, c’est un élargissement de l’espace démocratique, même si on peut avoir des réserves sur la qualité des échanges. »

«Mieux vaut éduquer»

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"14936","attributes":{"class":"media-image aligncenter size-full wp-image-25005","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1280","height":"720","alt":"Facebook"}}]]Notre intervenante soutient que Facebook a aussi un revers. Ce sont les citoyens ordinaires impliqués dans les faits divers qui en font souvent les frais, selon Christina Chan Meetoo. « Ces derniers sont vulnérables. La foule peut avoir des comportements irrationnels et immatures. Certains portent atteinte à la vie privée de ces personnes et les lynchent virtuellement. Ces citoyens qui n’ont jamais demandé à être sous les projecteurs. Pis, ils ont rarement les moyens de se défendre légalement, financièrement et intellectuellement, contrairement aux décideurs politiques et économiques. » Faut-il pour autant censurer Facebook ? Ce n’est pas l’avis de Christina Chan Meetoo. « Il ne serait pas bon de censurer. Car la censure donne toujours lieu à des dérives totalitaires. Mieux vaut éduquer à la courtoisie, au respect de l’autre et des lois, à l’éthique, y compris pour la question de la présomption d’innocence, entre autres. »  

Le réseau social, un « exutoire »

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"14937","attributes":{"class":"media-image wp-image-25007","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"350","height":"449","alt":"Catherine Boudet."}}]] Catherine Boudet.

La popularité des échanges sur Facebook relève d’un manque de plateformes d’expression publique. C’est ce que soutient Catherine Boudet, membre du Parlement Populaire. Celle-ci souligne que les réseaux sociaux jouent un rôle important dans l’expression de l’opinion citoyenne, surtout dans le contexte démocratique, selon une étude. « Il y a définitivement une carence en des lieux d’expression. Le public dans une société démocratique a le droit à la critique positive et au jugement. Nous devons être libres de commenter ou de débattre des sujets d’actualité auxquels nous sommes directement concernés. Cela est possible uniquement sur les réseaux sociaux. Bien que virtuelle, cette plateforme permet la formation des groupes de discussion très actifs. » Catherine Boudet soutient également que ce réseau social est un exutoire, surtout en ce qui concerne les animosités liées aux actualités. « Les gens ont besoin de libérer les ressentis. Il y a en ce moment une grande frustration, surtout pour ce qui est de la politique. Toute cette frustration doit être relâchée quelque part. L’insatisfaction est en grande partie la cause de ces ressentis. » Et d’ajouter qu’il y a quand même des limites à ne pas franchir. « Il y a des paramètres à respecter. La liberté d’expression n’est pas un prétexte pour la diffamation. Les conversations peuvent facilement être tournées en dérision. C’est alors le rôle des autorités de veiller à ce qu’il n’y ait pas de débordements. On a beaucoup parlé d’une police sur Facebook. Sa mise en œuvre serait une bonne chose. On ne parle pas de répression, mais d’éviter qu’il y ait des abus. »

Témoignages

Ravin, 29 ans: «Ils ont terni ma réputation»

« Ce n’est pas évident de voir sa vie privée étalée sur Facebook », lance Ravin. Ce jeune homme de 29 ans a vécu une mauvaise expérience sur ce réseau social après une rupture amoureuse. « Mon ex a posté des commentaires dégradants sur moi sur une page Facebook très fréquentée. Très vite, des internautes ont commencé à réagir. Certains m’ont traité de tous les noms. D’autres ont proféré des insultes et des menaces. Comme la plupart de leurs comptes étaient anonymes, il m’était très difficile de me défendre, ne sachant pas qui se cachait derrière ces faux profils. Ils ont mis mon nom et y ont attaché certaines de mes photos », confie Ravin. Comme rien n’est laissé au hasard sur Facebook, les commentaires ont été partagés à d’autres personnes. « Ils ont terni ma réputation. Je ne voulais pas porter plainte, car j’estimais que j’allais encore une fois être la risée de ces gens mal intentionnés. J’ai eu beaucoup de mal à refaire surface. Cette mésaventure me suivait partout où j’allais, même dans mon travail. Depuis cette mauvaise expérience, je me fais le plus discret possible sur Facebook. J’ai modifié les paramètres de mon compte. Mais il est difficile de se protéger à 100 % », affirme  le Facebooker.

Melissa, 33 ans: «Je me suis sentie impuissante»

On prend des années pour se construire une réputation, mais tout porte à croire qu’avec Internet, quelques heures suffisent à l’anéantir. C’est en tout cas ce qu’a vécu Melissa. Cette jeune cadre de 33 ans confie que Facebook lui en a fait voir de toutes les couleurs. « Il y a un an, je suis allée à une fête avec mes amies. On avait toutes décidé de nous mettre sur notre 31 et de faire la fête jusqu’à fort tard. Comme prévu, on s’est bien amusé et je suis rentrée chez moi heureuse comme tout. Or, le lendemain, dès que je me suis rendue au bureau, j’ai compris qu’il y avait quelque chose qui clochait. C’est ma meilleure amie qui m’a montré les photos qui avaient été postées sur Facebook. Un invité avait mis les photos où nous consommions de l’alcool et dansions sans se soucier de personne. Or, les commentaires qui suivaient étaient vraiment désagréables, du genre : ‘Comment peut-elle se comporter ainsi ?’ ; ‘Elle doit avoir un amant’.  Les commentaires étaient de plus en plus dégradants, allant même jusqu’à dire que ce sont les femmes qui se comportent ainsi qui encouragent le viol », relate Melissa. La trentenaire avance qu’elle a dû porter plainte et désactiver son compte Facebook le même jour. « Je me suis sentie impuissante. En effet, certains utilisateurs se permettent de nous juger sans même nous connaître ou comprendre le contexte. Cela m’a bouleversée pendant plusieurs jours. »

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