Législatives 2019

Élections générales : pleins feux sur les enjeux, la lutte à trois et le vote

Jean Claude de l'Estrac, Lindsay Rivière et Khalil Elahee. Jean Claude de l'Estrac, Lindsay Rivière et Khalil Elahee.

Quels sont les vrais enjeux de ces élections ? Comment cette ‘three-cornered fight’ pourrait-elle redessiner les rapports de forces entre les principaux partis politiques ? Le spectre du vote panaché (couper/trancher) plane sur les leaders. Pourquoi ? Quels sont ses avantages et désavantages ? Le vote ‘bloc’ : quels sont les avantages et désavantages pour les partis et pour les électeurs ? Autant de questions qui interpellent. Jean Claude de l’Estrac, Lindsay Rivière et Khalil Elahee apportent un éclairage.

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Les enjeux

Jean Claude de l’Estrac : « Je suis tétanisé par les défis à relever »

Ces élections vont déterminer l’avenir de plusieurs manières. La principale est celle de savoir si elles mettront fin au cycle d’accaparement du pouvoir par les patronymies communalo-politiques depuis 50 ans. Je ne dis pas « dynasties » parce que le terme ne s’applique, en fait, qu’aux Jugnauth. La fin, ce n’est pas certain.

Si aucun des trois principaux partis n’obtient une majorité absolue, nous n’échapperons pas à une coalition post-électorale qui pourrait prolonger le règne de l’une ou l’autre, mais en forçant néanmoins à une forme de partage du pouvoir. Ce sera, malgré tout, une brèche significative. Le MMM a intérêt à préparer son électorat à cette éventualité pour éviter une trop lourde désillusion.J’estime aussi qu’il y a un enjeu majeur qui est celui de la stratégie économique pour les années à venir.

Il est désolant de constater que la question est peu présente dans la campagne. Et pourtant, elle est cruciale. Comment désendetter le pays ? Comment relancer la croissance ? Comment financer un État-providence budgétivore ? Comment relancer les secteurs affaiblis ? Le sucre ? Le textile ? Le tourisme ? Quels nouveaux piliers de création d’emplois ? Je suis moi tétanisé par les défis posés au prochain gouvernement.

Lindsay Rivière : « Il faut une remise en ordre vigoureuse »

Les grands enjeux sont nombreux et variés.  Il s’agira d’effectuer un choix d’avenir. Nos institutions semblent dépérir. Le pays pique du nez. Il faut une remise en ordre vigoureuse. Comment assurer celle-ci ? Comment consolider nos institutions, notre démocratie de plus en plus chancelante ?  Sommes-nous heureux de ces cinq dernières années ?  Voulons-nous continuer avec le style actuel de gouvernance ? Qui sont les mieux placés pour arrêter la descente aux enfers et faire repartir le pays ? Comment stopper la corruption, le népotisme, la médiocrité qui s’installent partout et remettre la compétence au pouvoir ?  C’est de tout cela qu’il s’agira le 7 novembre.  

Sur le plan économique, comment affronter les défis locaux et internationaux, la faible croissance, le chômage grandissant ? Quel est le parti le mieux équipé pour nous guider à travers les difficultés qui s’amplifient ? Comment assurer un développement plus inclusif, mieux répandre les fruits du progrès, assurer plus de justice sociale ?  Comment former nos jeunes à affronter les chocs du futur ? Il y a tant de choses importantes à refaire dans l’Île Maurice d’aujourd’hui.

Khalil Elahee : « Le choix entre trois ex-PM »

Le changement climatique, l’avenir de l’industrie cannière, l’harmonie sociale, le projet Metro Express, le problème de la drogue ou encore l’économie auraient pu être des enjeux majeurs, mais ce n’est pas ce cas. Un choix entre trois ex-Premier ministres : c’est l’enjeu majeur de cette élection pour la plupart des gens. Avec une campagne brève, et les promesses se ressemblent, les autres enjeux passent au second plan malheureusement. Paradoxalement, cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de ‘couper-trancher’. Une lutte à trois peut provoquer beaucoup d’incertitudes. Jusqu’ici le calme a prévalu et il faudrait le préserver. Déjà, cela est plus qu’un enjeu mais un acquis majeur et que Dieu nous préserve de possibles dérapages.

Lutte à trois

Lindsay Rivière : « Elle révèlera la force réelle de chaque parti »

D’abord, elle révèlera la force réelle de chaque parti. L’élection sera un sondage grandeur nature. Elle apportera de précieux enseignements et changera bien des perceptions populaires. Beaucoup de choses vont évoluer dans la politique à Maurice après cette élection. Depuis trop longtemps, les partis cachent leur représentativité réelle derrière des alliances électorales ou alors se renforcent de la force des autres pour ensuite venir bluffer. On saura, la semaine prochaine, qui vaut quoi.

Le rapport de forces s’en trouvera forcément affecté dans les années à venir et ceci déterminera certainement la forme des futures alliances électorales. C’est la première fois en 43 ans qu’on verra une three-cornered fight et la chose sera inédite pour toute une génération de Mauriciens, habitués à voir deux blocs s’affronter. Peut-être la ‘three cornered fight’ , si elle est déterminante, marquera-t-il  également la fin  ou forcera-t-il le remodelage des alliances politiques, telles qu’on les concevait  jusqu’ici.

Jean Claude de l’Estrac : « Déjà, un nouveau rapport de forces s’installe »

Cette lutte à trois redessinera le rapport de forces par le résultat du scrutin. Mais déjà, un nouveau rapport de forces est en train de s’installer. En début de campagne, les deux principales alliances avaient estimé que le MMM ne ferait que de la figuration dans ces élections. Depuis quelques jours, les deux s’attaquent à lui avec véhémence car, à l’évidence, le vent souffle désormais dans les voiles du MMM. La campagne de dénigrement réciproque impliquant les deux anciens Premiers ministres est du pain béni pour Paul Bérenger. Sa promesse d’un « pays propre » accroche. Elle parle aux jeunes dégoûtés par une gouvernance malpropre.

Khalil Elahee : « Il faut faire attention au ‘fourth corner’ »

‘Three-cornered’ ne veut pas dire que les candidats des autres partis ne pèseront pas dans la balance. Lorsque quelqu’un est élu, ou non, avec quelques dizaines de voix seulement, il faut faire attention au ‘fourth corner’, le poids de ces candidats qui ne seront pas élus pourront faire perdre certains. Par exemple au No. 3 ou même au No. 17, ces derniers ont une influence. La perspective d’une coalition après les élections demeure réelle, et c’est là qu’il faudra demeurer très vigilant. Notre vivre-ensemble harmonieux ne doit pas faire les frais d’une possible instabilité politique. Il faudra que les forces vives, les médias et les institutions, à commencer par la police, contribuent comme il se doit à maintenir la paix sociale. Les rapports de forces ne seront plus les mêmes après le 7 novembre.

Vote panaché

Jean Claude de l’Estrac : « Cette situation favorise les personnes au détriment des partis »

Le spectre du vote panaché inquiète les leaders politiques parce qu’ils voient bien que leurs socles de partisans irréductibles se sont considérablement amenuisés. L’élection va se jouer dans l’espace occupé par des électeurs indécis et irrésolus. Cette situation favorise les personnes au détriment des partis. En sus, dans une joute à trois où l’électeur commence à penser que les principaux partis ont des chances égales, il peut être amené à panacher son vote. Cela s’était passé dans 9 circonscriptions en 1976. Je prévois davantage cette fois, souvent au bénéfice du MMM.

Cette pratique est aussi encouragée par le fait que l’électeur ne perçoit pas de réelles différences idéologiques entre les principaux partis.

Lindsay Rivière : « Une lutte à trois favorise le panachage »

La bataille à trois favorise effectivement le panachage. En 1976, il y eut un score de 2-1 dans pas moins de 9 circonscriptions sur 20, soit presque la moitié. L’électeur n’étant plus tout à fait dans une optique  de bloc-contre-bloc  est  plus tenté de couper-trancher selon des critères de choix personnel, de vote communal ou castéiste ou encore  d’octroyer des votes de sympathie.

Ceci n’a aucun inconvénient pour l’électeur et le met parfois plus à l’aise pour exprimer son vote comme il l’entend. Pour les partis politiques, toutefois, le panachage créé un véritable problème car la notion de vote bloc s’estompe et si les élections se jouent avec des scores très serrés, cela peut faire basculer le résultat. D’ailleurs, le vote panaché est l’une des principales préoccupations des partis cette année, pas l’abstention. D’après moi, il n’y aura pas beaucoup d’abstentions mais beaucoup de votes 2-1.  Remarquez aussi que beaucoup d’organisations demandent de voter sur la base de l’engagement, de l’intelligence et de la sincérité des candidats au lieu de voter aveuglément pour des ‘pieds banane’.

Khalil Elahee : « Gare aux transfuges en absence de majorité »

Le vote panaché couper trancher se faisait dans le passé sur une base surtout communale lorsqu’il y a avait deux blocs.  Mais à trois, sans sous-estimer les autres candidats même lorsqu’ils n’attirent que quelques centaines de voix, c'est imprévisible pour les leaders politiques. Ils seront condamnés à chercher une coalition et cela, ils n'en veulent pas. Ils risquent même de perdre certains élus qu’ils ne connaissent que depuis peu et qui peuvent devenir des transfuges si le résultat final est indécis.  Mais je pense qu’ils ont une part de responsabilité car ce sont eux qui ont choisi leurs candidats. Tous ont échoué dans la tentative de réformer le système électoral. Même s’ils disent qu’il n’y aura plus de bases, nous voyons maintenant des emplacements convertis en quartiers-généraux. Les dépenses électorales semblent excessives, même avec tout l’apport du numérique dans la campagne. Malheureusement, qui dit argent dit aussi couper trancher.

Un parti politique peut aussi bénéficier du couper trancher lorsque les partisans d’un adversaire ne votent pas bloc. Un parti qui n’est pas favori peut gagner s’il y a un split-vote au sein d’un électorat. Pour les électeurs, le vote panaché peut être utile en permettant de choisir les candidats intègres, de proximité, compétents et les plus aptes à servir les électeurs. Mais trop souvent, la communauté du candidat devient un critère au détriment de tous les autres critères. Et si le vote couper-trancher est le fruit d’un bribe électoral en forme d’argent ou d’une promesse, c’est vraiment dommage pour notre démocratie.

Vote bloc

Lindsay Rivière : « C’est aussi un refus du communalisme »

Le vote bloc est le témoignage d’un commitment total de l’électeur envers un parti politique précis. Il aide ainsi son parti à gagner sans crainte pour mettre à exécution son programme. Le  vote bloc est aussi un refus du communalisme car en votant bloc l’électeur accepte le jugement du parti dans la sélection de ses candidats et permet au parti d’atteindre ses objectifs de représenter tous les intérêts ethniques sur sa liste. C’est donc un gage de discipline. On comprend donc aisément que les partis encouragent le  vote bloc inconditionnel.

Il n’y a donc pas de désavantage particulier, pour le parti, dans le vote bloc, seulement des avantages. Par contre, on peut observer que le vote bloc limite le choix de l’électeur mais, en fin de compte, l’électeur demeure seul maître de son vote. Il en fait ce qu’il veut car personne ne peut savoir comment il a voté. C’est finalement son choix qui prévaut.

Jean Claude de l’Estrac : « Dans l’espoir d’obtenir une nette majorité »

Les partis aspirent au vote de tous leurs candidats dans les circonscriptions acquises à leur cause dans l’espoir d’obtenir une nette majorité au Parlement. Cela est légitime. L’électeur qui n’est pas inféodé à un parti politique se sent libre, lui, de voter l’homme plutôt que le parti.

Khalil Elahee : « La discipline et la stabilité si … »

L’argument que le vote bloc apporte la discipline et la stabilité n'est valable que si les candidats sont tous de calibre. Lorsque l’électeur ne fait pas confiance à un candidat même s’il appartient au parti qu’il préfère, le risque est bien qu’il refuse de voter pour lui. Je pense que c’est bien ainsi mais le communalisme ou l’argent ne doivent pas être la raison du couper-trancher. Il faut renouveler un appel pour que le calme continue et soit maintenu non seulement pendant la campagne, mais aussi après les résultats. Il faut combattre le communalisme et toutes formes de corruption électorale. La maturité de l’électorat comme celle des dirigeants politiques seront à l’épreuve dans les semaines qui viennent.

 

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