Faits Divers

Escroquée par une pseudo-guérisseuse - La victime : «Elle dit pouvoir invoquer les esprits»

Une ex-enseignante de 62 ans a remis plus de Rs 4 millions à une prétendue guérisseuse. Elle espérait que cette dernière pourrait guérir son fils aîné, qui souffre de schizophrénie.

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Taslima (prénom fictif) est une mère désemparée. Cette enseignante à la retraite âgée de 62 ans était prête à tout pour que son fils aîné retrouve ses esprits. Selon elle, cela fait 18 ans qu’il souffre de schizophrénie. L’habitante de Bois-Chéri, Moka, s’est donc tournée vers Nazima Bibi Anuth, 42 ans, qui s’est présentée comme une guérisseuse. Aveuglée par les « pouvoirs surnaturels » de la guérisseuse qui « dit pouvoir invoquer les esprits » Taslima a investi toutes ses économies jusqu’à prendre deux prêts bancaires. En deux ans, elle a déboursé un total de Rs 4,5 millions.

Lors de notre rencontre, Taslima se confie sans réserve. « Mon fils était intelligent et il a achevé ses études secondaires haut la main avant d’entamer des études universitaires. Malheureusement, il est tombé malade après un semestre et du jour au lendemain, il a changé. C’était en 1998. »  Leur vie bascule. « J’ai vu plusieurs médecins et ils m’ont dit que mon fils souffrait de schizophrénie et que c’était dans les gènes. J’ai été prise au dépourvu. »

Taslima, encore enseignante à l’époque, réorganise son emploi de temps. « Ce n’était pas facile, mon benjamin étudiait encore mais mon aîné avait des sautes d’humeur. Quand il s’emportait, il saccageait tout dans la maison. » Il commence un traitement à l’hôpital psychiatrique Brown-Séquard mais au bout de plusieurs années, Taslima ne voit aucune amélioration. « Enn dimoun ti deza dir mwa kapav ena mesanste lor mo garson me mo pa ti pe pran kont », raconte-t-elle.

Incantations

La sexagénaire a même dû contracter

deux emprunts pour pouvoir payer l’arnaqueuse.

En 2014, elle fait une rencontre qui va changer sa façon de voir les choses. « J’étais dans un autobus et j’ai surpris une conversation entre deux femmes. L’une d’elles disait qu’elle s’était déjà rendue à Madagascar pour guérir des gens par de simples incantations. Elle est descendue au même arrêt d’autobus que moi. Je l’ai approchée pour lui parler. Elle m’a demandé ‘Ou ena zanfan malad ? Mo swagn bann dimoun, ena kikenn inn fer mesanste ek ou zanfan.’ » Il n’en faut pas plus pour convaincre l’enseignante.

Les deux femmes échangent leurs coordonnées. « Le soir même, Nazima Anuth est venue chez moi, elle m’a demandé des vêtements qui portaient ma sueur et je les lui ai remis. Elle voulait aussi deux slips appartenant à mon fils malade. Elle paraissait agacée par quelque chose. Puis, elle est repartie avec nos vêtements pour conjurer le mauvais sort le même soir », explique la sexagénaire.

Le lendemain, la « guérisseuse » revient chez Taslima. « Linn dir mwa ki mo lakaz enn simitier, ena boukou disan kinn koule lor later-la. Li koumans demann sakrifis pou bann zanimo. Monn donn li enn premie trans Rs 52 000 dans Bagatelle. » Pour la maman, la guérison de son fils passe avant tout. « Elle m’a dit que l’objectif du mal qui rongeait mon fils était de me tuer et que quelqu’un voulait m’atteindre à travers lui. » à chaque nouvelle rencontre avec la pseudo-guérisseuse, Taslima remet de l’argent et des bijoux à cette dernière.

«Li pou gagn enn tifi pou marie»

Laval Désiré Poonoosamy, le compagnon de Nazima,
a avoué avoir agi comme chauffeur.

Nazima Anuth explique à sa cliente qu’elle doit se rendre à Madagascar et la retraitée débourse encore Rs 140 000. Pendant deux semaines, elle n’a aucune nouvelle. « La guérisseuse ne répondait pas à mes appels et puis, elle m’a appelé d’un numéro privé. Je lui ai dit qu’elle m’avait bernée et d’arrêter les frais, mais elle a insisté. Linn dir mwa fer konfians e ki linn deza fer dimounn aret fouy dan poubel e marie. Li dir mwa kan mo garson pou bien, li pou gagn enn tifi pou marie. »

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À chaque séance, la sexagénaire devait remettre entre Rs 40 000 et Rs 50 000. Comme elle se retrouve à court d’argent mais veut poursuivre les « traitements », elle n’a d’autre choix que d’avoir recours à des emprunts. « J’ai contracté un prêt de Rs 1, 5 million et un prêt de Rs 215 000 d’une autre institution financière pour pouvoir la payer. »

Un soir, l’état de son fils se détériore. « Je n’ai pas prévenue la guérisseuse mais elle a débarqué à la maison ce soir-là pour me demander de la suivre avec mon fils jusqu’à la mer. Elle avait un chauffeur. Une fois là-bas, j’ai vu un homme qui s’occupait d’une fille. Nazima dir mwa li pe tir lespri. Linn plonz mo garson dan delo. Apre Nazima inn dir mwa tro boukou disan dan lakour kot mwa, ki li koz ek lespri me li pa pe rod ale », confie Taslima.

Mais les mois passent et la situation n’évolue guère. « Je lui ai reproché de ne pouvoir guérir mon fils et elle m’a alors emmenée à Albion. Son chauffeur et elle ont attaché une chèvre et l’ont sacrifiée sous mes yeux. Un autre jour, elle m’a conduite à une séance de prière où elle a invoqué un esprit. Sa voix a changé. Elle m’a fait croire que c’était un esprit. »

En novembre dernier, Taslima a pris sa retraite et a obtenu son lump sum. Nazima Anuth lui aurait alors demandé Rs 243 000 pour partir à Madagascar. « Je devais partir avec elle le 23 décembre, ajoute la sexagénaire. Elle devait venir me chercher tôt le matin. Elle n’est jamais venue. Elle avait éteint son cellulaire. Je croyais qu’elle était à Madagascar. Au début de janvier, comme je n’avais plus de nouvelles d’elle, je me suis rendu compte que c’était une arnaqueuse et je l’ai dénoncée à la police. Tout était faux. J’ai dépensé Rs 4,5 millions pour rien. »

La retraitée porte plainte le 12 janvier au poste de police de Moka. La Criminal Investigation Division de Moka et les hommes du sergent Ramsamy de la Field Intelligence Unit mettent la main sur la suspecte et son compagnon, Laval Désiré Poonoosamy, 42 ans, qui habitent à Coromandel. Nazima Anuth, dans sa version des faits à la police, reconnaît avoir berné Taslima en lui faisant croire qu’elle avait des pouvoirs de guérisseuse. Les limiers ont récupéré des bijoux et de l’argent à son domicile.

Quant à son compagnon, il soutient n’avoir joué que le rôle du chauffeur dans toute cette affaire et avoir participé à l’abattage d’une chèvre. Ils ont été inculpés provisoirement d’escroquerie et demeurent en cellule policière. Les limiers soupçonnent la pseudo-guérisseuse d’avoir plumé d’autres personnes en usant du même mode opératoire. L’enquête, menée par l’inspecteur Cowlessur et placée sous la supervision du surintendant de police Pierre Louis, se poursuit.

«C’est une vengeance»

Nazima Bibi  Anuth, la suspecte, lors
de sa comparution en cour de Moka.

Originaire de Port-Louis, Nazima Bibi Anuth est issue d’une famille modeste. Son père était chauffeur de taxi et sa mère femme au foyer. Elle est la benjamine d’une fratrie de quatre enfants. « Notre père est mort très jeune », explique son frère Nasser. Elle n’a pas poursuivi sa scolarité après le CPE.

Ses proches ne comprennent pas ce qui a pu se passer. « Ma sœur n’a jamais eu d’ennuis avec la police. C’est une personne gentille. Elle habitait à la rue Magon avant d’emménager à Coromandel. Elle a l’habitude de jouer au casino. Nous avons appris qu’elle avait gagné une grosse somme d’argent. Je pense que la retraitée tente de se venger pour avoir cet argent », avance Nasser.

 

 

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