Les divers centres conçus pour la réhabilitation des mineurs sont un véritable échec.
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Les mineurs y seraient « traités pire que des prisonniers » et il y aurait « un manque de considération pour leurs besoins psychologiques, familiaux et sociaux ». Interpellés, les services pénitentiaires qui les gèrent démentent ‘l’incarcération’ et insistent que des activités « sont organisées pour l’épanouissement des pensionnaires ».
La légiste et ex-membre de la Commission des droits humains, Anishta Babooram-Seeruttun, lève le voile sur les conditions de détention des mineurs aux Rehabilitation Youth Centres (RYC) et Correctional Youth Centres (CYC) du pays. Elle précise que « tous les mineurs qui se retrouvent dans ces centres de détention ne sont pas nécessairement des enfants qui ont commis un délit pénal ». Le système actuel, dit-elle, a grandement failli, car il ne prend pas en considération l’aspect de réintégration sociale où l’enfant pourrait jouer un rôle constructif. L’accent, souligne la légiste, ne devrait pas être mis sur le conflit, mais plutôt sur l'enfant.
« La réhabilitation est un échec, car il n’existe aucune loi-cadre pour protéger les enfants à Maurice. Ces derniers sont placés dans des lieux de détention et sont traités comme (voire pire que) des prisonniers. Il y a un manque de considération pour leurs besoins psychologiques, familiaux et sociaux. La pédiatrie sociale n’y est pas présente. L’infrastructure, étant celle d’une prison, n’encourage pas la réhabilitation, mais crée plutôt un sentiment de désarroi. Il n’est donc pas étonnant qu’il y ait souvent des cas de mutinerie, surtout au ‘RYC girls’ », assure Anishta Babooram-Seeruttun.
Elle souligne que certains mineurs se retrouvent dans les centres de réhabilitation, parce que « la loi permet à un parent de déclarer son enfant ‘incontrôlable’ (child beyond control) selon la section 18 de la ‘Juvenile Offenders Act’. Il y a beaucoup d’abus par rapport à l’application de cette loi qui viole les dispositions de l’Article 37 (b) de la Convention relative aux Droits de l’Enfant. Ladite convention stipule que l’arrestation, la détention ou l’emprisonnement d’un enfant doit être le dernier recours. Et cela, pour une durée aussi brève que possible », précise la légiste.
Mineurs endurcis
Dominique Chan Low, ‘reintegration and councelling coordinator’ au sein de l’Ong ‘Kinouété’, confirme également l’échec de la réhabilitation des mineurs. Il estime également que les dispositions de la ‘Juvenile Act’ sont au détriment des mineurs qui sont détenus (parfois à tort). « Le plus jeune mineur incarcéré au Rehabilitation Youth Centre ‘pour y être corrigé, était âgé de huit ans », souligne-t-il.
« Une fois libres, les mineurs ne sont plus les mêmes, en raison des frottements qu’ils ont eus avec des pensionnaires plus âgés, coupables de délit. Ils s’endurcissement malgré eux. Un enfant qui grandit dans un lieu carcéral ne voit aucun mal à aller en prison, une fois adulte », déplore Dominique Chan Low. « Il est vraiment dommage que les autorités ne considèrent pas cet aspect. De plus, le système ne donne pas suffisamment d’accès à l’éducation aux mineurs placés dans les centres. Ces derniers sont considérés/traités comme des exclus de la société », dit-il.
« Child beyond control » contrôlés
Sollicitée pour des commentaires, l’administration pénitentiaire affirme que des dispositifs sont mis en place pour « permettre l’épanouissement » des pensionnaires du RYC et du CYC, à travers des classes scolaires et prévocationnelles, le scoutisme et le jardinage. Certains mineurs sont formés au métier de tailleur.
« Tout va bon train au niveau du ‘Correctional Youth Centre’. Il n’y a aucun écart de conduite de la part d’aucun pensionnaire. Les garçons sont très calmes, comparés aux filles du ‘Rehabilitation Youth Centre’ », déclare un cadre du département Welfare de la prison.
Interrogée sur les méthodes de réhabilitation au RYC, la ‘Superintendante’ Shirley Kamanah s’est refusée à tout commentaire, soulignant qu’il faut passer par le ministère de la Défense pour soumettre les questions. Les centres de réhabilitation (RYC-CYC), rappelons-le, autrefois sous la tutelle du ministère de la Sécurité sociale sont désormais placés sous le contrôle du Bureau du Premier ministre.
Des changements à prévoir
Vinod Appadoo, le commissaire des prisons, affirme quant à lui que les méthodes de réhabilitation aux RYC et CYC connaitront bientôt des changements. « Cette décision fait suite à une visite que j’ai menée jeudi au ‘RYC girls’, en compagnie d’un représentant du ministère de la Défense. Une approche plus humaine et psychologique aura lieu », précise-t-il. Tout sera mise en œuvre dans ces centres pour résoudre les problèmes des pensionnaires à la racine. Les officiers des prisons auront la tâche d’étudier le comportement de chaque pensionnaire et d’instaurer un climat/sentiment de confiance entre surveillants et pensionnaires.
« La majorité des pensionnaires du RYC et du CYC est issue de familles brisées, de milieux défavorisés. Ils n’ont personne vers qui se tourner, ils ont parfois du mal à distinguer entre le bien et le mal. Leur place ne se trouve pas dans ces centres. Il est très dommage qu’il en soit ainsi. Notre tâche consiste désormais à leur donner un lendemain meilleur. C’est pourquoi des initiatives seront prises pour donner un nouveau souffle aux conditions de détention. Je vous promets que la situation sera suivie de près et qu’un programme de travail bien établi sera instauré sou peu », soutient le commissaire des prisons.
« Le plus jeune mineur incarcéré au Rehabilitation Youth Centre ‘pour y être corrigé, était âgé de huit ans »
La vie d’un mineur détenu
Les jours se suivent et se ressemblent dans les centres de détention. L’heure du réveil est fixée à six heures. Puis, vient le petit déjeuner. Certains pensionnaires vont à l’école, d’autres font le ménage, la vaisselle, la lessive, ou nettoient le centre. Après le déjeuner, les jeunes regagnent l’école, d’autres poursuivent leurs tâches dans les centres. Le dîner est servi à partir de trois heures, dépendant des centres. L’extinction des feux se fait juste après le repas.
« Tous les mineurs qui se retrouvent dans ces centres de détention ne sont pas nécessairement des enfants qui ont commis un délit pénal »
La population des centres
Les ‘Rehabilitation Youth Centres’ (garçons et filles) sont placés sous l’égide du ministère de la Défense. En cas de mutinerie, la prison a un droit de regard sur le centre de réhabilitation, qui comporte une vingtaine de filles et 31 garçons. Des éléments de la Prison Security Squad (PSS) ou de la Correctional and Emergency Response Team (CERT) sont mandés pour rétablir l’ordre. Cela a été le cas lors de la dernière mutinerie qui s’est produit pour la fête des Mères au RYC. Le Correctional Youth Centre, géré par le département pénitentiaire, accueille actuellement 39 garçons et une fille.
Taux de mineurs-toxicomanes décrié
« Le nombre de mineurs-toxicomanes admis dans les centres de réhabilitations est en hausse depuis janvier », indique Dominique Chan Low. « Les mineurs sont âgés entre 16 et 17 ans et seraient de gros consommateurs de drogues synthétiques, d’héroïne, de cannabis et de ‘brown sugar’. Certains s’injecteraient ces substances illicites par voie intraveineuse, d’autres fumeraient la drogue ».
« Depuis janvier 2017, nous avons remarqué une hausse des admissions de mineurs-toxicomanes, certains sont sous traitement médicamenteux. IL faut le dire haut et fort : la place de ces mineurs-toxicomanes n’est pas dans un centre de réhabilitation, mais plutôt dans un centre de désintoxication », soutient Dominque Chan Low.
Selon notre interlocuteur, « les mineurs-toxicomanes sont incarcérés principalement pour délits de vol ou possession de drogue ». « Les enquêtes policières piétineront jusqu’à ce que les mineurs atteignent l’âge adulte. Par la suite, ils se retrouveront probablement en prison, ou écoperont d’une amende. C’est pourquoi il y a un rajeunissement constant de la population carcérale », dit-il.
« La majorité des pensionnaires du RYC et du CYC est issue de familles brisées, de milieux défavorisés. Ils n’ont personne vers qui se tourner, ils ont parfois du mal à distinguer entre
le bien et le mal »
Des « alternatives » à la détention
Me. Anishta Babooram insiste qu’il « faut des alternatives à la détention ». C’est l’intérêt de l’enfant qui doit primer, sa dignité humaine doit être respectée. « Un enfant en conflit avec la loi ou la société doit recevoir un traitement adapté et approprié à sa situation. Cela nécessite un encadrement avec une approche holistique pour favoriser son développement », souligne la légiste. « Je pense qu’il faut instaurer un système qui permette aux enfants d’aller à l’école et de rentrer chez eux, certains week-ends.
Ce centre devra aussi offrir des programmes aux parents pour leur apprendre comment gérer leurs enfants ». Me. Anishta Babooram insiste que la place des mineurs toxicomanes se trouve dans un centre de santé et non dans un lieu de détention pour mineurs. « La rééducation doit être une priorité. La situation de ces enfants doit devenir une priorité politique pour l’État mauricien », conclut-elle.
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