Les débats à la Chambre des lords ont porté sur les droits des Chagossiens déplacés, la sécurité de la base et la gestion du fonds destiné aux habitants concernés.
À la Chambre des lords, le débat sur le projet de loi relatif à la base militaire de Diego Garcia et à la rétrocession de l’archipel des Chagos à Maurice a pris, dans la nuit de mardi à mercredi, une tournure passionnée. Au deuxième jour d’examen en commission, les Lords ont disséqué les implications du traité cédant la souveraineté des îles Chagos à Maurice, tout en préservant l’usage militaire de Diego Garcia pour le Royaume-Uni et les États-Unis. Le débat a souligné les tensions d’un legs colonial : le sort des Chagossiens, déplacés de force il y a un demi-siècle, et les garanties sécuritaires d’une base stratégique. Il révèle un clivage entre le gouvernement travailliste, pressé d’entériner l’accord, et une opposition conservatrice et unioniste nord-irlandaise, soucieuse de corriger les injustices historiques.
Le traité, signé en mai dernier entre Londres et Port-Louis, prévoit un loyer annuel de 101 millions de livres sur 99 ans pour l’usage de Diego Garcia, ainsi qu’un fonds de 40 millions de livres pour les Chagossiens. Ratifié par la Chambre des communes en octobre après un examen rapide, il attend l’aval des Lords pour entrer en vigueur. Les amendements discutés visent à suspendre l’application des clauses principales (2 à 4) jusqu’à des négociations supplémentaires sur l’emploi des Chagossiens, la gestion du fonds et la protection de la base contre d’éventuelles ingérences.
Au cœur des échanges, les droits des Chagossiens – environ 2 000 personnes expulsées entre 1968 et 1973 – ont cristallisé les critiques. Lord Callanan (conservateur) a dénoncé l’absence de dispositions pour leur emploi sur la base, contrairement aux droits accordés aux Mauriciens par l’article 10 du traité. « Le traité prévoit l’emploi des Mauriciens, mais rien pour les Chagossiens », a-t-il affirmé, soulignant la crainte que les déplacés soient traités en « citoyens de seconde zone ».
Il a évoqué un Trust Fund géré par Maurice, financé par Londres, sans contrôle britannique, rappelant un précédent fonds de 4 millions de livres des années 1970 jugé mal géré. « Avons-nous des assurances pour éviter la mauvaise gestion ou la corruption ? » a interrogé Lord Callanan, appelant à un rapport parlementaire avant l’entrée en vigueur.
Baroness Foster of Aghadrumsee (non affiliée), soutenue par la communauté chagossienne au Royaume-Uni, a dénoncé un effacement identitaire : des certificats de naissance remplaceraient « Diego Garcia » ou « Peros Banhos » par « Maurice ». Selon elle, cette pratique viole le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et les principes des Nations unies sur le déplacement interne. Son amendement 50A exige une intervention diplomatique britannique pour préserver ces archives, avec un rapport annuel au Parlement. « Les Chagossiens ont été expulsés une fois, leurs maisons détruites. Ce qu’ils demandent aujourd’hui, c’est la vérité sur leur identité et leur lieu de naissance », a-t-elle plaidé.
Lord Hay of Ballyore et Lord Weir of Ballyholme ont soutenu ces revendications. L’amendement 38A de Lord Hay propose des vols charters limités pour les Chagossiens britanniques vers Diego Garcia, sans perturber les opérations de la base. Lord Weir, cosignataire, a regretté l’absence de consultation démocratique, plaidant pour un référendum d’autodétermination.
Lord Hannan of Kingsclere (conservateur) a évoqué la viabilité économique d’un retour : tourisme isolé, université océanographique sur Peros Banhos, exportation de plantes médicinales comme la pervenche de Madagascar ou observatoire nocturne. Selon lui, certaines initiatives privées pourraient réussir, à l’instar des Falklands, dont la population a doublé depuis 1982 grâce au soutien du Royaume-Uni. Coût estimé en 2015 par un rapport KPMG : 400 millions de livres, « une fraction de ce que nous payons à Maurice » (3,4 milliards de livres selon le gouvernement, 35 milliards selon l’opposition).
Lord Jay of Ewelme (crossbencher) a rappelé l’absence de position chagossienne unique et la nécessité de longues négociations entre Londres et Port-Louis. Il a salué l’enquête du Comité des relations internationales et de la défense, ainsi qu’un sondage des souhaits chagossiens.
Notification expéditive et craintes d’ingérence
La sécurité a dominé la seconde partie des débats. Baroness Goldie (conservatrice), ex-ministre de la Défense, scruté l’annexe 1 du traité, exigeant une « notification expéditive » à Maurice en cas d’attaque armée depuis Diego Garcia contre un tiers, excluant les actions défensives. « Si un navire ou un avion quitte la base et est attaqué, y a-t-il obligation d’informer Maurice ? Nous ne pouvons pas laisser ces ambiguïtés pour des discussions ultérieures quand des incidents surviendront », a-t-elle averti, citant la lettre des ministres qui confirme une notification post-événement, sans permission préalable.
Lord Callanan a souligné que fournir une notification préalable pourrait compromettre la sécurité britannique et américaine. Son amendement 67 retarde la notification jusqu’à la fin de l’attaque. Lord Ahmad of Wimbledon a rappelé les négociations de 2019 : « Après 11 rounds, l’accord n’a pas pu être conclu en raison du manque d’assurances sécuritaires. »
Lord Weir a pointé les risques d’un « mission creep » chinois dans les îles extérieures, citant des précédents au Sri Lanka ou aux îles Salomon, tandis que Baroness Hoey (non affiliée) a questionné les protections contre l’implantation de bases étrangères à des fins non sécuritaires : « Comment évincer un pays hostile une fois ancré ? » Lord Kempsell (conservateur) a plaidé pour une renégociation face aux tensions indo-pacifiques, et Baroness Foster a réclamé la consultation obligatoire des États-Unis, soulignant le rôle central de Diego Garcia pour les opérations américano-britanniques.
Lord Kerr of Kinlochard (crossbencher) a défendu le traité : « Les Américains le jugent un ‘exploit monumental’. Les Indiens y voient une barrière contre l’influence chinoise. » Lord Beamish (travailliste) a comparé le mécanisme à Chypre, où la notification est post-événement, comme pour des bases souveraines.
Le sort des demandeurs d’asile a été abordé. Lord Callanan a rappelé l’arrivée, en 2021, de 60 Sri-lankais tamouls, détenus trois ans sur Diego Garcia, et a proposé que la responsabilité soit transférée à Maurice. Baroness Hoey a insisté pour que tout nouvel arrivant soit traité dignement, citant un Chagossien : « Nous avons été exilés une fois, mais nous ne devons pas tolérer une nouvelle injustice. »
Réponses ministérielles : assurances sans concessions
En réponse, Baroness Chapman of Darlington (travailliste), ministre aux Affaires étrangères, a rejeté les amendements. Sur le fonds : « Nous discutons avec Maurice pour une gestion transparente ». Sur l’identité : « Nous ferons en sorte que les lieux de naissance soient correctement enregistrés ». Sur l’emploi : « Les Chagossiens y ont déjà accès ; les offres sont sur GOV.UK ». Sur les vols : « Nous planifions des visites patrimoniales, y compris à Diego Garcia ».
Lord Coaker (travailliste), ministre de la Défense, a précisé que la notification ne requiert pas d’autorisation préalable : « Expéditivement signifie dès que raisonnablement praticable ». Sur l’asile, il a rappelé que Maurice assume la juridiction et que des arrangements conformes au droit international sont en cours.
Tous les amendements ont été retirés, mais Lord Callanan a promis leur retour : « Ces questions reviendront ». Lord Weir a obtenu des assurances sur la gestion du fonds avant le rapport final.
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