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Enquête policière : l’accusation provisoire remise en cause

(De gauche à droite) Me Neil Pillay, Anoop Dhookeeya et Hector Tuyau.

La méthode d’enquêter de certains policiers et le système d’accusation provisoire ont été largement abordés par les intervenants dans l’émission « Au Cœur de l’Info » mercredi. Le thème était les critiques contre la police. 

L’accusation provisoire de trafic de drogue qui pesait contre l’avocat Akil Bissessur a été rayée devant le tribunal de Bambous le mardi 28 mars 2023. Dans son « ruling », la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnauth a égratigné la police. Elle a qualifié d’« incompréhensible » et de « déraisonnable » son omission d’enquêter sur les allégations de Me Akil Bissessur contre la police. Ce n’est pas la première fois que la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnauth critique la police. Lors de l’enquête judiciaire sur la mort de Soopramanien Kistnen en 2022, elle avait évoqué dans son rapport « a new level of incompetency » de la police. Le journaliste Anoop Dhookeeya a fait le point sur les critiques auxquelles fait face la police avec ses invités dans l’émission « Au Cœur de l’info » sur Radio Plus et TéléPlus le mercredi 29 mars. Il a accueilli l’avocat Neil Pillay et l’ancien haut gradé de la police Hector Tuyau. Me Akil Bissessur et l’ancien magistrat Raj Pentiah sont intervenus par téléphone.

Selon Me Neil Pillay, les problèmes au sein de la police ont toujours existé. « Actuellement, on les voit plus à cause des réseaux sociaux. Contrairement à ce que la procédure demande, des policiers arrêtent des suspects, puis débutent leurs enquêtes seulement après. Normalement, l’accusation provisoire s’applique s’il y a des suspicions suffisantes. Elle permet de contrôler juridiquement les suspects jusqu’au procès. Mais parfois, l’enquête dure tellement longtemps que la justice raye les accusations provisoires. Cependant, ce n’est pas la fin de l’affaire », explique l’avocat. Il précise que même quand une accusation provisoire est rayée, l’enquête peut continuer et une accusation formelle peut être déposée.

Il ajoute que la police doit tirer les leçons du « ruling » de la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnauth dans l’affaire d’Akil Bissessur. « Mais des magistrats aussi doivent en tirer des leçons, car trop souvent, la cour tolère des manques d’éclaircissements de la part de la police. Des magistrats tolèrent des manquements. Trop de magistrats sortent des bancs du bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) », dit-il. 

L’avocat affirme voir « tous les jours des abus concernant les accusations provisoires ». Selon lui, on a trop d’arrestations avant même qu’on recherche des éléments de preuve. Cela a un impact sur les suspects, car ils sont « jugés coupables » par la population sur les réseaux sociaux. « Si on instaure un département légal au sein de la police, il doit être totalement indépendant », lance-t-il. Il ajoute qu’il faut améliorer les conditions de service et les moyens des policiers.

Hector Tuyau souligne que le métier de policier est « difficile et ingrat ». « Avec les réseaux sociaux, les bêtises des policiers sont filmées et diffusées. Les erreurs de certains policiers impactent l’image de toute la profession. Pourtant, la plupart des policiers font leur travail correctement », déclare l’ancien haut gradé. Il ajoute qu’il y a toujours eu des retraits d’accusations provisoires, mais cela n’empêche pas la police de continuer une enquête et de déposer une affaire principale (« main case »). « Il faut revoir la procédure sur les accusations provisoires. Pour des délits mineurs et les accidents de la route, il n’est pas nécessaire d’avoir des accusations provisoires. Il faut identifier les policiers ripoux et les mettre hors d’état de nuire. Je ne vois pas le syndicat de la police fonctionner », soutient Hector Tuyau.

Formation des policiers

Selon Hector Tuyau, de nombreux policiers déposent bien en cour, mais il regrette qu’il n’y a plus de formation de remise à niveau. Il précise qu’il faut les restaurer et créer une Police Academy. Neil Pillay rappelle que de jeunes policiers n’obtiennent que six mois de formation, puis ils sont envoyés sur le terrain. Il ajoute qu’il faut éduquer les policiers sur les manières d’accueillir et d’aider la population.

« Planting »

Concernant les allégations de « planting » de drogues par des policiers au domicile de suspects, Me Neil Pillay indique qu’il y a « un grand travail à faire pour redonner confiance en la police quand on voit certaines vidéos ». Il ajoute qu’il est important qu’on filme les opérations policières avec des body cams. 

« Cela encouragera la police à respecter les procédures et cela redonnera confiance à la population. Cela va donner des éléments à la cour, notamment dans le cadre des opérations de livraison contrôlée de drogue. Des policiers retournent les caméras dans les maisons qu’ils perquisitionnent ou arrachent les disques durs et les prennent. De quel droit font-ils cela ? Des policiers oublient que leur travail ne se limite pas à trouver des éléments à charge, mais aussi ceux qui peuvent disculper les suspects », clame l’avocat. 

Hector Tuyau affirme qu’il y a toujours eu des allégations de « planting ». Selon lui, c’est un moyen de défense de la part des suspects. 

« Le phénomène prend de l’ampleur à cause des réseaux sociaux. Cela ne veut pas dire que c’est toujours le cas, mais je sais que cela est arrivé. Les policiers qui le feraient encore sont fous, car il y a des caméras dans les maisons. Concernant la manipulation des systèmes de vidéosurveillance dans les maisons des suspects, on ne peut pas tolérer ces comportements de la part de certains policiers », martèle l’ancien haut gradé de la police.

Akil Bissessur : «Soulagé, mais pas surpris»

Me Akil Bissessur est revenu sur la décision de la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnauth de rayer l’accusation provisoire. « Sur le plan personnel, je suis soulagé, mais pas surpris. L’accusation provisoire est assez unique au monde. À Maurice, la police dépose une accusation provisoire et ensuite mène son enquête. Pour la déposer, la police doit normalement prouver qu’elle a des suspicions raisonnables. Mais ce n’était pas le cas dans mon affaire. La première personne que je vais poursuivre c’est Pravind Jugnauth. Je veux qu’il explique les suspicions raisonnables qu’il avait. Ensuite, je vais poursuivre la police pour la fuite de vidéos intimes. Je suis convaincu de mon innocence », clame l’avocat.

Raj Pentiah : «Il est temps de revoir le système pénal»

L’ancien magistrat Raj Pentiah rappelle que la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnauth a soulevé 14 points dans lesquels la police a failli dans son enquête. « La cour fait ressortir qu’elle est neutre. La police peut-elle déposer une accusation provisoire sans suspicions raisonnables ? Si la police fait son enquête objectivement, comment se fait-il que la version d’Akil Bissessur n’ait pas été prise concernant les allégations contre la police ? En 2023, les accusations provisoires sont basées sur des décisions du XIXe siècle. Il est temps de revoir le système pénal d’une manière pragmatique en allant directement vers l’accusation principale, sans accusation provisoire. Les suspects subissent les préjudices des accusations provisoires », soutient-il.

 

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