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Elle a changé de sexe à Paris : lasse d’attendre son nouveau passeport, Kelly Wayne réclame l’asile en France 

Elle ne digère pas que le changement de sexe n’est pas reconnu par la législation mauricienne.

Kelly Wayne glisse vers le désespoir. Son passeport mauricien, expiré depuis mars 2020, ne pouvant être renouvelé pour inclure son nouveau genre, elle demandera l’asile politique ce lundi 21 juin. 

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« Je n’ai plus le choix… » La mort dans l’âme, Kelly Wayne s’est décidée à réclamer l’asile politique en France, son pays d’adoption depuis neuf ans. Installée dans la commune de Versailles, chef-lieu du département des Yvelines de la région Île-de-France, l’artiste-peintre en a par-dessus la tête de se battre avec l’administration mauricienne pour renouveler son passeport qui a expiré en mars 2020. A son grand regret, sa demande visant à pousser Port-Louis, à travers l’ambassade de Maurice à Paris, à accepter que ce document mentionne qu’elle est désormais une femme se heurte à une fin de non-recevoir.

Ce recours qui lui a été suggéré par son conseil légal face à l’intransigeance des autorités mauriciennes, signifie qu’elle ne pourra plus jamais mettre les pieds à Maurice, île chère à son cœur. Naïvement, elle a cru pouvoir bousculer les ronds-en-cuir de Port-Louis et ouvrir la voie aux personnes transsexuelles qui caressent l’idée de changer de sexe. « Je n’ai pas le choix, car la préfecture me réclame mon passeport pour me délivrer mon titre de séjour. Comme je ne peux plus avoir de passeport, je risque de me retrouver dans la situation d’une sans-papiers en France. Le pire, ce serait de me retrouver apatride », confie Kelly Wayne. « Je n’ai pas envie de réclamer l’asile… Malheureusement, je n’ai pas d’autres alternatives », dit-elle. 

Changement de sexe

Née dans un corps d’homme, elle a subi une délicate intervention chirurgicale il y a neuf ans à l’hôpital Saint Louis, à Paris. La législation mauricienne étant figée dans le temps, rien n’ayant été prévu quant à un changement de sexe, elle a été priée de revenir dans l’île grâce à un aller simple afin qu’elle puisse saisir la Cour suprême. Le gouvernement ne souhaitant pas aller de l’avant avec son dossier, celui-ci a été refilé au Parquet pour un avis légal.

« Même si plusieurs pays européens ont changé leur loi à la suite d’un arrêté de la Cour européenne des droits de la personne permettant à une personne née biologiquement comme un homme, ou vice versa, de changer de sexe, nous n’en sommes pas encore là », explique une source à l’hôtel du gouvernement. « Pour pouvoir procéder à une modification de son genre sur son passeport, il faudra modifier la Civil Status Act », déclare notre interlocuteur. « L’autre option serait un recours en Cour suprême. Ce serait intéressant de suivre ce cas au vu de la controverse que cela suscitera », fait-il comprendre.

Kelly Wayne a envisagé de venir à Maurice pour défendre ce qui lui semble la suite logique des choses. Mais la lenteur légendaire de la justice mauricienne la fait tiquer. « J’ai ma vie ici. J’ignore combien de temps cette procédure va prendre. J’ai besoin de mon passeport pour renouveler mon titre de séjour. Si je rentre à Maurice et que je me retrouve bloquée, je risque de perdre la chance d’obtenir la nationalité française. Certaines organisations m’ont conseillé de réclamer l’asile. Mais je ne veux aucunement avoir un statut de réfugiée, ce qui me poussera à faire une croix sur Maurice », nous confiait-elle il n’y a même pas trois mois.

« Je préfère faire bouger les choses pour la cause des personnes transsexuelles afin qu’elles ne se retrouvent pas dans le même cas que moi. J’ai écrit au chef du gouvernement, je n’ai malheureusement reçu aucune réponse. J’ai aussi adressé une lettre à l’Attorney General afin que la législation mauricienne soit modifiée », poursuit-elle. Que ce soit au bureau du Premier ministre, à celui de l’Attorney General ou au ministère de l’Egalité des genres, chacun se passe la balle, ne désirant aucunement commenter ce cas.

 " Sa demande de ‘changement de sexe’ sur son extrait de naissance pas agréée. "

Issue d’une famille orthodoxe de quatre enfants des hautes Plaines-Wilhems, Kelly Wayne dit s’être rendu compte qu’elle était née dans le mauvais corps à son plus jeune âge. Seul son frère était au courant, avant qu’elle ne se décide, à l’adolescence, de confier son lourd secret à sa grand-mère. « Elle a été la première à m’avoir acceptée. Ma mère, elle, était très religieuse. Elle ne pouvait comprendre. C’était horrible », dit-elle en soulignant qu’elle a changé d’identité en adoptant son nom d’artiste en 2005.

« Dans les années 90, la société mauricienne était très conservatrice. C’est durant cette période que j’ai décidé de m’émanciper. J’avais 16 ans. Cela m’a valu d’être mise à la porte par ma mère. J’ai trouvé refuge chez ma grand-mère avant de me retrouver encore une fois à la rue. Grâce à mes talents de peintre, ayant revendu des posters des personnages des séries animées du Club Dorothée, tels Dragon Ball Z ou Ranman et demi, en faisant du porte-à-porte dans la cité où j’habitais, j’ai pu survivre », se rappelle Kelly Wayne avec une pointe de nostalgie.

Soutien des amis

Une poignée d’amis l’encouragent à se parfaire dans cette discipline, ce qui l’incite à exposer ses tableaux dès le début des années 2000, tout en jonglant avec un emploi de serveur dans un fast-food. « Cela n’a pas été du gâteau. Certains artistes ont tout fait pour me décourager. Ils me disaient que le succès ne viendrait que lorsque je serais vieux, comme eux. Moi, je ne voulais nullement être comme eux. Un ami m’a alors fait comprendre que j’avais un atout, qu’il fallait que je sois moi-même », relate-t-elle.

Elle enchaîne les expositions, parvient à écouler tous ses tableaux. Portée par le succès, elle prête ses services à des restaurants pour la réalisation de trompe-l’œil. A partir de 2008, elle se met à voyager, économise et se renseigne pour changer de sexe. Elle insistera auprès du Pr Marc Revol, en 2012, pour « la totale ». D’un coup et non par phases. « Je lui ai dit que je préférerais crever que de rester comme ça... L’opération a pris toute une journée. J’ai été en convalescence pendant deux semaines. C’était waouh, je ne me suis même pas rendu compte », se souvient Kelly Wayne.

« Je suis revenue à Maurice et j’ai contacté des avocats pour faire modifier mon statut. Beaucoup ont mis de l’avant les difficultés en l’absence d’une législation. J’ai approché l’état civil par la suite, mais j’ai dû rentrer en France. On m’a réclamé nombre de documents, dont un certificat médical. J’ai cru qu’ils travaillaient dessus. Mon passeport allant expirer, j’ai multiplié les démarches auprès de l’ambassade en 2019 », lance celle qui gagne aussi sa vie comme hôtesse de bar.

« Le responsable de l’état civil m’a écrit une lettre laconique pour me dire que rien n’est prévu dans la loi quant à mon cas. Il ne m’a rien suggéré, ni ne m’a-t-il proposé des solutions », fulmine-t-elle. « Je préfère ne pas parler des ONG locales… » soupire-t-elle, même si elle avoue que celles-ci l’ont avertie des difficultés à faire « bouger » l’establishment mauricien face à une transgenre en quête de reconnaissance de l’Etat.

Ce qui l’a plus découragée, c’est cet extrait de la lettre reçue de l’état civil le mois dernier : « On tient à vous informer que votre demande de ‘changement de sexe’ sur votre extrait de naissance ne peut pas être agréée car le ‘changement de sexe’ n’est pas reconnu par la législation mauricienne. »

 

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