Interview

Éric Ng, économiste : «Face à une nouvelle crise, Maurice sera moins résilient»

Éric Ng

L’économiste Éric Ng dresse un tableau économique mauricien en grand danger, compte tenu du « déficit commercial aggravé, d’une croissance revue à la baisse et des largesses du gouvernement ».

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Quels sont les principaux défis économiques que Maurice devra affronter en 2019 ?
Au rang des défis majeurs, sera le financement du compte courant, parce que notre taux d’importation est largement supérieur à celui de nos exportations en biens et services. La question est de savoir si ce déficit est-il soutenable à moyen terme, lorsqu’on sait que les entrées de capitaux sont en train de diminuer. Cette réduction va s’accélérer avec la mise en vigueur du nouvel accord fiscal Inde-Maurice, en avril 2019. Ce qui signifie qu’on verra moins d’investissements étrangers passer par notre secteur offshore pour aller en Inde.

Il faut savoir que Singapour a ravi la première place à Maurice en termes de source d’investissement étrangers pour l’Inde. Dans une telle situation où notre courant augmente, il peut y avoir beaucoup de pressions  sur la roupie, qui risque de se déprécier dans un contexte  où le taux du dollar américain augmente de 2,25 %, alors qu’à Maurice, le taux d’intérêt a baissé. Donc, cet écart fait que la roupie n’est pas aussi attrayante que le dollar. Toute hausse d’intérêt local pourrait affecter l’investissement privé. L’autre défi, c’est le niveau de la croissance qui a été revu à la baisse, soit 3,5 % et avec le chiffre de 3,6 % de l’Economic Intelligence Unit, on a atteint une nouvelle norme de croissance. C’est du secteur privé que la relance de la croissance viendra à travers l’exportation, or toute la stratégie du gouvernement depuis ces quatre décennies s’est axée sur la relance économique par la consommation. Et on n’a jamais réussi à atteindre les 4 % de croissance avec ce type de croissance.

C’est du secteur privé que la relance de la croissance viendra.»

Quelles peuvent-être les conséquences d’une telle situation ?
Il sera plus difficile de créer  des emplois dans le secteur de la production. Là où on crée des emplois publics, c’est avec l’argent du contribuable. Il sera aussi plus difficile de rembourser la dette publique. Moins de croissance signifie aussi moins d’impôt. Rien n’est gratuit, tout est financé par les impôts.

Des économistes et autres observateurs mondiaux prédisent un état de l’économie mondiale proche de la crise de 2007-2008…
L’économiste Nouriel Roubini prédit une nouvelle crise, en 2021, encore plus grave que celle de 2008, expliquée par une conjoncture de facteurs, dont la poussée des filets protectionnistes, le Brexit, une politique monétaire conventionnelle ou encore la baisse agressive des taux d’intérêts. Puis, il y a une inondation de liquidités sur le marché qui se traduira fatalement par une inflation, obligeant les banques centrales, dont la FED, à relever leurs taux d’intérêt.

Que peut faire l’économie mauricienne face à ce tableau sinistre ?
Notre économie mal préparée, est bien moins résiliente qu’en 2008. C’est parce que depuis 2010, il n’y a eu aucune réforme structurelle de l’économie en raison des mésalliances, des crises et cassures politiques, ce qui fait que le gouvernement n’a pas apporté de réformes. Le plus grave, c’est que le gouvernement n’a pas su communiquer aux Mauriciens sur la réalité économique de Maurice. On croit que la crise, cela n’arrive qu’aux autres. Le gouvernement a fait comme ci tout allait bien, en disant aux Mauriciens : « Endettez-vous, nous on fait le reste. » On s’est bercé d’illusion.

Les politiciens au pouvoir ont plutôt pensé à leur survie politique, en promettant l’augmentation de la pension universelle, la publication prématurée du PRB. Il n’y a aucune rigueur dans la gestion économique, ils ont fait une politique de la terre brûlée.

C’est la vérité du caddie, et celle de l’emploi, qui s’imposent aux Mauriciens.»

Mais est-ce que ces augmentations ne vont-elles pas finir dans des dépenses ?
Mais il faut produire la richesse avant de consommer. Quelque part, on réduit le pouvoir d’achat d’une catégorie de contribuables pour la relance de la consommation dans d’autres secteurs. Après, il faut voir quel signal on envoie aux investisseurs, vont-ils prendre des risques ?

Est-ce le Metro Express et les infrastructures routières ne sont-ils pas des chantiers créateurs d’emplois et des perspectives pour le business ?
Dans l’immédiat, en ce qui concerne le métro, il y a plus de main-d’œuvre étrangère que de Mauriciens et l’effet multiplicateur n’a pas eu lieu. Tout est importé : la main-d’œuvre, la matière première et la maintenance est assurée par des équipes   étrangères. En fait, l’argent quitte Maurice, c’est ce qu’on appelle une fuite d’importation. Par ailleurs, je ne vois pas comment le métro aidera à relancer les commerces, un secteur déjà saturé autour des gares routières.

Mais les embouteillages s’en retrouveront réduits, le trafic allégé…
Je n’en suis pas sûr, car le métro passera sur les routes. On nous dit qu’il passera toutes les cinq minutes. Puis, je ne sais pas si les Mauriciens vont délaisser leurs voitures, s’il y aura le covoiturage ou le péage. Dans tout pays en développement, la voiture est un signe de statut social et elle est un véhicule familial, dont on sert à n’importe quelle heure.  Sur un plan pratique, il faudra des parkings pour les voitures dans l’aire de la gare. Enfin, on n’a pas encore résolu la question de la rentabilité, compte tenu du fait que les seniors et les étudiants ne paieront pas le métro. Lorsque je regarde de près aux horaires de pointe, je ne vois pas de logique financière derrière ce projet, mais plutôt une situation où le gouvernement semble dire aux Mauriciens que tout est gratuit. On vit au-dessus de nos moyens, on s’endette sans regarder l’avenir.

Est-ce que les Mauriciens ne ressentent-ils aucun effet sur leurs porte-monnaie ?
Ils le ressentent lorsqu’ils passent à la caisse, lorsqu’ils se rendent compte que leur budget à la consommation ne leur offre plus le même volume de denrées alimentaires qu’ils pouvaient se payer auparavant. C’est la vérité du caddie et celle de l’emploi, qui s’imposent à eux. De manière générale, les Mauriciens n’ont pas de culture économique. Ils ne lisent pas, c’est ce qui nous différencie de Singapour.

Quel est le pire des scénarios auxquels on peut s’attendre ?
À ce jour, la Banque de Maurice a suffisamment de devises pour pouvoir vendre des dollars. Le pire des scénarios serait une dépréciation brutale de la roupie par faute de devises sur le marché, en raison de notre déficit commercial et l’absence de création d’emplois. Pour corser l’addition, ce gouvernement distribue généreusement l’argent des contribuables pour assurer sa survie politique.

Mais cela ne risque pas de changer, à l’approche des futures élections générales, comme c’était le cas dans le passé…
Ce sera insuffisant pour berner la jeune génération, qui ira voter en se fiant à un bilan général et à l’état de notre économie. La hausse des salaires ou celle de la pension universelle ne sera pas le seul facteur que les jeunes tiendront en ligne de compte.

 

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