
C'était une première à "Bollywood" et elle secoue déjà toute la florissante industrie indienne du cinema : les producteurs d'un célèbre film ont recouru à l'intelligence artificielle pour en modifier l'épilogue, contre l'avis de son réalisateur.
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"L'affaire" a éclaté il y a un mois, à la sortie de la version en langue tamoule d'un fameux long-métrage diffusé en 2013 en hindi.
Les spectateurs de "Raanjhanaa" ont constaté que sa fin tragique - la mort du héros - avait cédé la place à un "happy ending" - le personnage principal survit - remodelé par l'IA.
L'acteur ressuscité par la technique et le réalisateur ont immédiatement crié au scandale.
"Cette fin a vidé le film de son âme", s'est indigné le premier, Dhanush. "Elle a été décidée malgré mon refus catégorique", a-t-il ajouté, dénonçant un "inquiétant précédent" qui selon lui "menace l'intégrité et l'héritage" de tout le cinéma.
"L'avenir est à l'IA, c'est un outil au service de notre créativité, mais pas pour changer le passé", regrette auprès de l'AFP le second, Aanand L. Rai. "Un producteur n'a pas le droit de prendre une portion du film et de la changer".
Bien sûr que si, lui a rétorqué la maison de production Eros. En rappelant que la loi indienne sur la propriété individuelle faisait du producteur l'auteur d'une oeuvre cinématographique.
Hasard du calendrier, la polémique a agité le septième art indien quelques jours à peine avant l'annonce du tournage - ou la fabrication - de son premier film totalement généré par l'IA.
Prévu en 2026, "Chiranjeevi Hanuman - L'Eternel" ambitionne de reconstituer grâce à l'ordinateur la vie du dieu-singe hindou Hanuman.
L'entrée avec fracas de l'intelligence articifielle sur les plateaux de Bollywood est loin d'y faire l'unanimité, notamment chez les réalisateurs.
"Alors ça y est, c'est parti", a ironisé Vikramaditya Motwane sur les réseaux sociaux. "Qui va encore avoir besoin de scénaristes ou de metteurs en scène quand c'est ‘Made in AI’?"
"La chair et le sang"
Deux camps ont déjà émergé dans la bataille artistique et juridique, qui s'annonce.
Dans l'un, ceux qui se réjouissent des économies de main d'œuvre substantielles que permettra l'IA en remplaçant les armées de petites mains et de techniciens jusque-là incontournables.
Dans l'autre, les défenseurs de l'art ou de l'humain, qui redoutent de voir l'émotion forcément imparfaite du sourire d'une actrice en chair et en os s'effacer au profit de celle d'un robot.
Entre les deux, le réalisateur Shakun Batra ne veut voir dans l'IA qu'un outil intéressant.
"Je ne pense pas qu'elle sonne le glas de la chair et du sang", estime l'auteur des films dramatiques "Kapoor & Sons" ou "Gehraiyaan". "Le meilleur pourrait venir d'une fusion des avantages des deux méthodes", la technologie et l'humain.
Nominé aux prestigieux Oscars américains pour ses deux films "Elizabeth" et "Elizabeth: the Golden Age", le vétéran Shekhar Kapur ne s'inquiète pas non plus outre-mesure.
"Les meilleures histoires sont imprévisibles et l'IA ne peut manier l'imprévisibilité", tranche-t-il.
"Pour l'heure, l'IA ne peut pas interpréter de grands rôles à l'écran. Prenez n'importe quelle star : ce sont ses yeux qui jouent, pas son visage", détaille-t-il. "Si vous êtes très créatif, il n'y a pas lieu d'être inquiet (...) sinon l'IA vous tuera".
Sûr de sa supériorité sur la machine, Shekhar Kapur a lui-même décidé d'en faire son alliée.
Il y a ainsi eu recours pour certaines scènes de sa nouvelle série de science-fiction "Warlord". "La plupart des films de super-héros seront générés par l'IA parce que c'est plus facile", anticipe-t-il.
Le metteur en scène envisage d'ouvrir, avec le compositeur et chanteur primé aux Oscars A. R. Rahman, une école de formation au métiers du cinéma centrée sur l'intelligence artificielle à Dharavi, le plus grand bidonville de Bombay.
"L'IA est une technologie très démocratique en ce sens qu'elle offre des opportunités à ceux qui n'en ont pas", plaide-t-il. "Combien en Inde ont les moyens de fréquenter une école de cinéma?"

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